Lieu : Irlande
Lever du soleil : 7h25 | Coucher du soleil : 19h29
Décalage horaire : - 1h
Météo : 17° ressentie 14°. Ciel très nuageux. Pluie faible
Latitude : 53.270668 | Longitude : -9.0567905
Musique : Stolen Child, Loreena McKennitt
Un Verre au Comptoir : Delirium Tremens
« - Tu veux bouffer un morceau ou juste te biturer ?
- J'aime mieux me biturer.
- Barman ! »
Bam ! Je claque la porte. Une urgence sérieuse. Je
descends en quatrième vitesse, les escaliers en bois craquent sous mon poids.
Je m’essouffle, mais c’est le lot de toute urgence dans ce métier. Le ciel est
noir, des tonneaux de nuages prêt à déverser ses hectolitres de pluie glacée.
Peu importe, de toute façon, la pluie, une vieille habitude dans ces ruelles de
Galway qui sentent aussi bon la pisse que la gerbe de Guinness. Mais je ne suis
pas là pour jouer les touristes, je l’ai déjà dit, l’urgence urgente, comme
lorsque ta vessie est pleine à craquer et que devant le seul lampadaire de la
rue une mémère fait pisser son clébard fripé. Les néons d’un bar ne prennent
même plus la peine de clignoter, usés par le temps et le vent. Je m’engouffre,
l’imperméable du privé trempé, le regard triste d’un chien mouillé, dans
l’antre sombre. Je jette un regard, genre mauvais, au barman, un dénommé Rufus,
qui m’apporte avec toute la nonchalance qui sied à un barman, ma pinte de
Guinness tapissée de sa mousse crémeuse, et un shot de Jameson, pour réchauffer
mes vieux os, fourbus par le temps, mouillé et séculaire. J’allais être en
manque, un irlandais sans sa pinte manquerait cruellement de classe. L’urgence
s’efface quand je trempe mes lèvres.
« Je regardais autour de moi. Toujours le même vieux
pub avec la rangée de gros buveurs tristes au comptoir, enchaînés à leurs
pintes par des rêves qui n’avaient plus cours. »
Hurlement du vent, les volets claquent. Claque la
porte. La peur s’immisce tel un couteau affûté dans un morceau de chair. Le
rythme cardiaque s’accélère, éclatement de verre, une femme se brise. Mille
éclats dans la nuit noire. Elle entend ses mots, maux maudits qui déchirent le
ciel. Elle reçoit ses coups, coups de poing lâches et méprisants. Une envie de
vomir, la bile qui remonte à la surface, reflux de souvenirs haineux. Mauvaise
pente. Et c’est l’exil…
Bourrasques de vent, longue route étroite. Grace
accélère, à fond la caisse elle ne voit plus que le bout du tunnel, des éclats
de lumière dans une vie qui renaît. C’est le choc, une odeur d’Irlande après
des jours de pluie. Elle fuie Monaghan, parce qu’il faut fuir, surtout ne pas
rester, les souvenirs sont trop lourds, aussi douloureux que l’homme qu’elle a
laissé derrière elle, gisant sur le bitume. À défaut de pouvoir se noyer l’âme
à la bonne vieille taverne chez Rufus, elle entre dans un pub irlandais,
commande une pinte de Murphy's Draught – le stock de Guinness ayant souffert du
passage d’un Bison. Martin est là, ce fils avec qui elle partage de lourds
secrets. Il faut du temps pour se ré apprivoiser et comprendre qu’il n’y aura
que ce même temps pour accepter l’idée que les choses ont changées, que l’on a
soi-même changé. Que le regard sur la vie n’est plus pareil, ni sur les autres
ni même sur soi. Mais que l’ancrage qui résiste aux intempéries est fait de
souvenirs communs et d’amour. Il faut du temps pour apprendre à revivre…
« Ce sont les détails obscènes que je veux effacer
avec chaque verre. Mais ils sont gravés sur mon âme, fétides. Impossible de
s’en débarrasser en secouant la tête. »
Le lieu, sous une pénombre à peine travaillée, devient
un bouge de la solitude. Je me sens las, la bière à la main. Une musique au
fond. A droite, les toilettes. A une table, le regard perdu, le rimmel coulé,
une blonde devant sa bière brune. Le pub en milieu de matinée est le repaire
des gens perdus. Pas de chaleur humaine, on y va pour sentir la solitude, celle
du pauvre type alcoolique ou celle de la femme battue par son mari. Le rimmel
qui coule n’est que le masque des larmes d’une vie. Je m’avance pour m’asseoir
à sa table. Ma route dévie au dernier moment vers la porte de sortie. Pas d’humeur
à l’accabler de la tristesse d’un type ruisselant de pluie et de dégoût. Les
gens tristes ne se mêlent pas aux autres, la tristesse étant une maladie d’une
contagion fulgurante. De toute façon, j’ai une autre affaire. Le genre
d’affaire qui nécessite de me replonger dans un autre pub, encore plus vieux,
encore plus sombre, encore plus triste, le genre à servir de la Guinness sans
qu’on ait besoin de demander, parce que le barman connait son métier, ses
remèdes contre la mélancolie d’un type comme moi. D’ailleurs, je ne me souviens
même plus pourquoi j’ai été engagé. Retrouver un tueur ou une nana, l’assassin
d’une nana ou son violeur, ou le mari de cette nana qui la prend pour un
punching-ball et à qui je dois lui faire passer un message, du genre coup de
batte dans les couilles, si tu me suis… Ou une mère qui pleure le suicide de sa
fille qui ne s’est pas noyée « seule ». Sauf que je m’en fous un peu, je traine
dans les pubs, toujours plus esseulés. D’ailleurs, je l’ai toujours dit, je ne
suis pas Jack Taylor pour ses enquêtes, mais pour ses délires alcoolisés, ses
vues solitaires dans les bouges de Galway, ses références littéraires, et
surtout ses pintes de Guinness et de Murphy’s Draught qui coulent à flot, comme
toute bonne littérature irlandaise.
« Je lis. Je lis beaucoup. Entre deux soûleries, je
bouquine. »
Face au comptoir, il y a ce grand miroir que je ne
peux regarder. Voir cette sombre face qui m’anime est d’un dégoût total. Même
si par le truchement de ses reflets, je découvre cette brune, aussi brune que
les parfums roux de l’Irlande. Elle est là, assise à la table voisine, l’air
hagard, devant sa blonde. Dans la mousse de sa bière, elle voit défiler le
temps comme autant de souvenirs douloureux, l’ivresse sans fin d’une âme
meurtrie, partant à la recherche de soi-même. L’exil est fait d’embûches. Il
faut s’efforcer sans cesse de ne regarder derrière faute de quoi nos pas
s’affaiblissent, le rythme décélère et il ne reste plus, au fond du verre,
qu’une seule goutte d’espoir. Alors garder le cap. Se dire que ce qui lie une
mère à son fils ce sont les souvenirs communs et l’amour. En dépit de son
mépris, à lui, de ses rejets, ses colères, ses incompréhensions. Avant tout,
pardonner...
Sifflement du vent, mains glacées dans les eaux de l’hiver.
Un enfant s’est noyé. Il est injuste de mourir à l’instant même où tes yeux
croisent le regard des étoiles. Elles sont pourtant si lumineuses, elles
auraient dû t’indiquer le chemin à prendre, ou celui à éviter. Entre collines
et falaises, le clapotis de l’eau, les sons, les odeurs et les étés dans le
lac. Le hurlement du vent qui fait claquer les volets. J’ai fui Monaghan avec
Grace et je me suis surprise à emprunter les pas de son histoire. J’ai fui
l’amour la vie avec Jack Taylor et je me suis noyé dans l’âme de la Guinness,
sombrant dans la poussière de ma putain de vie.
« Quand la poussière retombe
Il ne reste
Que la poussière. »
Les Escales,
un trip littéraire composé à 4 majeurs,
amarrée des mots et de la poussière.
Prochaine escale : Russie
J'avais beaucoup aimé Le martyre des Magdalenes et ça fait une éternité que j'ai envie de le lire ce Delirium Tremens, rien que pour le titre déjà...
RépondreSupprimerPis accorder, le titre du livre à sa bière pis même à son verre, moi je dis chapeau bas le gars Bison, t'es ben fin !!
J'avais pas apprécier le martyre des Magdalenes à sa juste valeur. C'est que je ne connaissais pas encore bien jack Taylor. Mais ce Delirium vaut tous les fûts de Guinness.
SupprimerLe titre, la bière, le verre... Je sais, ça fait partie de ma fierté. Je ne pourrais plus faire mieux, je peux ainsi reposer en paix, j'ai accompli la mission de ma misérable destinée.
Ah ben maudit, si j'avais sû qu'en voyageant avec toi j'contribuerais à te faire accomplir ta mission, on s'rait aller boire de la Guiness en Irlande avant!!! ^^
SupprimerCela fait des années que j'attendais cette suprême envie, d'allier à la perfection bière et livre... Merci...
SupprimerEn même temps, j'ai mis tellement de temps à faire accoster mes mots que t'as forcément eu l'occasion de connaître l'Irlande par coeur!
RépondreSupprimerC'était beau l'Irlande tu trouves pas? Un peu de pluie mais beaucoup de mousse houblonneuse...
Merci d'avoir fait ce voyage avec moi :-*
Bah... Je suis jamais pressé... Faut savoir prendre son temps dans la vie... surtout devant une bière...
SupprimerBonjour le Bison, je regrette que Ken Bruen et ses enquêtes de Jack Taylor ne soient plus traduites en français. Il y en a au moins 5 en attente. Je suis fan de Jack Taylor depuis le début. Bonne fin d'après-midi.
RépondreSupprimerC'est dommage, effectivement. Ce Delirium Tremens m'a donné furieusement envie de "suivre" quelques autres de ses enquêtes...
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