lundi 22 mai 2023

Et une larme coule sur ma joue

Je ne suis pas un héros.
J'ai été un père de marde.
Je suis un père de marde.
Voilà donc toute l'histoire de ce bouquin, celle d'une vie, celle d'un père alcoolique.

Toute ressemblance avec un semblant d'héros serait donc fortuite. Alors qu'il se sait mourant, le foie qui lâche, l'histoire de quelques mois, ce père, ce héros, alcoolique depuis des années, essaie de renouer le contact avec sa fille Gabrielle qu'il a laissé depuis deux décennies. C'est donc une histoire de rédemption et de pardon. Yvan qui vit en coloc avec Miche, amante plus par solitude, et un chat recueilli par défaut. Gabrielle -
tu brûles mon esprit, ton amour étrangle ma vie et l'enfer -, qui semble malgré tout accorder tant d'amour à ce père si longtemps absent.  

"- T'es pas aussi méchant que t'aimerais qu'on le croie. Si t'étais un vrai cynique, tu pleurerais pas devant Downton Abbey..."

En fait, une question se pose : qu'est-ce qu'un héros à tes yeux ? Attention, je ne te parle pas d'un type en cape et collants. Non, là, je te cause d'un vrai héros. Le genre ordinaire, un pauvre type qui peut s'émouvoir d'un vol de lagopèdes à queue blanche, sentir le frémissement de ses majeurs sous le souffle du blizzard, regarder en silence la migration des bernaches à l'approche de l'hiver canadien, en s'enfilant quelques frettes dans le frette québécois... Ou est-ce juste un père alcoolique sous le regard de sa fille...

D'ailleurs, le roman s'ouvre en quatrième page par cette phrase-là :
Comment puis-je commencer quelque chose
de nouveau avec tout cet hier en moi ?
LEONARD COHEN, Les perdants magnifiques.
 
Alors forcement, j'ai devant moi l'immense fresque de Léo sur cet immeuble de Montréal... Déjà je suis dans la place, et les jurons, si amusants vus de ma contrée, de Sophie Bienvenu sont attendus avec un grand sourire, ça fait partie de mon folklore littéraire 100% pur sirop d'érable. Surtout qu'après Léo, elle enchaîne avec David Bowie et Lou Reed. C'est dire, la force, la puissance, l'émotion d'un tel roman. Car Yvan a une grande et belle discothèque, qui pourrait être mienne, je vous l'ai dit d'entrée de jeu, j'ai beaucoup de point commun avec Yvan. 

"Mes jambes me font souffrir, mais je me lève pareil pour examiner les disques. J'en sors un, puis un autre, puis encore un autre... c'est ma collection. Comment ils se sont retrouvés là ? J'étais certain de les avoir pawnés un soir de brosse, pourtant ils y sont tous. Aladdin Sane, The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars, Country Life, London Calling, Purple Rain.. Dans ma jeunesse, ma collection de disques était ma vie entière. Et puis Gabrielle est arrivée, et quand on ne regardait pas la télé, on écoutait de la musique ensemble. Bébé, elle avait baragouiné « veuwoz », et j'avais compris : « Mets Hunky Dory, s'il te plaît, papa.» Cet album de Bowie dont j'avais déniché une édition limitée dans un magasin d'importation était son préféré. À cause de la couleur rose du vinyle lui-même, évidemment, mais aussi de Life on Mars ? qu'elle me réclamait en boucle."

Et la force de ce bouquin, outre la larme qui coula sur ma joue, outre l'envie de le relire, fut la façon dont l'auteure parla de la Piste 3 de l'album Deep Purple In Rock, les connaisseurs savent de quoi je parle et se reconnaîtront...
 
"J'étais un Héros", Sophie Bienvenu
 
"On comprenait l'anglais aussi peu l'un que l'autre, mais on se laissait envahir par la musique en fermant les yeux.
J'opte pour Deep Purple et me mets en quête du tourne-disque. Mody, qui m'a rejoint, aussi discret que le chat, me pointe du doigt une commode.
- Tu connais ça ? Je lui demande en lui tendant la pochette de Deep Purple in Rock. 
Il secoue la tête. Je dépose le disque sur la platine et positionne l'aiguille au-dessus de la troisième piste.
- C'est une des plus belles choses qui ont été composées."
 

" - Hmmm. 
Je crinque le volume et j'abaisse doucement l'aiguille sur la platine. Je m'assois et l'orgue m'emporte aussitôt. La voix d'Ian Gillan résonne dans les haut-parleurs et inonde la pièce. A côté de moi, un petit pied bat le rythme. J'observe discrètement comment Mody aborde cette chanson complexe. Il fronce les sourcils et bouge la tête comme un vieux jazzman quand débute le solo. Son pied accélère. Je ne sais pas s'il sourit ou s'il souffre. Lorsque l'orgue s'accorde avec la guitare, c'en est presque trop. Son pied s'immobilise, sa poitrine se soulève par saccades. Et puis tout s'arrête, et l'orgue reprend sa partition. Mody ouvre les yeux. La voix répète le refrain, «Sweet child in time/ You'll see the line/ The line that's drawn/ Between good and bad», et une larme coule sur sa joue. Les hurlements embarquent. J'aurais peut-être dû commencer par All Along the Watchtower. Je n'ose pas m'éloigner du sofa avant la fin, même si je sais que Mody goûtera le silence juste après, comme on fume une cigarette après l'amour. Ouin. Si cette comparaison me vient, mon choix de toune pour initier un kid de dix ans au rock laisse peut-être à désirer. 
Une fois le morceau terminé, je relève l'aiguille. Gabrielle est accotée dans l'embrasure de la porte. 
- C'est possible de la mettre plus fort, ta musique de cinglé ? elle me demande avec un sourire."
 
Bien sûr que c'est possible. 
Tout est possible avec Child in Time !! 
Vieil adage de mon cru, refrain éternel.
 

 Et une larme coule sur ma joue.

- Mets-en une autre, mais une qui fait pas mal.
Je cherche, dans les R, Transformer de Lou Reed, et je dépose l'aiguille sur la piste "Perfect Day".
" I thought I was someone else / Someone good."
Je n'ose pas dire à Mody que de la douleur découle la beauté. Je ne voudrais pas qu'il ait la même vie que moi.


 
Boire une frette, écouter Lou Reed ou David Bowie, écrire sur Deep Purple, penser à Leonard Cohen... Tout ça dans le dernier roman, grandement autobiographique, de Sophie Bienvenu, émouvant en tabarnak...
 

6 commentaires:

  1. Un opus (je déteste ce mot, j'aurais dû écrire livre, mais c'est trop tard) musicalo éthylique et bien nostalgique semble-t-il. Mais j'ai l'impression qu'il faut être bilingue non ? J'avais oublié, pas écouté les Profonds pourpres depuis une éternité. Mais elle vient d'où la voix céleste de Ian Gillan ??? Comment osait-il de telles performances en public live ? En même temps, c'est du rock, c'est hard, si on se plante, spa grave ! Et les filles au premier rang, elles carburent à quoi ? Comment rester stoïque devant cette voix pure, grave et soudainement haut perchée et ces hurlements ???
    Et cerise sur le pompon le jour parfait du Lou accompagné par la magicienne Anohni.
    ça donne envie de se remettre au Taï Chi et de poser son front sur son genou...
    Frissons, chaire de poulette de la tête aux pieds.

    P.S. : d'ailleurs c'est quoi ce morceau qui fait ta da da ta da da da ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiin avec un gars qui hurle crescendo sur fond de grosse guitare ? Avec ces éléments tu devrais trouver.

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    1. Trois jours sans Deep Purple, voilà ma notion d'éternité, j'espère pour toi que ce n'est pas plus...
      Céleste, le mot est bien choisi, faudra que je m'en rappelle si un jour j'écris un petit billet sur Deep Purple. Les nanas, elles sont choquées, elles se rendent compte qu'une voix céleste pouvait mouiller leur culotte blanche... Mais Ian, c'est la meilleure partie de Deep Purple, vocalement.
      Lou et Antoni, c'est magique aussi. D'ailleurs, je voix que tu es plus au fait que moi. J'ai cru à une faute d'orthographe, j'étais resté à Antony de Antony and the Johnsons, et j'étais passé à côté de sa transformation Anohni. Honte à moi.
      Taï chi en plus du yoga...

      PS : ta da da ta da da da ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiin avec un gars qui hurle crescendo sur fond de grosse guitare ? Je réfléchis mais les indices écrits ne sont pas très parlant...

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  2. Anthony je l'ai vu en concert deux fois dont une en Angleterre. Magique.
    Anohni c'est notre mère à tous.

    Mais si tu connais bon sang ! La guitare parfois on dirait le bruit d'un moteur de formule 1 en plein virage. Gniiiiiiiiiiiiiiiiiaaaaaaaaaaaaaaaan. Et au fond y'a un mec qui hurle.

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    1. Waouh.... tu vas en concert jusqu'à Londres...!!! Tu as du voir les Beatles, alors :-)))

      Des mecs qui hurlent, j'en connais quelques unes... Ca va me revenir, un jour...

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  3. Je me disais justement que tu ne serais pas indifférent à la discographie de Sophie. Que tu entendrais Lou Reed, David Bowie, Leonard Cohen et Deep Purple...
    Je me disais que tu verrais dans tes songes un vol de lagopèdes à queue blanche...
    Je me disais aussi que tu ressentirais le souffle du blizzard entre tes majeurs.
    Je me disais surtout que tu ne résisterais pas au charme de Sophie Bienvenu. Et que tu te souviendrais de cette photo d'elle avec son chandail de Pink Floyd et ces quelques mots laissés dans la couverture de l'un de tes livres. Tabarnak...

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    1. J'ai des chandails de Bowie, de Pink Floyd et de Deep Purple (pas encore de Leo), alors forcément l'univers de ce bouquin me parle ;-)

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