Fines
et froides les gouttes ruissellent le long des rives de mon chapeau, les
lampadaires éclairent ma sombre face, étrangeté d’une nuit sans lune.
Pas
un chat, ni même la chatte d’une pute, l’obscurité des lieux leur fait peur.
A
moins que ce soit le silence qui y règne, celui de ma vie qui empiète dans ces
ruelles tristes.
Un
reflet dans le caniveau m’absorbe, j’ai envie de m’y engouffrer comme dans une
bouche d’égout, pour ne plus en ressortir, dégouts.
Je
poursuis mon chemin, l’air d’un chien mouillé, peut-être même l’odeur aussi.
J’allume un vieux mégot de cigare, parfum mâle.
Le
regard perdu, empli d’un je-ne-sais-quoi peut-être est-ce du vide, de l’amour
ou de la tristesse, je recherche le bleu de la lune, le cœur bleui par des
bleus à l’âme.
Je
me sens dans la peau d’un privé, je lisse ma moustache en V. Mon dernier
contrat, même pas payé, l’archétype du privé loser à la recherche de sa lune.
Ce
que j’aime dans la vie d’un privé, plus que les coups reçus dans la gueule, des
gnons qui font mal, c’est la fiole de whisky dans la poche de mon imper, la
bouteille dans le tiroir de mon bureau. Ma raison d’être, misérable être qui
erre dans la nuit.
Un saxo s’engouffre dans la ruelle, comme le parfum d’une rose ou d’un jasmin dans les draps souillés d’un mardi après-midi. Quelques notes de piano qui me poussent à entrer dans ce bar. Au fond, deux vieux types, pas l’air très frais, fermentés par l’air vicié de ces lieux, vicieux de ces regards portés sur les serveuses dans leur short moulant.
Je
m’assois au bout du comptoir, les yeux portés maintenant sur mon verre.
L’instant est propice à la méditation, sans me transcender, je repense à
l’affaire… Et à ma secrétaire. Si j’ai voulu être un jour privé, dans mes rêves
de gosse, c’est aussi pour ces secrétaires pulpeuses toujours prêtes à faire
péter un bouton de leur chemisier en un souffle, un bouton de mon jean face à
l’élégance de ces belles. J’imagine une conversation avec elle, par interphone
interposé : « Hey poupée, tu peux aller me chercher une bouteille de
mon ami Jack !?, je garde la boutique. » Sans gêne, mais avec le
sourire, elle me rembarre de ses atouts en me demandant que je n’ai qu’à lever
mon gros cul de ce fauteuil en simili cuir trouvé un matin abandonné sur un
trottoir, blues trottoir de ces surplus esseulés. J’ai pas le charme d’un vrai
privé, même dans mes rêves ou je me retrouve finalement plus dans la peau d’un
pauvre type.
Un
deuxième verre de bourbon, pendant que les deux gus, hey gus, jouent leur
mélopée, un air connu comme une vieille série télé qu’il faudrait dépoussiérer.
Un piano, un sax, un verre, le cul de la serveuse, les miches de ma secrétaire…
C’est l’essence de la vie dans la peau d’un privé.
« Wo ! Man », Archie
Shepp & Joachim Kuhn
Harlem Nocturne
Mais si, moi j'te l'dis, t'as le charme d'un vrai privé, d'un type avec qui j'ai envie de boire un verre, ou deux. Y en a pas tant que ça des types avec qui je passerais bien une soirée à écouter ces musiques qui coulent dans nos veines, jazz pour l'un, folk pour l'autre, mais on se rejoint assez souvent. T'as le charme d'un vrai privé qu'écrit des trucs chouettes et chez qui je viens trainer mes bottes rudement souvent. C'est pas c'que j'fais de pire. So long, see you soon around the stage.
RépondreSupprimerGénéralement, le privé il boit seul dans son coin. Mais pour toi, je ferai une exception... salutaire.
SupprimerJe prendrais ce verre avec toi, on ne serait même pas obligés de parler, parce que le silence est tellement plus parlant. Sous la blue moon et les majeurs en émoi, l’essence de la vie est une hostie de belle affaire pour autant qu’il y ait de vraies notes d’émotions douces. J’aime ce blues du soir...
RépondreSupprimerTabarnak
Ça me vire à l'envers!
ça tombe bien, je ne parle pas. Je me contente de boire et d'écouter le silence de ma pinte...
SupprimerOui, qui saura dire la grandeur du silence de la pinte? J'aime beaucoup mais là il est encore un peu tôt.
Supprimerle silence d'une pinte est présente à toute heure :-) Mais écouter le silence de son café fait partie aussi de l'expérience de la vie...
SupprimerElle lui va tellement bien cette musique à Mike Hammer...
RépondreSupprimerElle lui colle à la peau...
SupprimerNostalgie...
SupprimerUn soir de pluie, dans le brouillard, quelques taxis passent sans me voir, une insomnie ....
RépondreSupprimerArchie, ce saxo, Mama Rose OOohhh my God ...
Bel été Bibi :)
La mélancolie d'Archie chronique mes insomnies...
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