jeudi 8 juin 2017

Dans le Sertao

« « Un chat s'étira, les murs se raidirent. La pression de l’air aplatit les corps contre le matelas, la maison entière s’alluma et s’éteignit, une ampoule au milieu de la vallée. Le grondement du tonnerre s’étendit jusqu’au côté opposé de la montagne. Sous la bâtisse la terre, de charge négative, reçut l’éclair positif d’un nuage vertical. Les charges invisibles se rencontrèrent chez les Malaquias.
Le cœur du couple en était à la systole, le moment où l’aorte se ferme. La voie étant contractée, la décharge ne put la traverser pour rejoindre la terre. Au passage de l’éclair, le père et la mère inspirèrent, le muscle cardiaque reçut la secousse sans pouvoir l’évacuer. La foudre chauffa le sang à des températures solaires et entreprit de brûler tout l’arbre circulatoire. Un incendie interne qui obligea le cœur, ce cheval qui galope tout seul, à terminer sa course en Donana et Adolfo.
Chez les enfants, les trois, le cœur en était à la diastole, la voie express était ouverte. Le vase dilaté ne fit pas obstacle au cours de l’électricité et le rayon passa par l’entonnoir de l’aorte. Sans affecter l’organe, tous trois ne reçurent que des brûlures infimes, imperceptibles. »

Un coup de foudre. L’éclair s’abattit sur la maison. Les deux parents brûlés vifs, les trois enfants s’en sortent presque miraculeusement indemnes. La fille sera achetée par une princesse arabe, l’ainé travaillera dans la fazenda voisine, le dernier restera à l’orphelinat, il est nain.

Caruarú hotel centenario, suite princière, vue sur les chiottes, télé couleur,
courant alternatif.
Les pales du ventilateur coupent tranche à tranche l'air épais du manioc
Le dernier texaco vient de fermer ses portes
Y a guère que les moustiques pour m'aimer de la sorte
Leurs baisers sanglants m'empêchent de dormir
Bien fait pour ma gueule ! J'aurais pas dû venir ...



Les Malaquias. Présentations faites de cette saga familiale dans le nord du Brésil, au milieu des exploitations de café. Je suis l’histoire de ces trois orphelins. Une histoire qui de prime abord peut paraître sombre, mais la plume illuminée de l’auteure adoucit tant les faits que je reste sous le charme de ces latitudes. Il y a de la poésie dans chaque phrase. Le dépaysement est total. Les années défilent, la fratrie grandit, s’adultifie. Ils chercheront à se retrouver, je prends un café, pur arabica du Brésil.

« Julia voyait Leila brouillée par de la lumière liquide, une autre larme arrêtée dans son ciel oculaire. »

Je suis ébloui, non pas par le noir café qui coule dans ma tasse, ni par le soleil chaud qui cogne sur cette terre – encore que – mais par la qualité de ce premier roman. Les images baignent dans la poésie me feraient presque oublier les plages de Rio et les cocktails sucrés à base de papaye et de noix de coco. Je suis en plein voyage, des couleurs plein l’iris pour m’en mettre plein la vue – et pourtant je suis loin des plages et des strings, des stades de foot et des hordes de supportrices en string.

« Les yeux de Nico, bleus comme ceux de sa mère, étaient maintenant d’un doux ébène, noirs à perdre le contour de la pupille, le tunnel de l’iris. »

Un coup de foudre, pour cette histoire, s’est abattu sur mon âme. La rétine brûlée à vif par l’auteure qui en de phrases aussi concises que la descente d’une bière même chaude ou que le va-et-vient d’un majeur en milieu humide. Il y a des romans qui envoûtent l’esprit, celui-là en fait incontestablement parti, séances de vaudou comprises. La magie opère, histoire fabuleuse d’au-delà des morts, histoires d’eau et de lumière. L’envie de plagier un grand auteur-compositeur qui résume bien mon ressenti et ce livre : un soleil ivre de de rage tourne dans le ciel Et dévore le paysage de terre et de sel…

« C’est ça, la mer ?
Eneido le confirma, tout en posant son hippocampe séché sur une soupe de manioc. Il donna le plat à la chienne.Oui, c’est ça la mer. Elle fait du bruit, c’est un vent qui passe par-dessous. Dans le fleuve, l’eau coule, mais dans la mer c’est le moyen de compter le temps, puisque chaque vague dure une minute. »

« Les Malaquias », Andréa Del Fuego.
Traductrice : Cécile Lombard.

15 commentaires:

  1. Jamais trop lu de littérature do Brasil. Par contre, vu, revu et rerevu le fabuleux film Antonio das Mortes. Obrigado (l'un des trois mots de mon vocabulaire luso).

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    1. Moi non plus, la littérature brésilienne n'est pas autant diffusée que la littérature chilienne ou argentine.

      Obrigado, c'est un bon début, pour commencer une conversation. Les deux autres mots ne seraient pas cerveja et tanga ? Moi aussi, je m'arrête à trois, loin d'être un lusophone confirmé...

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  2. Je lis trop rarement d'auteurs brésiliens... (Goran : https://deslivresetdesfilms.com)

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    1. moi aussi... et celui-là fut une grandiose découverte...

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  3. Saúde ! Ca fait 4.
    A l'aperitivo ça le fait ! Aperitivo du coup ça fait 5. :-)

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    1. Bientôt, je vais pouvoir aller draguer sur les plages de copacabana, j'ai déjà l'essentiel du vocabulaire...

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  4. Eu adoro a capoeira... Ah non, je veux dire : il faut que je lise ce livre !

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  5. Tabarnak faut vraiment un jour que j’découvre ce coup de foudre qui a perturbé ton âme! Voyager sur les étendues sauvages et arides du Sertao et me baigner dans les eaux douces de cette belle poésie. Et au passage, y tremper mon majeur...
    Caruarú hotel centenario, nuits de rêve à s’faire sucer l’sang par les moustiques, crisse de câlisse ^^

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    1. La poésie du Sertao, magnifique. Une histoire d'o sublime...

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  6. J'arrive un peu tard, mais avec ton billet et celui de Rebby, je suis plus que tentée de descendre en Amérique du Sud. Intérêt vivement piquée...

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    1. C'est dire que le billet de Rebby est d'une telle qualité qu'il me donne envie de lire de nouveau ce bouquin, et de faire du pédalo sur ce lac...

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    2. Avec un peu de chance tu trouveras peut-être un pédalo avec toboggan, tu es dans un autre siècle maintenant ;)

      J'y vais début octobre d'ailleurs, dans le coin de ce lac, je vérifierai cette histoire de toboggan (bon c'est hors saison la baraque de location sera sans doute fermée)

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  7. Merci pour la traductrice, dont vous citez les mots et qui a visiblement selon vos propos réussi à transmettre l'écriture illuminée de l'auteure. :) Dommage que vous ne citiez pas son nom...
    Coridalement,
    Cécile Lombard

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    1. Vous avez entièrement raison. J'aurais du. Parce que ces mots, vos mots, m'ont transportés bien loin. J'ai rarement lu des romans aussi fort et étranges pour faire parvenir ces sensations, cela doit être un assemblage de deux visions, l'auteure et la traductrice.

      J'ai regardé, et je me réjouis d'avance, je vais pouvoir vous relire - nul doute bientôt comme vous m'avez remis le goût à la bouche avec votre commentaire - puisque vous avez traduit également le second roman de Andréa Del Fuego, Les Miniatures.

      Et oui, je vais essayé de rajouter le nom du traducteur quand je suis pris par la plume du récit...

      Merci d'être venue par ici...

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