samedi 1 juin 2019

La Mort du Bison

« Arrivés sur la crête, nous découvrîmes, au nord, une immense prairie, aussi différente des terres que nous venions de traverser que la verte Irlande peut l'être du Sahara. Couchés dans les hautes herbes grasses, plus de cinq cents bisons ruminaient paisiblement. Ils ne prirent conscience de notre présence que lorsque les hordes de cavaliers se précipitèrent sur eux du haut de tous les sommets environnants. 
A la vue du troupeau, les Indiens s'étaient mis à pousser des hululements stridents. Des coups de feu claquèrent. Aussitôt les bisons se relevèrent et s'enfuirent dans un tonnerre assourdissant qui fit trembler le sol. »

A vivre cette grande épopée de l'ouest sauvage. Chevauchant des collines de poussières et d'herbes folles, entraîné par la folie des hommes et la promesse de richesse symbolisée par fourrures et peaux, sauvé sa peau d'une horde de sauvages, des indiens et des blancs, une vie sans loi. 1820, quittant le Missouri de St-Louis, une nouvelle compagnie de chasse et de trappes. Juste deux trois années, le temps d'accumuler des peaux et un pécule pour fonder sa famille avec cette sublime brune au regard de braise. Mais la vie de trappeur n'est pas aussi idyllique que cela peut paraître, dormir à la belle étoile, s'enfiler quelques godets de whisky de contrebande, bouffé un steak d'ours... Bref, j'en ai rêvé, comme ces rêves de gosses, j'en suis revenu, la tête KO par ces bisons morts, et l'odeur de cette viande en putréfaction.

« Au fond de la vallée paissait une seconde harde, aussi important que celle que nous chassions, piégée elle aussi à l'intérieur des collines. Nous l'apercevions de loin qui cheminait dans notre direction, taches mouvantes piquetant la verdure.
Les deux troupeaux se dirigeaient l'un vers l'autre. Ils n'étaient maintenant séparés que d'une centaine de yards, puis cinquante, puis trente... Ils se percutèrent dans un fracas de sabots, de sourds mugissements, de beuglement aigus, s'éparpillant tous azimuts, tournoyant sur eux-mêmes, soulevant des trombes de poussière. »

Shannon Burke, premier métier ambulancier à Harlem, avant d'être attrapé par la fièvre, non pas de l'or mais de l'écriture, signe ici un formidable roman d'aventures, aux confins de l'ouest sauvage. De la sauvagerie des hommes à chaque page, du massacre de bisons toutes les deux pages, une descente de whisky une page sur trois. La nature, ses collines verdoyantes avant de virer au rouge écarlate, puis au rouge sombre, noir. Les vautours virevoltent au-dessus d'un amas de tripailles. L'odeur est tenace, que la pluie et la nuit ne sauraient effacer de ma mémoire. Alliance et désalliance, l'homme est un loup, encore plus sauvage que l'animal qui sommeille en chaque être, prêt à retourner sa veste de bison pour quelques pièces d'or, ou en l’occurrence gagner quelques chargements supplémentaires de peaux fraîches.

« Le whisky chauffait mes veines, une immense lassitude m'envahit et je m'endormis en rêvant de notre épopée dans l'obscurité glacée. Mon cerveau repassait chaque minute de cette épreuve, moins pour me faire réfléchir aux événements que pour me faire comprendre que j'avais atteint les limites de mon endurance physique et mentale. »

Selle mon vieux cheval, chevauche les prairies cheveux au vent, sors la winchester, tire, des cris d'indiens au loin. Épuisé le dos fourbu, les santiags poussiéreuses, je rentre dans ce comptoir aux abords de la sauvagerie. Des regards pas tendres, quelques putes pour l'ambiance, on me sert un de ces tords-boyaux qui font soit devenir un homme, soit devenir aveugle. Une chance sur deux, le choix du trappeur. Je survis à cette première épreuve. Je me remets en route, en piste devrais-je dire, la route de l'ouest n'est pas encore tracée, se méfier des canadiens, se méfier des espagnols, se méfier des peaux rouges, bref, je suis seul à travers la nature – encore, pour quelques mois seulement – luxuriante. De magnifiques paysages aussi sublimes qu'un poème récité par une de ces poupées dénudées. Je croise quelques cadavres, qu'il faut enterrés, je ramasse quelques peaux, qu'il faut cachées. Nuit à la belle étoile, des flocons de neige qui scintille autant que les poussières du ciel. La lune me toise de sa hauteur et de sa splendeur, trop belle pour moi, blue moon. L'amas de poussière et la mort du bison.

Merci.

« Dernière Saison dans les Rocheuses », Shannon Burke.
Traduction : Anne-Marie Carrière.


« De ma position, je voyais la prairie où gisaient les cadavres de centaines de bisons, certains déjà dépecés. Des vautours déchiquetaient les entrailles, disputant leur festin aux pies qui laissaient en s'envolant des traînées cramoisies sur l'herbe verte. Les toisons sanguinolentes des bêtes non dépouillées attiraient des meutes de loups excités. »

10 commentaires:

  1. Oh j'aime pas le titre de ton billet. Allez, avoue que c'est toi qui l'as écrit ce bouquin. Evidemment je vais aller traîner ma carcasse par là, 10-18, Jack Daniels, tout ça me plait. Je ne connaissais pas The White Buffalo mais tout aussi évidemment ça me va comme une peau de bison sur mes épaules délicates. As-tu vu La dernière chasse (Richard Brooks, Robert Taylor, Stewart Granger, 1956)? Magnifique. Par contre éviter Le bison blanc, une bronsonerie assez ridicule. A écouter, John Hiatt, Buffalo River Home.
    So long my friend. Et merci.

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    1. La dernière chasse, je crois pas... Par contre, cette Bronsonerie... Oui, enfin presque... Je n'ai pas tenu jusqu'à la fin... Même avec Bronson...

      John Hiatt, oui...
      Buffalo river home... pas du tout, va falloir que je regarde ça de plus près... En matière de musique, tes goûts sont souvent bien fondés.

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  2. Le Bison est mort... Vive le Bison !!! ;D

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  3. Dormir à la belle étoile, s’enfiler de la binouze et bouffer du steak d’ours. Le rêve... qui au réveil nous cogne comme une gifle. Fuck le blizzard.
    L’ours est mon ami (oui oui), le bison aussi, alors sous la blue moon, avec eux, je me méfie des hommes...

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    1. Y'a rien de bon dans les hommes... C'est pas comme le blizzard... Fuck, une binouze dans le blizzard, le top...

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