dimanche 26 mai 2019

Le Palais des Doges

« Pour être précis, il faudrait dire qu'entre les Doges et le village les kilomètres ne duraient pas pareil, selon qu'on était en bonne ou en mauvaise saison. Les distances, dans ce coin-là, c'est du temps, pas des mètres. »

L'hiver, la neige, le froid. Une ferme isolée. Gus et son chien à l'intérieur. Solitude d'une vie où son histoire est lourde de conséquences. Père et mère, mouais... Gus vit seul maintenant dans cette ferme. Les travaux de la ferme rythment ses journées. Il ne s'en plaint pas d’ailleurs. C'est sa vie. Il enfile ses sabots, siffle son chien, prend une masse. Il a une clôture à refaire au fin fond du jardin de son palais, la ferme des Doges.

Il rentre se réchauffer, regarde la café chauffer sur la gazinière. Café bouillu, café foutu disait sa mémé. Alors, il garde les yeux rivés sur la casserole. Brûlant, il l'aime, sans sucre aussi. Une goutte de gnôle, dedans pour aromatiser. Ou pour oublier ce genre de vie solitaire où son seul voisin est encore plus vieux que lui survit dans les mêmes conditions à quelques temps de sa ferme.

« - Tu veux que je te dise vraiment le fond de ma pensée ?
- Je t'écoute.
- Le diable, il habite pas les enfers, c'est au paradis, qu'il habite.
Abel sortit là-dessus, en laissant sa réflexion se balader dans la pièce, tel un chien qui aurait perdu son maître. Le genre de truc qu'on balance en sachant que ça fera son chemin à coups de hache.  »

Gus enfile ses sabots, siffle son chien, prend sa carabine. Il grimpe sur une grosse branche et scrute le ciel. A la recherche d'une grive à déplumer pour ce soir. Il n'a pas appuyé encore sur la gâchette qu'il entend un coup de feu. La ferme du vieux, Abel. Il s'avance difficilement dans la neige fraîche et observe le silence alentours. Il ne voit personne, des traces de sang frais par contre tâchent la blancheur immaculée de cette neige. Il rentre chez lui. Après tout, les affaires des autres ne sont pas ses affaires. De toute façon il n'a rien à dire. Gus et Abel ne parlent pas pour rien dire, les amabilités ce sont pas le genre de la maison, quelques coups de mains, pour réparer une clôture, ramasser les foins ou soigner les bêtes, un point c'est tout. Et le silence règne.

« Le soir allait s'éterniser, avant d'abdiquer et de se laisser engloutir par la nuit. Gus était décidé à rester dans cette nuit, pour mettre le point final à ce qu'il venait de vivre. Il ne craindrait plus l'obscurité, le froid, la solitude, parce qu'il était lui-même devenu la nuit, le silence, la somme de tous les jours passés, et que le futur n'existerait plus jamais. »

Et voilà que commence l'atmosphère pesante de ce huis-clos silencieux et sombre en terres cévenoles. Du polar rural bien de chez nous qui brûle le gosier de son tord-boyau maison. Il faut entrer dedans, penser à mettre des bûches dans le foyer de la cheminée, ne pas détourner les yeux de son café. Dommage. Je vais en décevoir, - oui, toi qui a lu ce livre et qui a adoré, ne te retourne pas je parle bien de toi, lecteur anonyme - ce polar a toutes les qualités requises, je suis resté un peu en dehors de cette ferme, j'ai pas réussi à me plonger dans cette terre sauvage, est-ce parce que je ne connais pas les Cévennes. En plus l'abbé Pierre vient de mourir, ça plombe d'entrée l'ambiance. Et les témoins de Jéhovah qui s'amènent... Un grain de sable dirait-on dans le désert, ici ça serait plutôt un flocon de neige, qui vient enrayer la mécanique de la vie, et qui entraîne un enchaînement d’événements où le Diable semble s'en mêler. Sombre et sans espoir. Et le silence se tut.

« Grossir le Ciel », Franck Bouysse.


10 commentaires:

  1. Tu n'as pas aimé ce livre ??? Sacrilège !!!
    Pourtant un taiseux comme toi... Tu n'as peut-être pas aimé t'y reconnaitre ! ;)
    J'ai adoré et j'adore l'écriture de Franck Bouysse.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je sais, je l'ai dit, j'ai prévenu, j'ai honte de m'afficher devant vous... Peut-être que s'il avait remplacé les Cévennes par l'Iowa, j'aurais plus basculé dedans... Ou peut-être, comme tu le dit, parce que je sens que Gus c'est moi et donc que c'est pas beau à voir...

      Supprimer
  2. manU m'ôte les mots de la bouche (un "taiseux") !
    Tu n'as plus qu'à aller visiter les Cévennes...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Trop de silence dans les Cévennes. Je préfère le silence d'ici.

      Supprimer
  3. Il faudrait désherber un peu ;-)

    Les livres c'est comme les films, yen a qu'on a pas le droit de ne pas aimer..

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Cette année, je m'occupe à planter... Je verrais l'année prochaine pour désherber :-)

      Supprimer
    2. Bon ben, s’il fallait tous les aimer, c’est comme la frette, dur de choisir entre brune, blonde ou rousse :D
      La bonne nouvelle c’est que dans cette atmosphère d’hiver, de neige, de froid et de frette, ça prend ben d’la frette pour faire passer l’hiver, ou la solitude des pages...

      Supprimer
    3. la frette, y'a rien de mieux pour passer l'hiver... avec le rhum, aussi... Idem pour la solitude...

      Supprimer
  4. Crisse j'ai même pas posté mon com à la bonne place! ^^

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est ça quand on ne choisit pas entre la brune, la blonde et la rousse et qu'en une soirée on se tape les trois...

      Supprimer