lundi 4 novembre 2024

Un Soleil Ivre De Rage Tourne Dans Le Ciel


« Elle se redresse pour prendre son walkman, qui doit être à ses pieds. Bernard Lavilliers la bercera. Alice écoute en boucle la cassette d'O Gringo depuis qu'elle a quitté Québec, elle connaît "Sertao" par cœur. Les pales du ventilateur coupent tranche à tranche l'air épais comme du manioc. [...] Y'a guère que les moustiques pour m'aimer de la sorte. Leurs baisers sanglants m'empêchent de dormir. »

Le long du fleuve Maroni, dans les années 80, un soleil ivre de rage tourne dans le ciel, Alice s'offre une virée en Guyane, Bernard Lavilliers dans son casque Koss, pour oublier sa vie québécoise. Elle profite de ses vacances pour se ressourcer au vert, un vert jungle, un vert comme l'enfer, mais ça elle ne le sait pas encore.

Trente ans après, Flora s'occupe de la succession de sa mère tout juste décédée et œuvre en parallèle auprès de femmes victimes de violence conjugale. Dans un Québec neigeux, elle sentira l'humidité obscure de sa vie. Les pales du ventilateur coupent tranche à tranche l'air épais comme du manioc, ils l'emmènent sur une autre terre où est enfouie de lourds et profonds secrets que ni sa mère, ni son père qu'elle adorait pourtant n'avaient souhaité déterrer. 

Deux histoires sombres, deux femmes perdues, et au milieu, entre la Guyane et le Québec, l'enfer vert. Le long du Maroni, je parcours l'histoire de Papillon, je me replonge dans cette enquête d'Albert Londres, je revis le bagne de Cayenne, la peine, la double peine, celle de rester dans cet endroit après avoir purgé la première, et puis ces femmes emprisonnées, ces femmes enchaînées, ces femmes qui ne seront jamais déchaînées de ce lieu, de cette terre d'oubli et de latérite, de cette boue brune qui coule et ruisselle comme la sloche d'un printemps au Québec... 

« Dans le minibus qui tressaute sur la piste, les voyageurs voient rouge. Les vitres, la végétation, le ciel : tout a pris la couleur du sol de latérite, cette terre tropicale bourrée d'oxyde de fer que les forçats moulaient et cuisaient sous forme de briques dans les usines de l'administration pénitentiaire. Symbole de l'architecture du bagne, ces briques ont servi à la construction du camp de la transportation, l'autre nom du bagne, à Saint-Laurent-du-Maroni, de l'hôtel particulier du directeur, de la chapelle, de l'hôpital où Philippe a été soigné.. 
- Et aussi du couvent-pénitencier, où des bagnardes ont été internées, raconte Fred, assis à l'avant du minibus mais tourné vers les passagers. Elles devaient bosser toute la journée sous la garde stricte des religieuses, à coudre le linge des prisonniers. Leur seul espoir d'en sortir était de se marier avec d'anciens détenus et de fournir des enfants à la colonie...  »

Une histoire d'ailleurs, glauque dans la poussière de l'enfer, vert, et la neige d'un blanc, sale. Sales comme ces deux histoires de femmes que je n'oublierais pas de si tôt, pris dans la tristesse et la rage, fasciné par ce lieu de tous les horreurs, lieux reclus pour ceux que le gouvernement français ne voulait surtout plus voir... En attendant que l'enfer baisse l'abat-jour Qu'on se penche sur ta misère du haut de la tour Tu n'as que de la poussière pour parler d'Amour Aveuglé par la lumière comme dans un four...
 
« Vert comme l'Enfer », Isabelle Grégoire.
 
 

« Puis elle allume la radio. Une vieille chanson qu'elle aime emplit la voiture. L'une des préférés de son père. Sertao, de Bernard Lavilliers. En attendant que l'enfer baisse l'abat-jour. [...] Tu n'as que la poussière pour parler d'amour. [...] Un soleil ivre de rage tourne dans le ciel. Les paroles devaient lui rappeler la Guyane, ce lieu où le Dr Henri Deguise a travaillé et où il l'a adoptée, mais dont il ne lui a jamais parlé. Ce lieu où elle est venue au monde. Une terre inconnue... » 

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