mardi 23 mai 2017

Typhon N°24

Je connais le réalisateur depuis des années. Depuis une certaine histoire d’enfants livrés à eux-mêmes. C’était en 2003, c’était « Nobody Knows ». Je m’en souviens encore. A la fois terrifiant et émouvant. Drame à l’état pur, tristesse brut d’un monde sans enchantement. Je l’ai suivi ensuite avec « Still Walking », « I Wish » [les titres traduits du japonais en anglais pour une sortie en France, rrrr] et plus récemment « Tel Père, Tel Fils », « Notre Petite Sœur ». Tous ses films sont d’une simplicité extrême. Des tranches de vie, presque banales, et pourtant ô combien intéressantes, ô combien émouvantes, ô combien sinistrées.

Une tempête se prépare. Au typhon N°23 se succèdera le typhon N°24, une année à typhons. Ryota – Hiroshibe Abe -, divorcé et écrivain raté, a l’âme du loser. Il ne voit son fils qu’une fois par mois, s’il arrive à payer la pension alimentaire à son ex… Son ex qui semble voir quelqu’un d’autre, un autre pauvre type apparemment. Il a la passion du jeu, probablement un héritage de son défunt père, et toute sa paye – et même plus – de pseudo détective privé de séance zone spécialiste dans les chantages et les affaires conjugales passe dans le pachinko ou les courses de chevaux, de vélo…


Pourtant, son premier livre fut couronné d’un prix littéraire très gratifiant. Mais quinze ans, il ne reste plus rien de son aura d’écrivain et sa mine transpire la déception, l’échec, la fin des ambitions littéraires. Il continue sa vie comme d’autres des putains de vie, sans ambition, ni espoir, juste voir son fils une fois par mois… Un portrait familial presque classique, avec le syndrome de l’échec dans une société nippone toujours très portée sur la réussite. L’histoire est simple, les vents s’enchainent, la vie s’écoule, le « héros-loser » descend plus profond que la mer. J’adore… ces êtres fragiles, loin d’être insipides. Ils m’émeuvent, me questionnent, me bouleversent. C’est pour cela que j’aime tant le cinéma de Kore-eda qui transcrit et transmet ces émotions dans un environnement où j’adore me promener. Des petites ruelles de quartier dans Tokyo, loin des grands buildings et du bouillonnement incessant. Là, au détour d’une ruelle, on prend le temps de regarder un cerisier en fleur, de manger des sobas debout à la sortie d’une station de métro. La grand-mère - Kirin Kiki - cuisine à merveille, ses plats sentent aussi bon que dans les « Délices de Tokyo », normal, c’est la même grand-mère. Et lorsque la tempête s’annonce, quoi de plus réconfortant que de se rassembler en « famille » autour d’une marmite fumante. Et attendre la fin des vents, pour pourquoi pas une nouvelle vie s'envisage « Après la Tempête ».

De sa cinématique associative, l'ami Eeguab propose et dispose, toujours modeste dans ses choix et ses [ré]percussions, comme un cinéma... calme. J’entends un air de J-Pop, toujours plus profond que la mer, et je perçois ce film comme une ode à la flânerie tokyoïte, un spleen familial entre deux typhons déversant ses flots de vents, de pluies et de subtiles émotions. Bref, j’ai adoré, mais je ne suis pas objectif, car le cinéma de Hirozaku Kore-eda est une affaire de goût, un goût de sésame noir et de sobas, et moi je raffole de ces dégustations culinaires cinématographiques.     

« Après La Tempête » [2017], Hirokazu Kore-eda.


14 commentaires:

  1. J'ai vu tous les films d'Hirokazu Kore-eda et les aiment tous... (Goran : http://deslivresetdesfilms.com)

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    1. Peut-être pas tous vu... J'ai un doute sur Air Doll... Mais une chose sûre, j'aime tous ses films vus. Beaucoup d'émotion et de simplicité.

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  2. Belle analyse d'un qui connait tellement mieux que moi litterature et cinéma japonais. Et merci pour le clin d'oeil.

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    1. je n'y connais rien, pas comme un cinéphile en tout cas. Je regarde juste, sans analyse, par plaisir, par choix, par désir...

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    1. J'espère que certains cinémas le proposeront (ou le propose encore). Car il n'est pas sûr que le film fasse le tour de la province. Malheureusement... Mais certains cinémas d'arts et d'essai régionaux proposent souvent de beaux choix. Alors si tu le vois, n'hésite pas...

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  4. Un beau film que j'ai vraiment envie de voir, pour ses tempêtes d'émotions et les odeurs du réconfort. J'aime la simplicité des portraits familiaux et les êtres fragiles.
    La bande-annonce et la musique qui l'accompagne sont délicieux!
    Une merveille, c'est sûr...

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    1. Sûr, ce film est une petite pépite, simple et tranquille, sur les rapports familiaux... A voir, une tempête sans blizzard, ça te changera !

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  5. Il nous avait assommés avec son Nobody knows...
    Et si tu avais vu Air doll tu ne l'aurais pas oublié.

    J'espère qu'elle ne va pas rester avec le bouffon qu'elle s'est trouvée la miss.
    Et Ryota est un bien beau loser.

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    1. un loser comme je les aime. Un peu comme moi, même si moi je ne m'aime pas...

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  6. j'ai beaucoup aimé : still walking, i wish, tel pere tel fils. Un peu moins notre petite soeur, mais j'ai complètement loupé la sorti de celui-ci ! à voir d'urgence donc !!

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    1. Ce n'est pas en crapahutant sous le soleil des calanques et du pastis que tu risques de prendre un saké après la tempête...

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  7. Bonjour le Bison, je me rends compte que j'ai vu tous les Kore-Eda depuis Nobody Knows. Mon préféré reste Still Walking. Après la tempête m'a plu parce le père est un perdant mais à qui on pardonne tout. Quant à la grand-mère, j'aurais aimé en avoir une qui lui ressemble. Bonne après-midi.

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    1. Quelle grand-mère, effectivement. Et quelle cuisinière, j'avais les papilles qui en frétillaient d'envie...

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