jeudi 30 avril 2020

Un Hôtel de Classe Internationale

L'heure du petit déjeuner, chocolat brûlant, pour ces premières heures de vacances. Maman, a laissé le journal à côté de mon bol, page des petites annonces. J'ai quelques poils qui poussent sur le menton, le signe que j'attendais pour trouver un job d'été. Pas encore dix-huit ans, et pourtant une sacrée manne de connaissances, le gars, le grand Maximo (sic) Seigner. Il faut dire que pendant que ses petits camarades découpent des photos de lingeries dans les catalogues maternelles de vente par correspondance, lui le grand Maximo, abonné depuis des années à la revue « Ici et Maintenant », découpe, classe, fait des fiches sur tous les articles à teneur hautement scientifique, la chaîne du Carbone n'a plus de secret pour lui ni le rôle des mitochondries dans la respiration cellulaire. Et si tu es du genre à penser que mitochondrie est une insulte, abonne-toi de suite aux revues « Connaissance » et « Ici et maintenant », voir à « Sciences et Vie Junior » pour les moins téméraires.

« Quand elle haussa épaule et bras, sa robe mouillée souligna les volumes de sa poitrine. C'était une robe d'été couleur crème, qui lui mouillait la taille, les hanches et le buste, et qui n'était vraiment pas conçue pour être portée mouillée, car le tissu paraissait maintenant collé à son corps, comme fraîchement peint sur la peau. Il me sembla que c'était une robe très moulante pour une femme mariée qui sort seule le soir, et je me demandai un instant si cette rivière alcoolisée que son haleine et sa conduite trahissaient avait été ingérée seule ou accompagnée, et par qui. »



Entourée au feutre rouge, une annonce requiert toute son attention, il s'agit d'un poste de « groom » dans un hôtel de classe internationale. Après tout, vu ses connaissances sur le monde extérieur, cela pourrait être tout à fait son affaire. Il s'y présente, hôtel
Samarcanda, le courant passe étonnamment bien avec la gérante, une belle femme qui, il l'apprendra par la suite, a un beau penchant pour l'alcool. Moi, les femmes qui ont cette délicieuse qualité m'apparaissent toutes plus belles et irrésistibles, elles m'émeuvent. Maximo, lui, se demande comment réagir, avec sa méga culture qu'il a emmagasiné depuis sa plus tendre enfance dans ces magazines « Ici et maintenant »...

« Je décidai finalement d'aller dans la chambre inoccupée, de m'allonger sur le lit et de réfléchir à mon père, à mes perspectives d'avenir, au sort de ma mère et du nain, à l'idée de me raser régulièrement, à l'inévitable et progressive invasion de mon espace intime par les femmes, à la peur de rester petit avec des jambes arquées, à l'importance du calcium en l’occurrence, à l'équilibre acido-basique, au bizarre filigrane de la chaîne carbonée, à la cohésion interne des atomes, et avant que cette ampoule de plus en plus petite m'emmène dans les particules subatomiques, la conscience m'abandonna, ou plutôt se retira dans une pièce interdite pour moi, le Maximo Seigner qui se parlait à lui-même à l'état de veille. »

Voilà donc un drôle de roman, par moment burlesque mais essentiellement touchant, l'histoire de cet adolescent, qui n'est pas tout à fait comme les autres, qui vit depuis des années un peu dans son monde à lui, celui d' « Ici et maintenant », une bulle pour ne pas se laisser envahir par son nabot de frangin et l'absence d'un père. Un roman qui est surtout très bien écrit - donc formidablement traduit, belle plume chatouillante qui se laisse lire aussi bien dans les chiottes d'un hôtel miteux que dans un fauteuil en cuir, vieil odeur de cigare, du hall d'un grand hôtel dont les étoiles s'affichent autant sous la lune bleue à travers la baie vitrée que sur la devanture de celui-ci, un hôtel genre de classe internationale.

« Ici et Maintenant », Pablo Casacuberta.
Traduction : François Gaudry.

'This could be Heaven or this could be Hell'
Then she lit up a candle and she showed me the way
There were voices down the corridor,
I thought I heard them say...
Welcome to the Hotel Samarcanda
Such a lovely place Such a lovely face
Plenty of room at the Hotel Samarcanda
Any time of year, you can find it here



So I called up the Captain,
'Please bring me my wine'
He said, 'We haven't had that spirit here since nineteen sixty nine'
And still those voices are calling from far away,
Wake you up in the middle of the night
Just to hear them say...
Welcome to the Hotel Samarcanda
Such a lovely place
Such a lovely face
They livin' it up at the Hotel Samarcanda

10 commentaires:

  1. Salut, le Bison
    Mitochondrie : un mot qui aurait plu au Capitaine Haddock ! Mais il fait moins rêver que le nom de Samarcanda...au parfum d'Orient évoquant la route de la soie.
    Où se passe le roman ?

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    1. Loin, très loin de la route de la soie. Même si il ne me semble pas précisé, j'imagine que cet hôtel Samarcanda, hôtel de classe internationale, trône dans les rues de Montevideo, Uruguay...

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  2. Rudement tentant ça. Est-ce espagnol ou sud-américain? Je ne connais pas. Par contre je connais l'hôtel le plus célèbre de l'histoire du rock. Et un peu les mitochondries mais moins bien que The Eagles.

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    1. Ce fut ma toute première incursion en Uruguay. Je n'avais pas eu encore l'occasion d'y traîner mes sabots littéraire...

      Quand à l'hôtel le plus célèbre de l'histoire du rock, je pensais que tu avais plutôt ta chambre et tes habitudes au Chelsea Hotel :-)

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  3. La plume chatouillante comme les doigts des guitaristes. Je n'ai jamais beaucoup aimé cet Hôtel California (mon Jules adorait, je l'ai donc BEAUCOUP entendu) mais je reconnais que j'ai écouté et regardé cette version live intégralement et avec grand plaisir.

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    1. Il avait bon goût ton Jules. Je l'ai beaucoup écouté dans ma jeunesse, mais c'est aussi dommage que le grand public n'ait retenu de ce groupe que ce titre. Alors que... Desperado... c'est aussi quelque chose, moins dans la fougue mais pas mal de frisson et de tristesse...

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  4. Je viens de l'écouter. Je ne connaissais pas. C'est magnifique. Mille fois plus beau que l'hôtel. Assez déchirant...

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    1. parce que j'aime bien les chansons déchirantes, j'en remets une couche pour ce midi, à accompagner avec un bon verre devin tout aussi déchirant...

      https://www.youtube.com/watch?v=JlucPG03nro

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  5. Quand on parle d'adolescence, c'est forcément touchant, enfin en ce qui me concerne.
    Quand on parle de gens "pas tout à fait comme les autres", ça me touche encore plus.
    Quand on me parle de mitochondries, c'est mon vieux fantasme de devenir biologiste qui me remonte à l'esprit, mais il n'est pas trop tard non plus.
    Quand on me parle d'absence, de plume chatouillante et d'hôtel genre de classe internationale, ça me titille l'âme.
    Quand on pimente le tout avec les Eagles et Hotel California, j'en perds vraiment la raison.
    Un fucking livre ...

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    1. Tant que le majeur est en activité, et qu'il chatouille l'âme, on peut parler :-)

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