A l'aube de cette excursion littéraire, je m'enfonce dans la forêt. Peu importe son nom, peu m'importe son lieu, j'erre au milieu des fougères et d'arbres centenaires. De temps en temps, je vois un chemin qui serpente vers un minuscule temple, ou un jizo semé là, presque étouffé par la végétation luxuriante de ces chemins. L'aurore amène ses couleurs comme le vent charrie ses odeurs. La nuit s'estompe, certains coins de la forêt restent encore plongés dans le noir absolu, comme si un peintre s'était amusé à les calligraphier d'encre de Chine.
"Les couleurs de la nuit adhéraient aux fenêtres,
comme du minerai noir, recelant néanmoins les premiers signes discrets
du matin."
Entre deux méandres du sentier solitaire emprunté, je fais une pause, pose mon sac-à-dos, et décapsule une bière pour étancher ma soif matinal, m'essuyer le front de cette sueur moite qui suinte par les pores de mon corps. Reprendre mon souffle avant de retrouver mon chemin, une pluie fine dégoulinant du ciel obscur. Et là, le souffle se coupe, de nouveau. Perdu dans les montagnes, je vois étrangement un hameau suspendu au milieu de la vallée. Quelques maisons brinquebalantes en bois, des toits de mousse, une rivière et son moulin un peu plus en retrait. Des habitants vivent donc dans cet endroit si reculé, si loin de tout, alors qu'il n'y a même pas encore l'eau courante... J'ai entendu parler d'un projet venant à l'amener jusqu'ici... ou du moins à noyer le village pour construire un barrage en amont. Peut-être même que les travaux ont déjà commencé sur un autre versant de la montagne, j'entends au loin des bruits de tronçonneuses. Le convoi de l'eau serait donc en marche...
"Mon regard embrassait dans son intégralité les vagues de montagnes acérées qui se chevauchaient."
Je reviens un instant sur mon souffle coupé, devant la beauté de ce panorama. Mais, aussi je perçois un sentiment étrange, une certaine "brume" semble flotter sur ce village isolé. Une sueur froide coule le long de mes tempes. J'ai subitement du mal à respirer, comme étrangler par une sensation indéfinissable. Je sens qu'il se passe quelque chose dans ce hameau. Étrange, voir malsain. Où en est la folie des hommes ? Où en est la cruauté des hommes ? Au milieu de tout ça, je repense à un bouquin qui ne me quitte plus depuis des années. Naufrages. J'ai donc fait naufrage loin de la mer, mais si près de l'eau. Il y a des moments qui sont difficilement oubliables, comme un amour, ou une mort. Ou comme le hameau perdu dans la brume que je fixe longuement depuis plusieurs heures sans le lâcher du regard, une petite tache blanche flottant sous un arbre m'intrigue... Un mystère de plus dans ce hameau. Un malaise, une poésie.
"Les silhouettes des habitants du hameau genoux fléchis se diluèrent comme de l'encre de Chine dans la brume."
"Le Convoi de l'Eau", Akira Yoshimura.
Traduction : Yutaka Makino.
"Un abîme s'ouvrit au fond de moi. Tandis que dans
cet espace vacant, quelque chose d'énigmatique et lourd s'engouffrait
brusquement avec la violence d'un torrent en crue."
Toujours de jolies choses nippones ici. Très attirant ce hameau en son brouillard. 😊
RépondreSupprimerun auteur à découvrir, sauf si tu crains l'horreur et la tristesse...
SupprimerTu en vois du pays avec tes lectures !!!
RépondreSupprimerMoi je suis plongée dans le dernier PASSIONNANT Stephen King. Je te le recommande +++ pour des nuits sans sommeil. Peut-être le meilleur Roi. Billy Summers est un personnage fascinant hautement cinématographique.
Des nuits sans sommeil, j'en ai déjà sans le King... Pour revenir au Roi, j'avoue que son précédent, L'Outsider, ne m'avait pas passionné du tout...
SupprimerJe ne suis pas anonyme.
RépondreSupprimerJe ne suis pas un numéro...
SupprimerAvec Billie Summers, le King reprend sa couronne et est à son meilleur. Trust me et ne le rate pas.
SupprimerUn endroit à part. Un roman (encore) à part....
RépondreSupprimerun Roman... Totalement hors du temps, hors du lieu, hors de la littérature
SupprimerIl y a des voyages, des lieux, des émotions, des rêves aussi, qui nous coupent le souffle, desquels il est forcément difficile de revenir...
RépondreSupprimerEt là, c'est un naufrage à couper le souffle, à pleurer d'émotion, un voyage dont on ne revient jamais tout à fait...
SupprimerIl m'est tombé des mains... laborieux.
RépondreSupprimerJustement, je voulais te demander ce qu'il en était de ta "première" lecture japonaise... C'est dommage. Je suis de bien mauvais conseil, désolé...
SupprimerTu m'as fait connaître les jumeaux... Tu seras toujours pardonné.
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