« Durant les premiers mois de mon affectation à Hanoi, j’étais fascinée autant par la capacité d’un jeune enfant de s’asseoir sur le porte-bagages de la bicyclette de son père sans mettre les pieds dans les rayons que par le sommeil des chauffeurs sur le banc de leur moto-taxi. Et plus encore par les six déclinaisons du mot « adorer » en vietnamien : adorer à la folie, adorer au point de figer comme un arbre, adorer avec ivresse, adorer jusqu’à en perdre connaissance, jusqu’à la fatigue, jusqu’à l’abandon de soi. »
Si je t’écris cette lettre, aujourd’hui, c’est avant
tout par besoin de mettre en mots notre histoire familiale. J’ai mis du temps à
la retracer, mais encore davantage à l’intégrer à ma chair qui porte en elle
l’héritage des blessures qui m’ont été transmises. J’ai compris, maman, que les
tiennes te venaient d’une mère traumatisée
par les bombes ennemies au Vietnam, que grand-mère et toi avez toutes deux été
hantées par la guerre et les camps philippins vous retenant en otages avant de
migrer dans le Connecticut. Que vous avez fui, avez connu l’horreur,
l’indescriptible, l’exil, le déracinement…
Je t’écris cette lettre sachant que tu ne la liras
jamais, puisque tu es analphabète, en cela les mots sont un témoignage, écrit
avec sincérité, de l’histoire qui me lie à la fois à mes ancêtres et à l’homme
que je suis devenu, dans une société me torturant chaque jour par son
intolérance.
Si je t’écris cette lettre, c’est pour me libérer et m’éloigner du passé, en venir à comprendre tes poings de jadis sur mon corps d’enfant. Pour saisir ta rage, les douleurs atroces en toi qui te poussaient dans de tels élans de colère et de violence parfois. Et puis, malgré tout, je n’ai jamais pour autant cessé de t’aimer. Ces derniers mots, je te les prononcerai de vive voix…
« Ma grand-mère paternelle a croisé mon grand-père un matin très tôt au marché flottant de Cai Bè, un district moitié terre, moitié eau sur un des bras du Mékong. Chaque jour depuis 1732, les marchands transportent leurs récoltes de fruits et de légumes jusqu'à cette partie du delta pour les vendre aux grossistes. De loin, la couleur du bois se mêlant au brun de l'eau argileuse donne l'impression que les melons, les ananas, les pomélos, les choux, les courges flottent par eux-mêmes jusqu'aux hommes qui les attendent dès l'aube sur le quai pour les attraper au vol. »
Si j’écris ce livre, aujourd’hui, c’est avant tout
pour témoigner, pour partager, pour mettre des mots sur les maux d’un peuple.
J’ai quitté ma terre, un jour, une nuit, mais elle ne me quitte pas. Je suis
parti, j’ai Visité d’autres lointaines contrées, mais je reviens toujours à ce
Vietnam natal. Dès que je sens l’odeur d’une soupe tonkinoise, je reVis, Vi
c’est d’ailleurs mon prénom, Vi comme dans inVisible et aussi un peu comme dans
Vie, car après tout il est question de Vivre en dehors de son passé, de ses
racines surtout.
Si j’écris un peu de mon histoire, c’est pour te faire
découvrir la personne que je suis. Enfouie dans un passé que j’ai fui, je
replonge dans les souvenirs, les odeurs de la mémoire. J’entends des rires
d’enfants jouant à la marelle dans la ruelle. J’entends des bombes venant
s’écraser dans le jardin de ces mêmes enfants. J’entends et je reVis la sombre
histoire de mon passé.
Et je respire la chaleur de cette soupe tonkinoise
avec ses petits légumes taillés finement. Un mélange de citronnelle et de
ciboulette s’échappe de la cuisine itinérante de mon esprit. Je revois ma mère,
ma grand-mère, toutes trois attablées, préparant le repas dominical. J’avais
huit ans quand la maison a été plongée dans le silence.
Magnifique livre, bouleversant et lumineux à la fois, beau verre de frette, excellent choix de bière du pays des chicagoans et Buffy Sainte-Marie avec son Universal Soldier, la chanson de circonstance...
RépondreSupprimerOn a passé près de 7 mois au Vietnam, il faut dire qu'il y avait beaucoup à voir, à boire, à ressentir...
On devrait être capable de faire escale au Congo avant l'année prochaine ^^
Il doit faire bon être au Congo durant l'été, non?
Bon weekend chocolaté :D
7 mois !!! Ça en fait des rouleaux de printemps...
SupprimerIl doit faire bon, y boire du rhum au milieu des sourires des congolaises.... avant l'été, j'espère...
Si loin, si proche, si beau...
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