mardi 16 juillet 2024

La Nuit De Noël Où Je Quittais Valparaiso


  C’est la nuit de Noël à Valparaiso. La petite Caroline, 7 ans, rêve encore du père Noël quand ses parents lui apprennent qu’ils partent tous ce soir en avion direction le Canada. Ils quittent tout, la terre, la famille, les camarades de classe et la poussière de leur maison. Jamais ils n’y reviendront, tel est un pays au Pinochet règne encore sur la majestueuse Cordillères des Andes. 
Dis maman… 
C’est où le Canada ? 
Dis maman… 
C’est encore loin le Canada ?

  « Hochelag', c'était surtout juste chez nous. Bétonné, crade, frette, poussiéreux. Ça puait tout le temps sur Sainte-Catherine Est. Les roteux, la marde de chien, la pisse de gars saoul, le sperme séché, les vieilles botches de cigarette, la bière cheap tablette, les vidanges qu'on met sur le bord du trottoir n'importe quel jour, l'enfermé même dehors. Ça sentait le scrap. Ça sentait la misère. Il y avait personne de perdu à Hochelag'. Tout le monde était emprisonné dans la dèche, captif de son passé, séquestré par la vie, reclus dans sa solitude. » 

  A l’atterrissage, le frète, la sloche et le blizzard. Changement radical de vie pour cette petite fille. Là où je me terre, c’est la poussière de Valparaiso qu’elle oublie, c’est la terre gelée qu’elle découvre, les craques sur le bitume. Hochelag’ quartier des plus populaires de Montréal. Elle passa des après-midis à la bibliothèque municipale à lire tous les romans à portée de sa main. Ce qu’il me fait dire qu’il faudrait que je découvre « L’avalée des avalés » de Réjean Ducharme, ce n’est pas la première fois qu’une jeune autrice québécoise se dit bousculée par ce roman si bien qu’il devint souvent la pierre fondatrice de leur écriture. Elle passa aussi des heures à écouter non pas l’officiel Radio-Canada, mais 107.3 FM, Cité RockDétente. Ainsi ses professeurs de français furent Roch Voisine (Hélène), Marie Carmen (L’aigle noir), Marie-Denise Pelletier (Tous les cris les S.O.S.) ou Bruno Pelletier... Il est venu le temps des cathédrales le monde est entré dans un nouveau millénaire et moi je suis rentré dans le dépanneur du coin pour m’acheter un pack de six et une grosse quille de Tornade.     

  « C’est dans le bus, au début du trajet qui me menait à ce Brébeuf qui n’était pas mon école que je me suis promis que j’écrirais. Que j’écrirais fort, violemment, sans fioritures, comme si mes ancêtres, les sacrifiées, les anonymes laissées derrière lisaient par-dessus mon épaule. Écrire comme si les femmes qui m’avaient précédée sortaient de terre pour m’observer. Toutes les femmes. Les grosses, les affamées, les putes, les prieuses, les analphabètes, les crieuses, les maudites, les folles, les abandonnées, les chipies, les muettes, les commères, les alcooliques, les vierges, les sibylles, les voyantes, les aveugles, les éteintes, les effrontées, les battues, les colériques, les pleureuses, les haletantes, les violées, les tristes, les courbées, les sirènes, les offensées, les endolories, les increvables, les torturées, les lionnes, les chiennes, les déprimées, les écartées, les soumises, les mégères, les crevées, les fées, les mères, las negras, las brujas et les damnées. 
Ecrire comme une danse macabre ou un cri de révolte. Comme un souper échappé par terre par temps pauvre. Comme un cri primal devant une agression sexuelle. Comme la disparition d'un enfant après le coup d'État. Comme une décennie de dictature sur toute l’Amérique latine. Comme les larmes du silence durant les prières dans les sous-sols. Ecrire mon histoire comme toutes ces femmes en moi à ressusciter. »

  Là où elle se terre est le roman autobiographique d’une petite fille, le roman d’une jeune exilée de la dictature chilienne et de sa famille, le roman d’une intégration réussie et de l’envie de cette petite fille à apprendre les lettres, la littérature canadienne, des « petits » boulots non gratifiant de ses parents, sa mère allant faire le ménage chez les parents de ses camarades, malaise donc au moment des parties du week-end… Un roman utile, nécessaire, indispensable à la construction de cette jeune fille devenue femme. Et surtout, surtout, n’allez pas l’appeler Zia, malgré ses nattes et son teint mat comme une enfant du soleil, ne lui parler pas des Mystérieuses cités d’or qui passent à la télé… 

« Là où je me terre », Caroline Dawson.


« Appréhender notre nouvel environnement. Je me rappelle la violence du vent de février, suivie de la sloche brune du mois de mars. C’est quoi ça, de la boue à moitié congelées ? »





2 commentaires:

  1. Ouf, c'est avec beaucoup d'émotions que je te lis. Caroline Dawson, une grande dame pleine de coeur partie bien trop vite... un verre de Maudite pour accompagner ta blonde à Chambly, sur une musique de Plume. Et tous ces repères que tu cites et auxquels la slotch et le dépanneur du coin n'échappent pas. Merci :*

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    1. Oui ça donne envie de traîner son âme sur Sainte Catherine, en écoutant 107.3 Cité RockDétente...

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