vendredi 8 novembre 2024

Une Soirée Pluvieuse


 « Cette histoire est destinée à être lue au lit dans une vieille maison par une soirée pluvieuse ». Par la fenêtre, ruissellent donc les gouttes d’une pluie froide. Le ciel d’un gris sale et sombre, ou les anges venus du paradis, pleurent probablement de ce qu’ils voient d’en-haut, à savoir l’étang de Beasley, près de la ville de Janice. Lemuel Sears en cet hiver y découvrit les joies du patinage, quelle beauté ce lac gelé et quel plaisir de sentir ce blizzard vous fouetter les couilles rabougries, pendant que les lagopèdes à queue blanche fuient le temps de la saison cette contrée. D’ailleurs dans ses souvenirs, Lemuel Sears étant plus proche de sa fin de vie que de ses prémices vu qu’il a la quarantaine bien établie, cet étang de Beasley, on dirait vraiment le paradis. Sauf que depuis quelques années, l’étang sert officieusement de décharge publique à ciel ouvert. Les camions arrivent, déposent leurs merdes et autres déchets polluants, et repartent, le tout bien orchestré par la mafia locale et la mairie de Janice, les deux se rejoignant autour d’une poignée de mains et d’une mallette de billets.

« C'était par une soirée pluvieuse. Il n'y avait a priori pas de rapport pour Sears entre le bruit de la pluie et sa connaissance limitée de l'amour, pourtant, il existait bel et bien là un lien. Il pensait que le peu qu'il savait de l'amour lui avait été révélé alors qu'il écoutait la musique de la pluie. Les petites averses, les grosses gouttes, les pluies torrentielles, les inondations paraissaient liées à l'amour dans son souvenir, même s'il n'y pensa pas alors qu’il se baignait avec grand soin, puis s'habillait. L’importance de la pluie est nourricière, et elle concerne beaucoup de gens, puisque la multitude est l'un des aspects de l'amour. Jusqu'à un certain point, l'obscurité appartient à la pluie, mais l'obscurité, dans une certaine mesure, appartient à l'amour. Dans d'innombrables lits, Sears s'était estimé heureux d'entendre la pluie tomber sur le toit, il l'avait entendue s'écouler d'une gouttière défectueuse, inonder les champs, les jardins, les toits et les cours de nombreuses villes. Ce soir-là, il traversa la ville à pied sous la pluie. »

Lemuel s’en offusque et tentera donc d’en avertir les autorités, les bien-pensants ou les habitants du coin. En attendant, il dîne avec Renée, peut-être un futur dernier amour. Elle a un sourire à caresser de ses lèvres et un cul à caresser de son sexe. Pourtant, c’est pas gagné d’avance. Un, elle touche à peine à son verre de Montrachet 1973, un bon cru d’une bonne année pourtant. Deux, elle n’arrête pas de lui dire qu’il ne comprend rien aux femmes, et donc à elle. Alors, il va voir son psy, n’y voit pas forcément de rapport. Rien n’est relié, et pourtant tout ça, c’est la vie de Lemuel. Autant dire que je ne peut-être pas tout compris de l’histoire, de ce tout dernier roman de John Cheever - avant d’aller lui-même au paradis -, dont malgré tout je continuerai à lire, parce que je n’oublierai jamais son Fabuleux « Falconer ». Quand on lit « Falconer », on ne peut pas l’oublier. Jamais, il est ancré en vous, il colle en vous, comme la bite d’un pédé dans ton cul. Ça fait mal, et c’est pour ça qu’on en redemande encore, du Cheever ! Même par une soirée pluvieuse… Et c’est aussi pour ressentir de telles sensations que je le poursuivrai encore, jusqu’à ce que moi aussi j’aille visiter le paradis, par conséquent il ne me reste que trop peu de temps pour poursuivre son œuvre.        

« J'aurais aimé que mon récit débute avec l'odeur de la menthe qui pousse sur la rive où je suis étendu et caché avec mon fusil, prêt à assassiner un prétendant qui vient pêcher la truite. Ce que j'entrevois du ciel est bleu. L'odeur de menthe est très prononcée, et j'entends la mélodie de l'eau. Le prétendant est un jeune homme au physique avantageux qui se croit seul. Il semble avoir du bonheur à pêcher la truite à la mouche. Il chantonne en assemblant sa canne et lève la tête vers le ciel et les arbres pour s'assurer de l'aspect naturel de ce jardin auquel, même s'il ne le sait pas, il va être arraché. Mon fusil est chargé, je le porte à mon épaule et place le cœur du prétendant dans la ligne de mire. L'odeur de menthe entame sérieusement le bien-fondé de ce meurtre ou de tout autre meurtre... »
 
« On dirait vraiment le paradis », John Cheever.
Traduction : Laetitia Deveaux.
 

« Il commanda un montrachet 1973, mais il remarqua qu’elle touchait à peine à son verre. »

2 commentaires:

  1. Réponses
    1. Sur ce coup-là, j'ai plus kiffé le Black Sabbath de Dio (moi qui était plus team Ozzy) que ce John Cheever-là...

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