samedi 22 février 2020

Monologue (Historias de Pampas)


Brunes ou blondes, elles s’ouvrent à moi, mystérieuses et vaporeuses. Je parle de bières, je parle de femmes. Enfoncée dans le tréfonds de la pampa, une belle argentine – ô pléonasme, toutes les argentines doivent être sublimes – une bouteille de bière coincée entre ses cuisses nues et chaudes – et caramélisées, la condensation de la bouteille coulant sur ses poils pubiens, blonds ou bruns. Elle pense. J’essaie de la pénétrer, son âme, sa beauté mystérieuse. Ses pensées intérieures filent, à vive allure, défilent comme le va-et-vient de ma bite dans sa chatte baveuse. Ses cuisses ouvertes s’offrent à l’intimité de mon moi. Son soi, elle n’y pense que trop. Elle se sent prisonnière. De son homme, ce genre d’homme qu’on qualifie de « mon amour » dans l’intimité d’un canapé. Crève, mon amour, même, pense-t-elle furieusement. De son bébé. Da sa vie, dans cet endroit reculé de l’Argentine, tragédie de sa vie.

De quoi rêve-t-elle, cette femme dans son long monologue intérieur. D’une autre vie, de son voisin, de la bite de son homme qui lui martèle le cul, la sueur aigre dégoulinant sur les draps.

« A chaque fois que mon mari me baise je cligne des yeux et c’est comme si on abattait un arbre. Comme des coups de hache. Je mange d’une main et la graisse dégouline. Je parle fort, je bave, mais on me baise quand même, je suis toujours appétissante. Contre le mur, tu aimes ça, dit-il, lascif. Menottée, comme tu l’as demandé. Je ne le reconnais pas. On dirait qu’il a pris des notes. Il me baise et mes yeux explosent à plusieurs reprises. L’exorciste. Je reste aveugle. Une pierre contre le front. Il me baise, il me baise et tout s’effondre, les objets tombent et se fracassent. Les petites tasses en porcelaine de la grand-mère. Les images encadrées rapportées d’Italie. Ma maison est un dépôt de verre. Mon fémur me fait mal. Je ne dis rien. Pour une fois j’entre dans son jeu. Le petit mari fort en tautologies s’est dégourdi. Le rapace s’est réveillé. Je me noie sans résistance dans ses fluides. Il dit même pute. Il le dit et sa bouche s’emplit d’une eau rageuse. De l’eau polluée. Ce ne sont pas ses mots. Loué soit le Seigneur. Il a appris, a-t-il observé l’autre ? Mais ça ne me sert plus à rien. J’essaie de lui appartenir. Je lui donne mon cuir chevelu. Prends. Je lui donne mon cerveau. Je lui donne ma peau tendue. Pince-la. Je lui donne mes cils, je me fiche de les perdre. Que mes yeux s’assèchent en un clignotement. Je m’offre. Sers-toi. Tiens. Goûte. Je veux être son épouse mais je le regarde, étonnée comme une inconnue. Une femme qui fait la sieste et se fait agresser par une ombre. […] C’est fini. Je le laisse me toucher encore. On est tout baveux. Maintenant viennent l’étreinte et le baiser humide. Maintenant vient le harcèlement de l’amour. Je veux me fondre… »


Dirais-je que la folie la guette ? Elle n’est pas loin, dans l’ombre de sa tête. Elle tourne et se retourne dans la chaleur de la pampa, dans la solitude d’une vie, avec son homme et son mioche. Ce n’est pas sa vie, baby-blues. Ses pensées peuvent paraître brouillonnes, comme si elle écrivait intérieurement un premier roman, d’ailleurs c’est justement un premier roman de la toute jeune auteure argentine Ariana Harwicz. Il faut s’accrocher à son cheminement intérieur, inclassable même, difficile à suivre sans parfois se sentir perdu, quel chemin prendre, pourtant je plonge dedans, comme dans la gueule d’un caïman grand ouverte et me laisse avaler par la prose furieuse et psychédélique de cette femme. C’est une littérature dans le genre rarement lue, j’écarte ses cuisses, une violence sexuelle intrinsèque, je lui lèche l’intérieur, des émotions à fleur de peau, je laisse glisser ma langue, à fleur de sang, ma langue s’enfonce, crève, mon amour.

« Mon mari m’appelle pour qu’on se prenne une petite bière sous la pergola. Blonde ou brune ? Apparemment le bébé a chié et je dois aller acheter un gâteau pour fêter ses 6 mois. Je parie que les autres mères font leur gâteau elles-mêmes. Six mois il parait que c’est pas comme cinq ou sept. Chaque fois que je pose les yeux sur lui il me rappelle mon mari derrière moi qui a failli m’en foutre plein le dos avant d’avoir l’idée de me retourner et de me pénétrer à la dernière seconde. S’il ne l’avait pas fait, si j’avais serré les cuisses, si je lui avais empoigné la bite, je ne serais pas obligé d’aller à la boulangerie pour acheter un gâteau à la crème ou au chocolat avec ses petites bougies, une demi-année déjà. »

« Crève, mon Amour », Ariana Harwicz.
Traduction : Isabelle Gugnon.


Sur une masse critique, 
noirceur patagonne et folie littéraire ;
Merci donc à Babelio et aux éditions Seuil.



8 commentaires:

  1. C'est beau l'amour en argentine dis donc :-)))

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ça ferait même un beau film :-) Du sang, de l'amour et un saxo pour un dernier tango...

      Supprimer
  2. Toute cette bave, c'est vraiment excitant... ou pas !! ^^

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est que dans la pampa, l'atmosphère est humide ! alors, ça dégouline...

      Supprimer
    2. Au fait, pourquoi c'est humide?^^

      Supprimer
    3. Je sais plus... j'ai tout oublié... la vieillesse...

      Supprimer
  3. Brunes ou blondes...
    Il en faut du va-et-vient d'un majeur pour frôler la douce folie d'une âme solitaire...
    Tabarnak

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tabarnak, c'est bien dit ! La folie d'une âme solitaire...

      Supprimer