jeudi 1 octobre 2020

Comme une Chronique de France Inter à Ouagadougou


« Et surtout madame Sankaké, gardez bien confiance dans l'administration judiciaire de votre pays, car si le chemin de la liberté est parfois tortueux, il arrive toujours à la justice. »

 Et je suis là à allumer la radio, le genre où tu mettais 6 grosses piles dedans pour faire crachoter de la musique ou une chronique de France Inter. J'écoute cette odeur de poulet qui mijote. Des parfums de cuisine et d'enfants qui jouent dans la cour, autour d'un ballon ou d'un vieux pneu usagé. La voisine prépare des galettes au miel. Un délice, un retour en enfance. Au son des tam-tam, la nuit se profile, la lune se défile, les étoiles illuminent. Une soirée autour d'une bière chaude, des femmes en pagnes, l'ambiance africaine. 

Et je suis là à tourner dans mon lit, entièrement nu, comme un ver de terre dans une assiette de piment. J'écoute l'absurdité de la vie - ou celle de l’administration burkinabè. Parfois les deux sont de concert. Mais la musique est différente. C'est celle d'une femme, celle d'une épouse, celle d'une mère qui se bat ensemble pour n'en faire qu'une et pour sortir son mari de prison, au son de l'injustice ou de l'incompétence. 


 « - Madame Sankaké, poursuivit le greffier, je vous le jure sur les têtes de mes deux femmes et de mes treize enfants, votre mari n'a même plus regardé le procureur. Il l'a négligé comme il faut ! Il n'a plus dit un seul mot, il s'est juste levé et il a demandé aux deux gros policiers de le ramener dans sa cellule. Il fallait voir les gens dans la salle ! Personne n'osait applaudir. Mais sur la tête de mes deux femmes...

- Et de vos treize enfants, l'interrompit maman qui ne cachait plus sa joie.

- Combien ? Treize ? Vous êtes sûre ? En tout cas, sur leur tête, madame Sankaké. »

Et je suis là à sentir cette force, ce parfum d'abnégation et d'arachide, ce pouvoir et cette envie dédiés aux femmes, à la mère de Roukiata qui la porte toujours sur son dos, le pagne serré, corps contre corps. La petite observe à hauteur d'hommes - ou de femmes en l’occurrence. Une histoire de femme, une histoire d'accent, une histoire de piment.

Épilogue : tandis que je finis tranquillement ma bière, dans le silence de la latérite, Roukiata revient sur un sujet sensible qui lui tient à cœur, le cœur d'une enfant, d'une fille, d'une femme, un sujet qui la touche, l'émeut, l'enrage, le drame qui bouleverse l'enfance de millions de petites filles comme elle, l'excision.

 « Je ferme les yeux un instant, j'écoute le silence. »

« Du Miel sous les Galettes », Roukiata Ouedraogo.
 
 
Sur une masse critique, 
la poussière rouge, mauvais karma ;
Merci donc à Babelio et les éditions Slatkine & Cie.
 
 

7 commentaires:

  1. Salut, le Bison
    Voilà que tu nous emmènes sous des cieux ensoleillés, nous qui sommes à présent entrés dans un automne aux températures nettement moins clémentes que celles de l'Afrique.
    Tout n'est cependant pas miel sous le ciel burkinabé...surtout pour les femmes.
    Une chronique qui donne envie de se plonger dans ce roman.

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    1. une chronique douce amère comme du miel dans une galette...

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    1. le gars, il pédale déjà toute sa sueur sur le vélo relié à la dynamo reliée au poste de radio, qu'il n'a plus la force pour pédaler pour le frigo... Alors une bière chaude, ça ne le dérange plus...

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  3. L'excision... à une époque j'ai accompagné de jeunes femmes revenues de ce cruel et sauvage rituel. Je sais que ton livre ne parle pas que de ce sujet, l'auteure y parle d'un pays, d'une vie, d'une enfance, de beaucoup de souvenirs..
    Mais tu en as fait un épilogue qui en qq sorte est une manière de rendre hommage à Roukiata et à toutes ces femmes :-*
    J'aime déjà ce beau livre...

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    1. Roukiata en a fait surtout et également son épilogue, moi je ne suis qu'un messager des épilogues et des histoires des autres.

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