jeudi 14 janvier 2021

Bêtes de Nuit

Et si on prenait la route pour le Maine. Une maison de campagne au cœur de la forêt, quelques jours de vacances en famille. Le soleil couchant, l'asphalte s'assombrit, les lumières s'éteignent... Nocturnes sensations... J'entame un bouquin, nocturne insomnie. Tony conduit tranquillement, sur des routes de silence et de poussière, et puis l'accrochage. Des gars sortent d'une vieille guimbarde, le look Amérique profonde ou dégénéré façon Délivrance. Et puis là, l'impensable, l'inimaginable, nocturne horreur. Le début du cauchemar.

Il savait qu'à l'ivresse de la chevauchée nocturne succéderait une gueule de bois matinale et qu'il aurait toutes les peines du monde à ne pas tomber de sommeil dans l'après-midi et à retrouver un horaire normal, mais il était un cow-boy en vacances et c'était le moment ou jamais d'être irresponsable.
- Alors, c'est parti, dit-il.
Ainsi s'en furent-ils par l'autoroute, sous le long crépuscule de juin, croisant au large des cités industrielles, cisaillant lentement les courbes et avalant patiemment les longues montées et les descentes parmi les terres agraires, pendant que le soleil, derrière eux, incendiait de ses derniers feux les fenêtres des fermes à flanc de colline. Tous trois s'extasiaient de l'aventure et s’émerveillaient de la beauté de la terre au couchant, avec cette lumière rase jetée sur le jaune des champs, le vert des bois et le noir du goudron devant eux, qui virait étrangement à l'argent dans le rétroviseur. 

Susan, elle, lit aussi ce même bouquin, autre insomnie, un mari parti à Washington, question de carrière, et son ex-mari Edward qui lui envoie le manuscrit de son premier roman, « Bêtes de nuit », spéciale dédicace « pour Susan...». Trois nuits pour le lire, trois nuits où le sommeil ne l'attachera pas à son lit, trois nuits où son esprit aura cette odeur de poussière et de sueur, d'une caravane laissée à l'abandon, d'une sauvagerie malsaine. Est-ce là le message que son ex-mari voulait lui faire passer ?  

Je m'installe sur mon canapé de cuir noir, nuit noire et profonde, la poussière à mes pieds, les pages qui se tournent comme le chemin sinueux emprunté par cet homme Tony ou Edward, les deux n'en font peut-être qu'un. Le whisky a même ce goût de poussière en bouche, celui qui donne l'amertume à cette putain de vie, nocturnes pensées. Je suis pris, comme Susan l'ai épris, par les premières pages de l'histoire, j'imagine la suite, je la crains, elle survient. Une nuit, deux nuits, trois nuits, la noirceur s'enfonce dans ces nuits, comme la voiture file le long de la route, comme le cow-boy essoufflé qui fait le bilan de sa vie. Un roman ne s'arrête pas en cours, Susan l'a compris, je la suis.

A tout hasard, il prit la voie de droite, celle qui descendait la colline. Impression d'inconnu. Il entendit une voiture qui montait. Il en vit les phares approchés et se mit à couvert jusqu'à ce qu'elle fût passée. Ce n'était ni celle de Lou ni la sienne, mais ça aurait pu l'être, et il jugeait prudent de ne plus prendre de risques. Mais quel sens pouvait bien avoir la prudence quand on arpentait seul une route inconnue, la nuit, avec au ventre la peur des voitures et des hommes, comme si l'on était en exil de sa propre espèce ? 

Je m'installe sur mon canapé de cuir noir, nuit noire et profonde, la poussière à mes pieds, une lumière orangée illumine le salon, la rousseur de Susan, celle de Amy Adams, elle est magnifique, nocturne fantasme. Un homme conduit avec sa femme et sa fille à travers les routes poussiéreuses de cette Amérique-là, celle de la peur de l'autre. Jake Gyllenhaal, il est magnifique, son regard triste et perdu. Nocturnal Animals. Mais là, je vous ai déjà raconté l'histoire dans ce film dans un de ces vieux billets encore plus poussiéreux, alors je ne vais pas m'étaler sur le sujet, sauf, si le sujet en question reste Amy, nocturne désir...

« Tony et Susan », Austin Wright.

Traduction : Philippe Rouard. 


9 commentaires:

  1. Le Maine, oui, quand même... exempt de l'horreur, des cauchemars.
    La magie du Maine... souvenirs, des rivières en kayak, le soleil couchant, un autre monde...
    Amy Adams - nocturne désir - , Jake Gyllenhaal, que du beau...
    Ce film me dit quelque chose, je crois l'avoir vu, mais comme je perds la mémoire, c'est l'âge...
    Avoir 52 printemps ne nous rajeunnit jamais...

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    1. nocturne désir... Tu crois que Amy fait du kayak ?

      25, c'est déjà un beau chiffre avec ses printemps ses hivers ses plumes de lagopèdes; et pis la mémoire ça sert à quoi, je m'en souviens même plus...

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    2. Je crois que Amy fait du kayak en mini les majeurs à l'air...

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    3. J'aurais préféré les Joes à l'air mais je peux m'adapter...

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    4. Les majeurs ne sont qu'un prétexte, les Joes le sont déjà, dans le vent du frette...

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  2. *bof... rajeunit sans deux "n" of course...
    crisse...

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    1. bof m'en parle pas... j'ai plus d'âge, depuis quelques années... j'arrive même plus à me souvenir de la vie...

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  3. Les bisons sont des bêtes de sexe, c'est bien connu, mais sont-ils des bêtes de nuit, là est la question...

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