Je sors de la gare de Bléville, une odeur de mazout, de port et de morue pas fraîche m’étreint la gorge. A une ère où il n’était pas encore question de tri sélectif, des panneaux d’avertissement affichent ouvertement : « Gardez votre ville propre » ? Je déambule dans les embruns, des ruelles étroites zigzaguent sur mon plan de la ville. J’hume, j’inspecte, je renifle, des odeurs de pisse, des odeurs de clopes. Un bistrot ouvert dès 5 h pour accueillir les premiers dockers et leurs premiers blancs secs. Je m’engouffre dedans comme le vent sous la jupe des vieilles rombières.
« Ça
sentait l’eau de Cologne, le tabac, le sel et la poussière de ciment. »
Je
me colle au comptoir, encore plus collant de la veille et de la décennie
passée. De quoi rester scotcher pendant des heures. Un vieux juke-box au fond
de la salle, sous un amas de poussière, comme des bijoux de famille qu’on
ressort une fois l’an.
J’y
vais de ma pièce de 1 franc, appuie sur la touche F puis 3. Cela commence par
un solo de batterie, un air de jazz du temps, au vent marin, à l’étrangeté
iodée. Je me recolle sur mon tabouret, skaï rouge craquelé. Un verre de bière
devant moi, la mousse brute et lourde. Une nana est à l’autre bout, une jolie
brune devant son Picon-bière. Genre Fatale, genre brune inoubliable, il y a des
sourires qui ne s’oublie pas, celui d’une nana devant un verre de bière en fait
partie.
« -
Tout ça manque de musique ! s’écria l’ivrogne au comptoir.
Aimée
commanda une bière, Fellouque un Viandox. Le gros jeune homme alla s’activer
derrière le comptoir. Il revint poser sur la table un demi de Slavia et une
grosse tasse blanche marquée Viandox en bleu et pleine de Viandox. »
Elle
découpe des articles dans La Dépêche du coin. Des morts suspectes, des gens de
la haute société, suspects eux aussi. De la pourriture provinciale en train de
fermenter dans son jus. Ça chlingue à tout vent, la corruption et le pognon. Ça
pue les rancœurs et le cigare froid. En plus y’a ce parfum de Viandox qui te
rompt les boyaux. Moi, je mettrais bien trois balles dans le buffet au connard
qui a commandé un Viandox et qui embaume la salle. Je préfère encore l’odeur du
souffre et de la sueur post-coït animal. Du sang gicle dans ma tête, sur sa
chemise, coule le long de ses aisselles masquant ses effluves de bourgeois
affamé devant le gloussement d’une blonde au décolleté souriant. Trois
détonations brutes, pas de silencieux, on n’est pas des tontons flingueurs.
« Aimée
vida soudain son demi de bière, d’un coup, goulûment. Elle s’essuya d’un revers
de main. Elle cogna contre la table avec le pied du verre et fis signe au
barman. Il leva le menton d’un air interrogateur. Elle commanda un autre demi
et un cognac. Il les lui apporta. Elle les vida l’un et l’autre avant qu’il eût
regagné la caisse.
-
La même chose, commanda-t-elle. »
Elle
est belle, Aimée, elle est brune ou blonde, comme une bière, aussi dorée qu’un
whisky même. D’ailleurs j’aime les brunes qui boivent une blonde. D’ailleurs,
ça fait des années que j’ai pas bu de Viandox… A l’époque cela devait être dans
les années 70… Et en plus, Aimée boit du cognac, du Hennessy, made in
Charentes. Quand tout à coup, la musique s’arrête, un hurlement dans la salle,
le bruit d’un grizzly en rut ou d’un bison ensommeillé. A moins que cela soit
celui dune grenouille dont on écrase sa patte d’un sabot poussiéreux…
« PUTAIN cria-t-il PUTAIN
MAIS C’EST PAS VRAI C’EST PAS POSSIBLE C’EST DINGUE !!! »
Oui, c’est dingue,
Complètement. Totalement.
Carrément même.
D’une dinguerie pas possible.
C’est l’anniv’ à la grenouille.
Tournée générale de
Viandox !
It’s Froggy’s Day
« Fatale », Jean-Patrick
Manchette.
je l'ai relu il n y'a pas si longtemps avant la sortie de son adaptation en bd ! un délice
RépondreSupprimerJ'aurai bien vu une adaptation en version ciné. Il y a une ambiance pour y faire un petit polar provincial tourné vers les 70...
Supprimeroh oui oh oui !
SupprimerQu'il est gentil mon vieux Bison de penser à sa vieille grenouille... :)
RépondreSupprimerLe Viandox, ça existe encore tu crois ?? ^^
Oui le viandox existe encore mon manU... je suis d'accord ca ne rajeunit pas tout ça ;-) Bisous anniversés :)
SupprimerLe Viandox, c'est bien plus vieux que la grenouille, et ça lui survivra peut-être...
Supprimer"Sous les jupes des vieilles rombieres" shit ! je porte une jupe !!!
RépondreSupprimerptdr ;-)
<3
Certes, mais tu ne dois être ni vieille, ni rombière...
SupprimerTabarnak! Pas trop certaine de savoir c'est quoi le Viandox... ^^
RépondreSupprimerBonne fête mon sweet King! <3
J'suis d'avis qu'il est l'heure de prendre un Cognac au comptoir de ton livre, dans ce bar sous fond de jazz :D
*j'ai fait la cave de Hennesy avec la grenoUille, 5-6 dégustations plus tard, t'aurais dû le voir gigoter des cuisses dans les cuves à Cognac! Indécent!!! Mdrrrrrrr ^^ ^^
Je lève donc ma tasse de Viandox, avant de passer aux choses sérieuses de Hennessy.
SupprimerBen voilà, ma vie privée livrée en pâture aux nombreux "followers" du Bison !!! ^^
SupprimerCe n'est pas ici que tu trouveras des followers, juste quelques fidèles et intimes passagers de poussière qui viennent traîner leurs guêtres ou leurs menues cuisses plus ou moins poilues...
SupprimerOn apprend de ces choses par ici.....;-)
RépondreSupprimerEt on en cache encore plus... parce que la vie dissolue des grenouilles dans les marécages obscures aurait de quoi effrayer les yeux chastes des lectrices et lecteurs de cette poussiéreuse prairie...
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