dimanche 28 mai 2023

Les Escales de Nad' et du Bison : Brésil

Lieu : Favela Berimbau, Rio de Janeiro
Lever du soleil : 6h24  | Coucher du soleil : 17h15
Décalage horaire : -5h
Météo : 29° Ressentie 33°. Beau temps, peu nuageux.
Coordonnée GPS : 22° 54' 24.648" S / 43° 10' 22.427" W
Musique : Highway to Hell, AC/DC
Un Verre au Comptoir : la Bière du Démon




Un hélicoptère de la police tourne dans le ciel. Flack Flack. Le bruit des pâles qui brassent l'air chaud et étouffant de cette fin d'après-midi. Schlack Schlack. Des bruits, des rumeurs, une descente de police au soleil tombé. La butte est encerclée. Les premiers tirs commencent, fusils AR-15 et HK-47, comme à un concert de hard-rock, explosions de grenades, comme à un concert de funk. Mais ici, favela Berimbau, Rio de Janeiro, c'est la samba qui coule son rythme sur une terre de poussière et de linges colorés séchant au vent. Une fumée épaisse. Puis le silence au petit matin. Les débris d'un hélicoptère. Du sang séché mêlé à la poussière. La vie reprend. Les policiers ont été refoulés à l'extérieur de la favela. Boum. Les tambours rejouent la joie de vivre, l'insouciance pour oublier la peur ou la misère. Boum. On compte les morts dans chacun des camps. Mais la butte reste là, fidèle à son point de vue. Les guetteurs reprennent du service. Le regard porté sur le vent. Attendant la prochaine livraison. De drogue. D'armes. Des larmes. Boum. Une musique défile dans l'étroitesse des ruelles. Le carnaval toute l'année...


"Boum. 9 heures du matin. Ciel noir, tempête à l'horizon. Feu rouge. Maria Emilia, en route vers le coiffeur, fut dépouillée par un gamin qui la menaça avec un tesson de bouteille. Quelques minutes plus tard, Simone, secrétaire dans une multinationale, se mettait du rouge à lèvres en se regardant dans le rétroviseur lorsque surgit un garçon, menaçant, un tesson de bouteille à la main. Si tu cries, tu passes à la trappe. Ana, étudiante en droit, filez-moi votre sac madame, dit le gamin, filez-moi votre sac, madame, et pas un geste. Tesson de bouteille à la main. Amélia, cinquante-quatre ans, au téléphone, racontait à son fils qu'elle avait été agressée dans la matinée, je n'avais rien sur moi, un coup de chance, mon garçon. Il ne m'a pris que ma montre. Ce que je voudrais, dit Simone, en parlant encore avec son amie, au bureau, du vol dont elle avait été victime, ce que je voudrais c'est attraper un de ces gamins et le frapper, le frapper, lui donner une raclée telle qu'il serait bon pour l'hosto le malheureux. Ceci est un hold-up, dit le gamin à Angélica, dix-huit ans, jeune fille hystérique qui rentrait tout juste de ses vacances aux États-Unis. Tesson de bouteille à la main. Je rentre de Miami, et, la première fois que je prends ma voiture, je me fais agresser. Voilà le Brésil, dit elle. Aucune des victimes n'a porté plainte."

 
D’autres bruits, d’autres rumeurs. Des sifflements SSSSSSSSSSS. Sao Paulo, Boum! La morsure… Ici on joue dans la cour des contrebandiers de venin lyophilisé. Il n’y a pas que le brocoli déshydraté version camping sauvage qui se lyophilise, on en apprend chaque jour. Tension qui faiblit, maux de tête, vomissements ; ce ne sont que quelques symptômes que vous pourriez vous estimer chanceux d’avoir. Car la vipère du désert, Échis carinatus pour les intimes, la plus mortelle, ne fait pas que vous arracher quelques remontées gastriques incommodantes. Son poison névrotoxique vous paralyse les muscles et vous envoie six pieds sous terre avant même que vous n’ayez eu le temps de recevoir une dose de sérum qui, de toute manière, n’aura aucun effet contre la Bête. Ici, l’Enfer a la langue bifide et aucune pitié pour les maris infidèles, encore moins les Ronald. Quand on est biologiste membre de l’Association d’erpétologie, on en connait large sur les substances toxiques et les empoissonnements de toutes sortes. C’est une sacrée idée de génie que d’utiliser le serpent comme arme de crime. C’est nettement plus propre et ne laisse aucune trace. Vite fait, bien fait. Chapeau Fulvia! Gangster Queen de première!

Petit Roi et ses soldats est devenu le Prince de la favela. Le maître qui promène ses pitbulls avec une horde féminine prête à lui apporter une bière fraîche. Et plus si affinité (deux bières ? un whisky ? Juste un doigt) et avec le roi dollar, affinité il y a. SSSSSSSS, ce serpent qui glisse entre ses cuisses. Et dire que sa mère veut l’envoyer à l’école… A quoi sert de résoudre une équation, si la seule inconnue de ta vie est de savoir qui sera le prochain qui te plantera un couteau dans le dos. Bullet in the head. C’est pour cette raison que Petit Roi, du haut de ses seize ans, a son propre code de conduite : tue ceux qui te gênent, sans remords, sans semonces. Tuer ou être tuer, il n’y a que ces deux alternatives dans la favela Berimbau. Shakespeare in favela. L’éloge de l’Enfer tu vis, un jus vert tu bois. L'éloge du mensonge tu subis, une bière du Démon tu bois.

Tuer ou être tué, Licence to kill, mais trouver le bon endroit, le moment propice. Crotalus durissus, le féroce, l’assassin, que même Bond ne saurait déjouer. Désolée James, échec et mat! Sur ce coup aucune chance, pas même pour Petit Roi, ses pitbulls et ses Bond girl, alors oublies la bière fraîche, tu devras aller te servir toi-même au frigo et tandis que tu y es, je prendrais bien un p’tit jus vert… Mais pour revenir à nos reptiles carnivores, je vois de ma fenêtre empoussiérée de chaleur Fulvia The Queen et son José, main dans la main et s’embrassant à tout vent, s’adonner à une petite ballade estivale dans le parc, mine de rien, lui avec son Sucuri - genre anaconda de six mètres - et elle avec son python burma albina, tous deux serpentant librement dans l’herbe. Les pitbulls n’en menaient pas large, ils faisaient moins les malins face à leurs copains aussi longs qu’affamés de chair fraîche. Parlant fraîcheur… dois dedos di cachaça fresco por favor! Rápido macho!!!  

"Arrivé aux grilles de la Promenade publique, Fake ouvrit sa braguette et pissa, en regardant le ciel. Ah, pisser à la belle étoile, c'est le bonheur. Depuis qu'il était sorti de prison, deux jours plus tôt, il n'avait que cette phrase à la bouche. Je sais pas ce qui me prend, Petit Roi, mais j'ai des pensées philosophiques dès que je me mets à pisser à la belle étoile. Je pisse et je pense à des trucs super-sérieux, c'est comme ça que je pisse en méditant. Le Bonheur." 

Alors tu montes sur la butte, là où les serpents ne se baladent pas à découvert, une sorte de mirador sans les barbelés autour, mais avec une myriade de fils électriques qui pendent de partout. Tu poses ton regard sur l’horizon et tu vois un champ d’antennes satellites qui poussent comme des marguerites après une pluie d’eau tiède. Tu respires encore la poudre d’hier, cette odeur de soufre dans l’air. Les yeux rougis par l’autre poudre que tu t’es collée dans le nez, tu écoutes le son de la vie : des postes de télévision branchés 24h sur 24 sur des novelas à l’eau de rose, des ghettos-blasters qui crachent des onomatopées de hip-hop, des caisses claires qui cognent dans ce labyrinthe. Tout ça, c’est ton territoire. Fragile. En un clin d’œil, l’honneur, l’argent, les armes peuvent te basculer en « Enfer ». Seul avec ton venin dans les veines, la cachaça. 


« Enfer », Patricia Melo.
« Éloge du Mensonge », Patricia Melo.



Les Escales, 
un trip littéraire composé à 4 majeurs,
amarrée des mots et de la poussière.

Prochaine escale : l'ANGLETERRE

2 commentaires:

  1. Highway to Hell, excellent choix musical! Merci de l'escale brésilienne mouvementée et de la descente de jus vert... :D

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    1. Merci pour ce voyage littéraire, cette virée en enfer, crache ton venin, en attendant la mousse anglaise...

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