dimanche 19 septembre 2021

Curry Indien et Chaï Latte


Dès les premières pages, je me retrouve au milieu d’odeurs, de parfums, de couleurs et de femmes. Un harem ? A mon grand désarroi, en fervent passionné de tantrisme, je suis juste au sein d’une cuisine familiale où ça popote autant que ça papote. Un grand repas s’y prépare, aux souvenirs et à l’anniversaire des funérailles, peut-être les miennes, d’ailleurs, qui sait… Le temps de goûter à la saveur d’un curry orangé, je prends part à ce partage, littérature indienne au menu du jour. Cela fait longtemps que je n’ai pas posé mes sabots poussiéreux dans un restaurant indien. Encore plus d’avoir ouvert un bouquin indien en dehors des recettes de curry et de cuisine. C’est dire l’expérience, aussi excitante qu’une orgie dans un ashram ou qu’un air de Ravi Shankar dans un festival hippie au lever du soleil. 

« On avait envoyé Maya cueillir des goyaves sur l'arbre qui poussait au milieu de la cour. Seules les femmes étaient autorisées à cueillir les fruits parce que "leur toucher rend l'arbre plus fertile", affirmait Bhagwan. Mais uniquement es jeunes mariées, pas les veuves ou les stériles. Ces femmes-là avaient les mains sales, elles étaient maudites par les dieux, rejetées par les hommes. L'arbre aurait cessé de donner des fruits si une veuve ou une femme stérile en avait touché ne fût-ce qu'une feuille. Maya était exactement le genre de créature qu'il aimait. Jeune, la chair ferme, les yeux pétillants et les cheveux brillants. Des dents blanches comme des perles et une haleine au parfum de musc. Mais depuis qu'il avait prononcé ses vœux, il devait les tenir à distance et supporter ces vieilles harpies desséchées qui s'asseyaient à ses pieds toute la journée. Leurs yeux tristes et éteints qui le regardaient avec adoration, leurs cheveux blancs qui sentaient la vieillesse. Elles s'inclinaient devant lui et s'accrochaient à son corps de leurs mains noueuses. Maya était un fruit interdit, mûr à point, dans lequel il aurait adoré mordre. Peut-être dans une autre vie. »


Et entre les épluchures et le frémissement de l’eau, l’Inde vient à moi, histoire de me chatouiller les narines et de me distiller un peu de sa culture. Je découvre, j’apprends, je sens. 
Des filles et des femmes indiennes qui me content leur pays, leur difficulté, leur reconnaissance dans une société où la femme n’a que peu de considération au sein même de sa propre caste et maison. Mieux vaut pour elle savoir préparer un curry que de faire des additions ou apprendre l’anglais. Et que dire alors des femmes exilées qui elles non plus, perdues entre ses traditions et les pratiques d’un nouveau pays difficiles à appréhender, ne trouvent pas vraiment une place désirable. Les départs ou les retours sont souvent sources d’incompréhension dans les deux sens. Quand la culture et le devoir s’entremêlent, il est difficile de trouver sa voie, d’avancer sur son propre chemin.    

« Pendant qu’elles mélangeaient les ingrédients dans les énormes casseroles avec des karchi à long manche qui avaient été amenés d’Inde, les trois femmes parlaient à voix basse. Parfois elles s’entendaient, et d’autres fois les mots disparaissaient, engloutis dans les chaudrons pour se mélanger au bhog frémissant. Petit à petit, elles déversèrent leur mal du pays avec les tasses d’eau chaude, jetèrent leur solitude avec le riz basmati, saupoudrèrent leurs rêves oubliés et leurs déceptions avec le sel. Quelques larmes mouillèrent les petits pois, les carottes et les haricots, mais les pommes de terre furent teintées d’éclats de rire. Puis elles hachèrent leur tristesse en petits bouts très fins, presque invisibles, et la mélangèrent à la cannelle, la cardamone et la poudre de clous de girofle. » 


D’ailleurs depuis la lecture de ce roman, j’ai arrêté le café, je suis passé au Chaï Latte, séances de yoga et cours de tantrisme. Merci de cette belle découverte, si j’en crois ma mémoire vieillissante, c’était mon premier roman indien, pourtant longtemps adepte de râgas.

« Mangue Amère », Bulbul Sharma.
Traduction : Mélanie Basnel.





6 commentaires:

  1. Voilà un livre qui me tente! Très belle chronique avec la musique de Ravi Shankar que j'ai appris à connaître grâce à Peter Gabriel! Si tu le permets, j'aimerais partager cette chronique sur un site littéraire (je t'ai déjà recommandé à pas mal de lecteurs en manque d'inspiration)!

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    1. Je te permets tout, rien ne m'appartient tout est libre.
      J'ai connu Ravi plus grâce au mouvement hippie et à son incursion dans le jazz-fusion des années 70. Depuis, j'aime toujours autant, je retrouve avec plaisir ces rythmes indiens par moment dans le jazz nordique...

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  2. Idem, mon premier roman indien et peut-être pas le dernier... J'ai "Un fils en or" dans ma bibliothèque.
    Je t'en prie, si je peux être utile ^^

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    1. la littérature indienne comme son cinéma a peut-être du mal à franchir les frontières... J'ai d'autres romans "indiens" mais pas écrits par des "indiens"...

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  3. Tout me donne follement envie de découvrir ces petits instantanés de vies indiennes, les odeurs de curry, les couleurs des saris, les fleuves sacrés, ou non, les vies familiales compliquées, ou pas, les " orgies dans un ashram" (^^)
    Oui, dans un ashram, je pourrais m'y plaire (orgies ou pas) :P
    Je crois quand même qu'avec toute cette chaleur, tu risquerais d'en perdre tous tes poils de bison... À moins qu'ils ne frisent???
    Calisse.....

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    1. oui,
      les orgies dans un ashram... sur un raga de Shankar... ça me plairait beaucoup...
      sentir les âmes du fleuve sacré, sous les lumières de lampions et d'étoiles...
      défaire le sari coloré, et voir cette toison noire... qui frisent :-))

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