Au Duck Tape

Quelque part entre la Virginie Occidentale et la Caroline du Nord. J’entre dans un bar, le Duck Tape, quelques vieux pick-up garés devant. Le moteur d’une Ford Mustang vrombit de tous ses chevaux. En attendant ma bière servie par un barman manchot, le jukebox déverse une musique country à dépoussiérer mon stetson et à friser la barbe du client boiteux. Avant d’aller plus loin, je tiens à préciser que mon regard n’a d’yeux que pour la jeune conductrice de ladite Ford Mustang qui vient de pénétrer dans ce lieu retiré de la civilisation. Une minirobe avec une belle paire de santiags. J’adore la façon dont ses santiags l’habillent.

Après ce préambule victime de la mode, et la découverte des autochtones tendance plouc, Adam Driver dans le rôle du manchot, Channing Tatum dans celui du boiteux, j’imagine également un Daniel Craig blond peroxydé – le costume à rayures fournit par l’institution pénitentiaire en impose autant qu’un costume au service de sa majesté, sortir de tôle pour un braquage dans les règles de l’art façon Ocean’s Eleven où Las Vegas aurait été remplacée par la ville de Fargo. Sur un anneau de vitesse, des voitures à la boite de vitesse mécanique tournent en rond, des billets de banque volent dans une chambre forte, des cafards portent les couleurs d’un code rose.  

J’adore quand un plan se déroule sans accroc. C’est ce que doit se dire Donald Duck Trump dans son fauteuil, un prénom aussi crédible pour un canard que pour un homme, cigare entre les dents, dans cette Amérique profonde où des rednecks se retrouvent au chômage, et viennent passer le temps de leur putain de vie dans ce bar à écouter de la country pendant que la petite fille chérie passe des concours de mini-miss et de chants reprenant des airs de Rihanna. Me demande pas qui c’est, je ne connais que la country et la musique des bouseux. D’ailleurs, petit aparté, un film qui passe un titre des Creedance Clearwater Revival est forcément un film à voir. Veil adage bien connu, même si pour ce coup, on dévie un peu des pas de danse country.     

Steven Soderbergh revient donc à la réalisation des films de « casse » qui lui a valu l’apogée de sa gloire. Ici, les vedettes sont tout aussi nombreuses mais dans un autre style, moins léchées, plus natures qui portent des santiags, magnifique Riley Keough quand même - on en revient toujours à la fille qui conduit une belle caisse. Et puis il y a cette dose d’humour teinté de cynisme et de fatalité qui sent bon la poussière des ploucs-villes que j’aurais pu traverser si j’étais monté dans cette Ford Mustang conduite par une nana parfumée à l’odeur du cuir de ses santiags au lieu de regarder ma bière en silence au Duck Tape.

Malgré la poussière qui se déverse autant sur l’asphalte que dans mon verre de bière, et l’absence d’une serveuse aux forts atours charmants – chemisier à carreaux deux taille en dessous, ce « petit » film ne manque ni d’audace ni de punch et le sourire égaie ma journée parmi les bouseux. Le plaisir était là, à ne pas le bouder, pas besoin de réfléchir, juste se laisser porter par la poussière, la musique de John Denver ou Patsy Cline et  – je n’oublie pas - les charmes d’une paire de santiags.

« Logan Lucky » [2017], Steven Soderbergh.