dimanche 25 novembre 2018

L’Acid Queen de Bradford


C’est presque une histoire banale, une histoire d’adolescence au cœur de l’Angleterre. L’histoire commence comme une confession, le besoin de revenir sur son passé, de s’expliquer et de clore les souvenirs de cette époque. Je m’installe dans un pub de Bradford, une bière à la mousse bien blanche, des chômeurs jouent aux fléchettes, des supporters se préparent à la réception de Manchester, des punks jouent du couteau en braillant, je découvre la vie de Billie Morgan, Billie comme un hommage à Billie Holiday.

« Mon histoire n’a rien de bien original ; comme ces interminables ballades folks geignardes, elle s’est répétée inlassablement au fil des siècles, il suffit de changer les frusques et les drogues correspondant à l’époque. Une fille baisse sa garde, une fille est bourrée ou défoncée, une fille se fait violer. Dans mon cas, comme de bien entendu, c’est l’acide qui m’a trahie. J’étais au Crown, et j’étais défoncée. J’avais seize ans, j’étais dans ma première année aux Beaux-Arts, je vivais gaiement ma vie d’étudiante bohème et j’étais dans les vapes, à écouter les sonorités chimiquement améliorées de Walk on the Wild Side (que je ne peux toujours pas entendre sans ressentir un pincement dans ma poitrine, comme un retour de trip). La musique ne cessait d’ondoyer et de perdre sa définition, brodant des virgules de lumière en trois dimensions dans l’air, et tout à coup, voilà Steveo, avec sa belle gueule et ses cheveux longs, sa chemise à fleurs ouverte jusqu’à la taille, un collier de perles rebondissant sur sa poitrine lisse, les revers de son pantalon patte d’eph à boutons descendant au ras du sol autour de ses bottes argentées. Il me décocha un sourire, je lui rendis et lorsqu’il s’assit à côté de mi, son relent de patchouli, d’encens et de sueur fraîche, dérivant en volutes pastel évoquant des écharpes de soie en lambeaux, me fit bicher. »

Billie, comme toute la jeunesse de l’époque, est perdue dans ce monde-là, enfermée dans la tristesse de son père et l’indifférence de sa mère. Ça sent la révolte à 16 ans et claque la porte de son foyer manquant tant de chaleur et d’humanité. Direction un squat, quelques hippies pas vraiment peace & love et fleurs des champs dans les cheveux. Des hippies à la mode sex & drugs, une bande de motards qui n’a rien à envier à l’esprit mythique des Hells Angels. Elle découvre, les premières pilules, la drogue, l’alcool. Elle devient intéressante, elle l’insignifiante, elle fait partie d’une bande, respectée même, du moins on la regarde… jusqu’au jour où ce qui devait arriver arriva… le viol. Et l’irréparable…

« J’étais défoncée. Complètement partie. Dans la stratosphère. Tout le monde pouvait le voir, après tout, dans le pub, tous savaient que j’étais l’Acid Queen de Bradford ? J’étais réputée pour ma consommation ostensible de pilules bleu pâle. Sauf que personne n’avait jamais su qu’en réalité, je ne prenais jamais plus d’une moitié, que je faisais semblant d’en gober à la chaîne pour avoir l’air cool, adulte. Mais oui, j’avais eu ma moitié, c’était du lourd et j’étais vite montée. C’était un fait. »

C’est une histoire qui se passe de musique folk issue d’un pub avec une bière tiède, c’est plus une histoire violente et sociale qui demande la puissance du rock, du glam au punk, une bière brune plus forte pour percevoir le pouls de cette région, une histoire où l’esprit band et la culpabilité rongent petit à petit l’âme humaine. Un roman à la fois pudique et d’une grande violence, à l’image de la société des années soixante-dix. Joolz, poétesse et romancière tatouée et tatoueuse, très active sur la scène punk anglaise post 80, dévoile l’histoire sociétale de Bradford, sa ville, une descente violente dans les bas-fonds de l’adolescence.   

« Et de toute façon, personne ne renâclait lorsque Steveo – qui, tout le monde le savait, était un queutard qui en était presque à faire des encoches sur les barreaux de son lit à chaque coup – semblait se soucier d’une petite chose comme moi, surtout dans cet état. Il allait me ramener chez moi, s’assurer que tout irait bien – mais il fallait juste qu’il s’arrête à son appart’ pour prendre quelque chose…
Lorsqu’on y arriva, il ferma la porte et me tapa dessus pour me rendre docile. Puis il me sauta. »

« Billie Morgan », Joolz Denby.




6 commentaires:

  1. Réécouter Roger, Pete, John et Keith. Hurrah for Tommy. Merci l'ami.

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    1. J'ai jamais été un grand fan... Sauf de Tommy ! Alors je me devais, juste égoïstement pour me faire plaisir, et me dire que cela fait bien des années que je n'ai pas visionné Tommy, l'opéra rock, Elton John, Eric Clapton, Tina Turner...

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  2. C'est le moins que l'on puisse dire !... ;-)

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    1. j'ai connu lecture plus drôle... mais plus intense aussi...

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