« En sortant de l’entrepôt, j'ai marché longtemps, seule, dans les rues, ma veste sur le bras, une bouteille de bière à la main. J'appréciais la douceur de l'air nocturne sur ma peau nue. J'étais saoule et défoncée, mais pas encore prête à aller me coucher. Je voulais respirer les parfums de la ville, me rouler sur le bitume. Chaussée de mes vieilles boots, j'avançais plus vite que les bus de nuit. Les drogues que j'avais avalées plus tôt dans la journée me donnaient des fourmillements dans les joues. Le souffle court, je me mordais les lèvres. J'avais l'impression d'être en feu - mon visage, ma bouche, mes seins, mon sexe : tout en moi se consumait. J'ai sorti une cigarette de mon paquet et l'ai allumée, avant d'avaler une gorgée de bière. En sentant la fumée entrer dans mes poumons, j'ai pris une profonde inspiration pour que les bulles d'oxygène métabolisent rapidement l'alcool, tout en retenant le plus longtemps possible la fumée dans ma cage thoracique, tirant un maximum de plaisir de chaque instant. »
Dans l'oubli hypnotique des nuits londoniennes... je regarde mon verre, je le fais tourner d'une main tremblante, pourquoi alors qu'il n'y a pas de glaçons, pas de tintements de cristal, je ne sais pas, je le regarde juste, des yeux posés sur un liquide ambré, un Benriach en version Smoky Ten, peut-être ai-je l'espoir de sentir son parfum, sa tourbe qui m’emmènera loin d'ici, plus au nord, à l'extrême nord même de l’Écosse, dans les îles Orcades. Ce verre sera le dernier, peut-être, avant de se reprendre en main, de tout laisser tomber et de reprendre vie. Dans un lieu familier, celui de l'enfance et des souvenirs, celui des brebis et du roi des Cailles. Là-bas, je n'oublierai pas mes compagnons nocturnes, bières, vin et vodka, pourtant j'essaierai d'y échapper, et pour cela il y aura le vent des Orcades chargé d'embruns tout aussi enivrant.
« Dans les Orcades, le vent souffle en permanence. A la ferme, les vents d'ouest sont les plus éprouvants : ils transportent la mer avec eux et peuvent déplacer des tonnes de rochers en une seule nuit. Au réveil, le paysage familier s'en trouve modifié. Les vents d'est, en revanche, se révèlent parfois d'une beauté stupéfiante : quand les rafales soufflent à l'encontre de la marée, elles décapitent la crête des vagues, faisant jaillir une étincelante canopée de gouttelettes qui brillent au soleil. Les chaumières traditionnelles, solides et trapues, sont conçues pour résister aux violentes tempêtes. La plupart des Orcadiens leur ressemblent, mais, bien que née ici, je n'ai pas héritée de cette morphologie : je suis grande et dégingandée. »
C'est donc l'histoire d'une rédemption, d'une nouvelle vie, d'une dernière chance. Pour cela il y a la nature omniprésente, le froid et la solitude de ces îles du bout du monde. Un combat contre l'alcoolisme où les cordes du ring sont remplacées par les falaises de granit, un écart et c'est la chute, la tête fracassée contre les roches, le sang lavé par les vagues, le corps caché par l'écume. L'ivresse n'est ni joyeuse ni festive, elle donne mal à la tête, elle est déprimante, elle est perte. Alors comment s'en sortir, se sortir de ces nuits infernales dont au petit matin, on a tout oublié ou presque... Peut-être donc en se livrant aux vents des Orcades. Trouver une petite chaumière fouettée par le vent, des promenades nocturnes, pour regarder la lune dont j'en ai oublié sa lueur, pour observer les oiseaux sauvages, les compter, les écouter. Prendre un cahier ou une vieille machine à écrire et poser deux trois phrases afin de décrire ses sentiments, sa perte, son inutilité mais aussi son environnement, son envie de renaître, de retrouver l'envie, de tourner la page, les pages d'une vie et donc d'un roman entre nature et autobiographie.
«
La vie continue. Je retourne aux Orcades, conscient du défi qui
m'attend. Que vais-je faire de moi-même, maintenant que je ne bois plus.
»
« L’écart », Amy Liptrot.
Traduction : Karine Reigner-Guerre.
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