"Le ciel était couvert. Le Fuji était coiffé de nuages épais, les conifères portaient des traces de lave récemment projetée large et verdoyant, le pied de la montagne s'offrait seul au regard. Le hall de l'hôtel était désert; des échantillons de roches volcaniques, des spécimens de papillons des plaines s'y imprégnaient de poussière."
Je descends du bus. Comme un étranger, je regarde autour de moi. La terre, les fleurs sauvages. Puis mes yeux s'élèvent doucement, une foule disciplinée en ligne droite venue marcher, prier, communier. Je lève la tête encore un peu plus, le cou s'étire comme les nuages au loin. Un rayon de soleil me caresse la nuque, je me retourne légèrement et là je le vois. Je suis frappé, de stupéfaction, de beauté, de reconnaissance : le mont Fuji s'offre à moi, à mon cœur, à mon âme. De son sommet, j'observe l'horizon, je vois la ligne de chemin de fer s'aligner le long des collines, celle des lacs de Tama où je me verrais bien manger de l'anguille grillée. Je vois la Combe-Aux-Amours, nom prédestiné aux rencontres clandestines mais les histoires d'Amour finissent... Je vois la Dame de Musashino, dans son kimono fleuri, ceinturé de son bleu obi.
"Il se promenait souvent seul au bord de la mer. Les jours de beau temps, au soir, on pouvait voir le mont Fuji de l'autre côté de la baie de Sagami. Il avait l'air plus grand qu'au Crû, plus gros, précédant à droite la chaîne de Tanzawa, à gauche sa troupe de volcans alignée de Hakone à Amagi ; sa silhouette se détachait nettement dans le ciel au couchant. La grande faille qui traverse l'archipel du Japon avait produit ce cône parfait, parce que au long des âges de formation de la Terre le cratère ne s'était jamais déplacé, expulsant continuellement laves et scories, ainsi que Tsutomu se rappelait l'avoir lu dans la bibliothèque du vieux Miyaji. S'il avait assez de patience, leur amour aussi, peut-être, trouverait les moyens et l'occasion de se réaliser un jour..."
Au Crû, qui l'eut cru, ce lieu-dit dans le lit de la Nogawa, une histoire d'amour dans les temps d'après-guerre du Japon. Une histoire d'adultère ou de libertinage, quand en même temps l'on discute sur la dépénalisation de ces coucheries extra-conjugales, comme sorties d'un roman de Stendhal. Moi Stendhal, je ne connais pas, mais je t'invite d'ors-et-déjà à lire Les Feux du même Ôoka, voilà pour ma digression littéraire. Revenons à la lune bleue qui illumine cette nuit le Mont Fuji, deux couples, un jeune cousin revenant de la guerre. Le décor est planté, quel décor ! Si beau, que même sur un papier jauni, j'en suis ému, de souvenirs et de désirs.
Face au Mont Fuji, ainsi je garde le silence, son regard planté dans mon cœur. Quand les mots s'envolent au vent de la passion, il reste le silence. Celui de l'amour, celui de la mort. C'est donc dans cette parfaite quiétude que je suis les inquiétudes amoureuses de ce jeune cousin au cœur décousu comme les cicatrices de la guerre, devant les sourires attendrissants de ces dames, devant les esprits retords de ces messieurs, devant les flacons de saké qui se vident, les fleurs de cerisier qui s'envolent.
"Au loin, sous des nuages que le soleil couchant teignait d'un rouge pivoine, parut le mont Fuji. Les pentes en étaient déjà toutes couvertes de neige et seules, autour du sommet, les projections de lave laissaient leurs traces noires.
La beauté de ce cône volcanique avait autrefois représenté pour lui l'éternité de leur amour : c'est maintenant la mort qu'elle évoquait."
Un roman d'un autre temps, où la mélancolie de l'Amour prédomine et auquel les cinéphiles peuvent avoir leur version signée Mizoguchi. D'un rouge pivoine, le soleil se couche. D'un noir obscur, les nuages s’amoncellent. Le ciel gronde, les cœurs s'ébattent. Que suis-je en train de faire ? Un moment de folie, un moment d'égarement ? Aux égards du Mont Fuji, je passerai ma main dans les pans de ton kimono, pendant qu'un air de Chopin caresse l'âme de ton sexe. Souvenir éternel.
"La Dame de Musashino", Shôhei Ôoka.
Traduction : Thierry Maré.
"Quand le cœur d'un amoureux se rend à la vérité, combien triste est la vérité !"
Après l'expérience de la guerre, il tente de se guérir de la barbarie vécue par l"écriture et de montrer peut-être l'affaissement des valeurs traditionnelles. Culte du père, amour impossible, nostalgie d'un milieu familial.
RépondreSupprimerDu coup, comment vivre dans cette société quand on a quelques valeurs ?
heureusement que cette société veut dépénaliser l'adultère... ;-) Les hommes pourront ainsi rencontrer quelques prostituées l'esprit plus serein :-)))
SupprimerJe peux difficilement faire un commentaire intelligent sur ce livre, ne l'ayant pas lu.
RépondreSupprimerMais on y parle du Japon, du Mont Fuji, d'amour et de guerre. Il doit forcément être poétique, même dans l'adversité...
Moi, même en ayant lu le livre, je peux difficilement faire une chronique intelligente sur celui-ci, alors... On y voit le Mont Fuji, et ça c'est déjà sublime. C'est déjà de la poésie .
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