jeudi 8 mars 2018

Westfalia Rose

Un pack de bière à la main, le pouce en avant, j’attends l’âme charitable qui va prendre le miteux auto-stoppeur silencieux que je suis. Mais je n’ai pas le temps de prendre une insolation boréale dans la banlieue de Montréal que déjà un Westfalia rose s’arrête et m’embarque dans ses aventures. Pas commun cette couleur pour un Westfalia, mais je ne m’arrête pas à ce genre de détail tant qu’il y a une glacière pour mettre au frais mes frettes. Benjamin Tardif, ça c’est le conducteur, y me cause avec un accent bizarre, je comprends pas tout d’ailleurs, il parle trop vite, même que parfois il sacre – pas que ça me dérange, d’ailleurs il pourrait sacrer plus que ça me dérangerait pas -, mais j’ai parfois besoin de sous-titres pour le comprendre. Ça tombe bien qu’il me dit, il est traducteur de profession.

Avant de passer la frontière, il s’arrête au dépanneur, faire le plein de frettes et de gas. Benjamin met une vieille bande magnétique dans son autoradio qui crache un vieux rock des années 80. Il me dit suivre la migration des lagopèdes à queue blanche jusqu’au Texas.  

- Bordel de merde ! s'écria Justin Case.
- Putain de salope ! hurla Oracle Simon.
- Hostie de tabernacle ! gémit Benjamin Tardif.
Bien entendu, sauf pour les gros mots de Benjamin Tardif, on aura compris que ces propos sont traduits librement, et même avec un souci d'éviter de scandaliser les femmes et les enfants qui auraient pu acheter ou ouvrir ce livre en croyant qu'il s'agissait d'un ouvrage sur les espèces animales disparues du Texas.


Le soleil se lève lorsque j’ouvre les yeux, encore ébloui par la caisse de frettes qu’on s’est tapé dans la nuit. Vue sur une crique, silence complet, j’écoute seul le discours des cactus au vent. Je me demande ce que fait l’hostie de zouave alors que je trouve son caleçon et ses gougounes sur le tableau de bord. Le con, il est parti se baigner nu dans la beauté azuréenne parfumé à l’iode mexicaine. Je vais le retrouver, m’assois sur une vieille souche, j’entends un moteur, et c’est là que je me marre. On lui pique sa van. Et c’est là que cette histoire entre dans la loufoquerie, celle d’un type qui se retrouve la bite à l’air, le cul rouge, totalement nu, en plein désert texan. Je l’observe, les traces de pneus, ses fesses qui rougissent au soleil, sa gêne et son envie folle de sacrer, mais il se retient en bon traducteur des bonnes mœurs, parce que « nulle part au Texas », c’est quand même quelque part. Surtout qu’il va faire de drôles de rencontres avec un shérif bien particulier en la personne de Justin Case, et une noire qui fait le meilleur chili de la région, Soutinelle. Ils sont drôles ces deux-là, on les dirait sortis d’un film des frères Cohen chez les ploucs. Parce que texan ou plouc, c’est bien la même espèce, non ?  

« - Dis donc, Ben, t’es homosexuel ou quoi ?
La tête de Justin Case, toujours coiffée de son chapeau de cow-boy patriote, était passée dans la porte coulissante du Westfalia. Benjamin Tardif s’efforça de se souvenir de la soirée de la veille. Cela lui revint rapidement, une fois qu’il se fut rappelé la bouteille de bourbon qu’ils avaient partagée inégalement – une moitié pour Justin et un quart chacun pour Soutinelle et pour lui. Ah oui, il y avait eu aussi une deuxième bouteille de bourbon, dont il avait peut-être obtenu une part plus équitable.
Il lui revint aussi à l’esprit qu’ils avaient commencé à se tutoyer – ou plutôt qu’ils se seraient tutoyés si le tutoiement avait existé en anglais. En tout cas, ils s’appelaient allègrement Ben et Soot, Justin ne se prêtant à aucune abréviation susceptible de plaire à l’ex-shérif.  
- Homosexuel ? Pourquoi je serais homosexuel ?
- C’est Soot qui se le demande.
- Pourquoi ?
- Tu lui as pas fait de passe. Même pas mis la main sur la cuisse quand elle a effleuré la tienne par accident hier soir. Moi, je lui ai dit que t’avais plutôt l’air d’un raciste. Mais ça l’a pas consolée. Soot, elle prend ça mal quand elle se sent pas désirée. Elle dit toujours qu’elle a pas assez de seins mais trop de cul. »

Tout d’à coup, un éclair, une fulgurance, moment qui coïncide avec la dernière goutte d’une bouteille de bourbon, la meilleure cette dernière goutte, je me rends compte que ce voyage inattendu (dans le sens où le final m’a plutôt bien plu dans ses rebondissements), je l’avais déjà fait, un Westfalia rose, ça court pas les routes de Montréal – ou les chemins de poussière du Texas. Effectivement, dans un lointain souvenir, il y eu une blonde, amarée aux mots, qui sifflotait sa bonne humeur à bord d’un Westfalia de couleur rose, en s’enfilant toutes les frettes de la glacière… 

Moralité de cette histoire québécoise : Ne te promène pas la graine au vent dans la poussière du Texas ou tu te feras voler ton Westfalia rose.


« Nulle Part au Texas », François Barcelo.

13 commentaires:

  1. Ça c'est de la morale :-) (Goran : https://deslivresetdesfilms.com)

    RépondreSupprimer
  2. La bite ??? Tu veux sans doute dire la bisoune... ^^
    Ah ce Westafalia rose, j'irai bien faire un tour à bord !!!
    Pourquoi pas un périple du Québec au Montana d'ailleurs ?...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. BISOUNE !!!! Effectivement, je manque cruellement de vocabulaire et de poésie... Nul, totalement nul, je suis...

      Québec-Montana, quel magnifique périple ! Tu le commences quand ?

      Supprimer
    2. C'est un périple qu'on ne peut faire qu'à 3...

      Supprimer
    3. J'suis prête !!! On part quand ? :D)))
      p.s.: évitez quand même de vous dandiner la bizoune au vent à la frontière des USA, ils ont rarement le sens de l'humour les hosties de douaniers américains ... ^^

      Supprimer
    4. aucune limite quand la graine est au vent !

      Supprimer
    5. et les Joes à l'air avec le string dans craque du cul...

      Supprimer
  3. Toi t’es vraiment un gars fait pour vivre en pleine nature, en tout cas c’est la première fois de ma vie que je croise un Bison qui sait écouter le discours des cactus et qui parle à la neige. Tabarnak que c’est inspirant ... Embarques dans mon Westfalia, j’ai déjà fait le plein de frettes au dépanneur du coin, il te restera juste à contempler le vol des lagopèdes à queue blanche ... la graine au vent, le cul à l’air ... Il n’y a pas morale québécoise plus exotique, câlisse ! ^^

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il n'y a qu'un québécois pour se mettre la graine au vent, sous le soleil brûlant du Texas. Il devait se croire dans la solitude du Yukon.

      Supprimer
    2. ou la moiteur d'un majeur sous une "insolation boréale" avec une tite frette à portée de main...

      Supprimer
  4. Merci de m'apprendre que Barcélo écrit toujours, j'avais adoré " chiens sales" et surtout "l'ennui est une femme à barbe".

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. L'ennui est une femme à barbe... quel beau titre !

      Supprimer