lundi 13 mai 2019

Poésie de l'Absinthe

Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.

A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d'eux.

L'albatros.


L'air piteux, j'ai ressorti d'un carton tout poussiéreux, ces fleurs du mal, fleurs jaunies et fanées de les avoir laissées dans un coin sans les arroser. Le pichet d'eau à la main, je te rassure, dans l'autre, il y a ce verre de petit jaune qui m'accompagne, je replonge dans ces mers et redécouvre toutes les annotations que j'avais soulignées au crayon à papier HB de l'époque, si je me souviens bien, c'était au siècle dernière, livre que j'ai choisi pour l’épreuve de français d'un baccalauréat passé sans passion ni idéal.


Il y a peu - très peu même - de bouquins qui ont marqué ma carrière du fond de la classe, écouteurs autour du cou, coude sur le radiateur, le regard porté sur mon silence déjà abyssal. Peut-être est-ce même le seul, l'unique qui a retenu toute mon attention. A défaut d'idéal, je pense que j'étais déjà attiré par le spleen, des prédispositions probablement à me sentir pas à mon aise dans cette vie-là.   

Vous êtes un beau ciel d'automne, clair et rose !
Mais la tristesse en moi monte comme la mer,
Et laisse, en refluant, sur ma lèvre morose
Le souvenir cuisant de son limon amer.

Causerie.

Je pioche quelques lignes par-ci par-là, dans ce recueil aux écueils souvent sombres. C'est en cela que je me dis qu'il faudrait l'avoir toujours sur soi. Dans la poche de gauche, ces fleurs du mal ; dans la poche de droite, les contes de la folie ordinaire. Ainsi équipé, du spleen et de l'idéal, ces souvenirs de pas grand chose m'accompagneront à la tournée des bistrots. Après tout, la poésie est signée Charles dans les deux opus et aucun Charles ne refusera de partager avec mon spleen l'idéal d'une absinthe ou d'une bière. Il m'arrive même de me sentir à la terrasse d'un café, ces deux poètes posés sur la table encadrant respectueusement mon verre. J'imagine alors cette brune passer, au sourire indécent et au regard incandescent. Elle s'assoit en face de ma tristesse, les paris sont ouverts pour savoir sur quel Charles va-t-elle commencer la discussion.

« Les Fleurs du Mal », Baudelaire



Ce soir, la lune rêve avec plus de paresse ;
Ainsi qu'une beauté, sur de nombreux coussins,
Qui d'une main distraite et légère caresse
Avant de s'endormir le contour de ses seins,

Sur le dos satiné des molles avalanches,
Mourante, elle se livre aux longues pâmoisons,
Et promène ses yeux sur les visions blanches
Qui montent dans l'azur comme des floraisons.

Quand parfois sur ce globe, en sa langueur oisive,
Elle laisse filer une larme furtive,
Un poëte pieux, ennemi du sommeil,

Dans le creux de sa main prend cette larme pâle,
Aux reflets irisés comme un fragment d'opale,
Et la met dans son cœur loin des yeux du soleil.

Tristesses de la lune.

15 commentaires:

  1. Un exemplaire des Fleurs du mal ne peut qu'être usagé, écorné, jauni, abîmé comme un vieux blues. Tiens, d'ailleurs c'est ça Les Fleurs du mal, un recueil de blues ancestral et douloureux, comme on les aime toi et moi. Je n'ai plus Les Fleurs du mal. Je l'ai donné à une femme qui passa, qui compta, pour qui j'écrivis aussi quelques textes, oh, pas du Baudelaire. J'aime à croire que, comme dans la belle chanson de Michel Jonasz (je crois que c'est Dites-moi), elle l'a toujours dans son sac. Tu le crois aussi, hein? Merci cher Bison. Buvons un verre...

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    1. Tes textes ou ceux de Baudelaire doivent se confondre facilement, car tous deux écrits avec le cœur... Qui sait ce que transporte une femme dans son sac ? Peut-être ton exemplaire, mais je suis sûr que s'il n'est pas au fond de son sac, elle l'a gardé au fond d'elle-même... C'est la raison même du blues.

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  2. Mea culpa. Désolé. Dans la belle chanson de Jonasz c'est L'île au trésor. Mais les deux livres ont eu tant d'importance. Du coup et pour me faire pardonner je t'offre un rhum à la santé de Long John Silver et de l'Albatros aux ailes trop grandes. Salut l'ami.

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    1. L'île au trésor, j'ai du le lire... quand j'étais bien bien jeune... une époque où je ne savais pas ce qu'était le rhum. Je prends maintenant le verre, double même, et peut-être qu'un jour je relirais Stevenson...

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  3. Personnellement, Les Fleurs du mal me rappellent la fac et une prof odieuse...

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    1. J'avoue que je ne me souviens même plus de ce prof de français... J'étais trop dans mon coin pour m'ouvrir à qui que ce soit dans la classe, profs ou "camarades"...
      Mais ces fleurs du mal ne me quitteront probablement jamais...

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  4. marrant ça ! Je viens de le repêcher également il y a quelques jours dans un carton également poussièreux

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    1. C'est sympa de retrouver dans un vieux cartons, de vieux livres... Comme de vieilles bouteilles...

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  5. Un trésor à conserver, et à transmettre !! :)


    J'écrivais cela, il y a trois ans et demi (deux jours après mon inscription sur Babelio) ; et je le pense tout pareil :

    Notre part de "beau" et notre part de "sombre".
    Une existence comme un champ de Fleurs, aux pétales qui fatalement se faneront bien un jour.
    La beauté de la douleur, l'acidité de la douceur.
    J'aime la véracité et la lucidité de Baudelaire...
    Il nous tend souvent le miroir de nos âmes, tourmentées, angoissées, heureuses et malheureuses à la fois.

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  6. J'aime le spleen, cette émotion vivante et pleine de profondeur.
    Et cette noirceur qui n'en est pas une. J'aime Baudelaire, que je lis et relis, que je lis et relirai jusqu'au dernier souffle.
    Baudelaire c'est un livre ouvert sur l'âme et le coeur.
    C'est beau aussi la tristesse, elle fait place à tant de lumière...
    Billet tout en finesse et douceur <3
    Fermons les yeux un instant

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    1. Je l'avais mis de côté. Maintenant que j'ai retrouvé ce livre, j'ai effectivement envie de le feuilleter, j'aime la beauté de cette tristesse...

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  7. L’Albatros de Baudelaire fait battre mon coeur à tout rompre. Je connais ce poème sur le bout des doigts depuis mes 9 ans. J’étais au tableau, l’instituteur tourne les feuilles de mon cahier de poésie et l’arrête au hasard sur l’Albatros. Je souris, heureuse je suis de réciter mon poème préfèré.
    J’aurai 10/10 et je me rappelle de ce moment comme un souvenir très heureux. Baudelaire et Rimbaud m’ont mené très tôt vers l’amour des mots et de la lecture, Bukowski viendra bien plus tard ;-)
    Merci de me rappeler ce souvenir émouvant de mon enfance et de partager le tien.

    Le poète est semblable au Prince des nuées
    Qui hante la tempête et se rit de l’archer,
    Exilé sur le sol au milieu de huées,
    Ses ailes de géant l’empêchent de marcher .

    <3

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    1. Il te reste de beaux souvenirs de tes 9 ans... Moi, à cet âge-là... qu'est-ce que je faisais... probablement rien... en tout cas, je ne récitais pas du Beaudelaire, peut-être même pas du Bukowski...

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