Je
me promène dans la rue, à la recherche d’un bar ouvert, le genre avec vomis sur
le trottoir, signe qu’on a le droit de saouler toute sa peine à l’intérieur et
à l’extérieur. Fraîcheur hivernale qui me tient éveillée lorsque je pisse
contre le réverbère. C’est à ce moment-là qu’un SDF me parle en japonais. N’y
prêtant guère attention, je m’enfuis dans le lieu enfumé où les odeurs aigres
d’urine débordant des chiottes et de sueur des piliers de comptoir scotchés à
leur tabouret me prennent à la gorge. Difficile de respirer, le cœur est
comprimé – où est-ce ma putain de vie qui me comprime. Il cogne, dans le corps,
dans la tête. Boom, boom, une explosion de tristesse qui largue ses larmes
radioactives. Je commande une bière pour commencer, ce ne sera qu’un début,
j’ai besoin d’oublier ma vie, cette putain de vie. Je sors le bouquin de ma
poche, renverse au passage la boite à cure-dents, finis ma bière.
« J’avais la gorge sèche et du mal à respirer, ma respiration se résumait à un râle sec. Je vidai d’une traite une troisième bouteille de Corona et ressentis aussitôt les vingt centilitres de bière plonger directement dans mes couilles avant de se répandre en moi. »
Mon
compte réglé, la gueule minable, impossible de me regarder dans la glace
derrière le comptoir, toute l’histoire de ma vie, je sors titubant et croise de
nouveau le regard de ce japonais. Et le voilà qu’il reprend contact et me
demande d’aller voir une certaine Keiko, en me filant un sachet d’ecstasy. Pour
le plaisir. Et crois-moi que l’ecstasy conjugué à la Corona, ça te met en vrac
tes pulsions sexuelles, à en déchirer les coutures de ton jean.
« C’était la première fois que je prenais de la drogue. Je n’avais même jamais fumé de la marijuana. Lorsque les deux lignes de coke pénétrèrent dans mes narines, j’eus l’impression qu’un feu d’artifice froid explosait dans mes sinus. Une sensation glaciale de brûlure, comme on provoque la neige carbonique, une sensation semblable à l’étincelle causant l’explosion initiale dans un moteur. Puis ce fut une impression d’anesthésie dans les muqueuses de mes narines et dans ma gorge qui se propagea bientôt dans tout mon corps. Avale donc une gorgée de bière, dit le singe en riant. Je bus un peu de Corona. Les bulles éclatèrent dans ma bouche comme un violent orage s’abattant sur une terre aride et vinrent stimuler mon œsophage. L’amertume du houblon provoqua bientôt sur mon palais et dans mon estomac une réelle sensation de plaisir. Alors ? demanda le singe. Wouah ! C’est bon ! répondis-je et nous éclatâmes de rire. »
Keiko,
je repense à elle. Souvent même. Elle a le regard qui pétille, une longue
chevelure brune, un cul d’enfer et une chatte qui me donne tant envie de la
lécher. Et pendant que je fantasmais sur elle, elle me causait de sa vie, elle
me racontait son histoire avec ce SDF et comment elle a conjugué ecstasy et
sadomasochisme. Je reste toute ouïe, à défaut d’être de marbre, le gourdin
fièrement levé quand ses expériences sexuelles se font de plus en plus crues.
L’amour est partout, dans toutes les pratiques, dans tous les consentements,
dans tous les trous même. L’amour sans tabou, c’est tout ce que j’ai aimé. A
peine le regard posé sur moi, mon regard posé sur elle, j’ai senti cette
évidence. Keiko est la femme. Celle d’une vie, celle d’une pratique, la femme
exceptionnelle.
« Rien qu’en examinant les mains ou le visage d’un homme, je suis capable de me représenter très exactement la forme de sa bite, sa taille, sa couleur, l’aspect qu’elle prendra en érection, sa capacité à résister à la jouissance, la manière dont le sperme jaillira au moment de l’éjaculation : je suis capable de comprendre tout cela. »
Je
n’ai pas envie qu’elle arrête son récit, son histoire qu’elle devienne mienne
aussi. Je suis comme hypnotisé par son regard, son pouvoir, et sa façon de
raconter, avec le sourire s’il vous plait, sa plongée dans le monde SM. Rien
qu’à y penser, j’ai encore la gaule, ne fais donc pas la goule de ma crudité,
je ne cache rien, ni mes sentiments, ni mes pulsions. Mais comme tout a une
fin, aussi triste soit-elle, Keiko se détourne, ferme la porte derrière elle
comme elle enverrait un mail. Le regard de Keiko s’est enfui, il me reste plus
qu’à cracher ma peine et utiliser mon poignet. Et me sentir encore un peu
vivant. Tu n’aurais pas un autre cachet d’ecstasy ?
« Je branlai mon pénis jusqu’à ce que mon poignet me fasse souffrir, jusqu’à ce que mon gland soit brûlant comme un morceau de fer chauffé à blanc, jusqu’à ce que j’ai la sensation que seul ce gland était vivant. Puis mon corps fut soudain parcouru d’un spasme comme si des vers de terre couleur de lie s’étaient tortillés sur ma peau et j’éjaculai si fort que le sperme jaillit par-dessus ma tête. C’était si bon. J’avais les larmes aux yeux. Mais j’avais encore envie, à cause de la cocaïne, mon désir subsistait même après avoir éjaculé. »
Elle
n’est donc pas triste cette putain d’histoire ? Ah ce que je les aime, les
sombres histoires de Ryu Murakami. Ce mélange de détresse et de tristesse. Dans
un univers glauque, en plus. Toujours au bord du précipice ou du caniveau.
Toujours à la limite de l’irrespirable. Avec
cette fâcheuse tendance à me projeter moi aussi, dans la vie de ce
pauvre type, car au final, je ne suis qu’un pauvre type qui écoute lui aussi
Santana en buvant de la Corona.
« J’ai connu des excitations très fortes, j’ai eu des orgasmes, de gros orgasmes et de petits orgasmes, des orgasmes de souris blanche et des orgasmes de baleine, pour vous donner un point de comparaison. Des orgasmes qui me prenaient la chatte et venaient irradier mon cerveau, d’autres plus légers qui ne faisaient que très légèrement frétiller mon clitoris. Mais je n’ai jamais eu le sentiment d’avoir épuisé toutes les possibilités. Voilà ce que je venais de comprendre en découvrant ce pauvre type occupé à écouter du Santana, cette musique qui exprime la mélancolie neurasthénique dans laquelle est tombée l’Europe, ce pauvre type incapable de la moindre érection et dont j’avais désiré la bite dans mon con. »
Un grand merci à Cristina de m'avoir embarqué dans ce roman si loin de mes certitudes et de mes habituelles lectures trop fleurs bleues et romantiques. Et je me permets puisque je ne suis pas lu - ou si peu - d'affirmer haut et cru quel beau geste romantique que d'éjaculer dans la bouche de son aimée en écoutant Lou Reed ou Santana. L'amour permet tout, sans tabou, même d'écouter encore la guitare de Carlos Santana à notre époque, à mon âge.
« Ecstasy », Ryu Murakami.
Et puis quelle meilleur façon de commencer l'année qu'avec un peu d'ecstasy !!^^
RépondreSupprimerC'est quand même plus classe qu'une vulgaire coupe de champagne !
SupprimerJe me suis contenté d'un, enfin plusieurs, ballons de Sauternes...
SupprimerEt quelques éjaculations... (c'est pour rester dans le thème) :D
SupprimerAu final c’est une histoire d’Amour, celle du consentement et de « toutes les pratiques ». Et je trouve ça aussi beau que de trouver la personne d’une vie, cette moitié exceptionnelle. On aurait envie de tendre la main à celui ou celle qui se trouve à la limite de l’irrespirable. Super billet Bison!
RépondreSupprimerJuste une question, le « gourdin » et « avoir la gaule », ce sont des trucs de pénis ça? C’est que j’cause québécois moé, si tu pouvais m'expliquer...... ^^
un truc de pénis... Pfff Mais pas du tout. Sors-toi de ta tête ce pénis, tu t'es crue sur un blog médical ou à caractère scientifique ?
SupprimerNon, ici c'est un blog animal, où la bestialité de l'amour est le moteur des émotions silencieuses. Alors, ici, on parle de QUEUE fièrement dressée, prête à affronter tempêtes et marées humides !
Voilà ma première et dernière résolution de l'année, lire enfin cet auteur japonais… Très belle année à toi bisou et aux tiens…
RépondreSupprimerUne sympathique résolution !
SupprimerA ne pas confondre avec Haruki, mais ces auteurs valent le détour c'est certain!
SupprimerPremier volet, après c'est melancholia puis thanatos ... dépendance, sentiments, folie ... une lecture qui assurément excite l'esprit d'un Bibison !
Premier tome qui a su tenir toutes ses promesses ! Nul doute que les suivants suivront... Car pour exciter l'esprit d'un bison, il n'en faut pas plus qu'un bon bouquin...
SupprimerWahou quelle verve ! Un putain de billet comme je les aime ! Il n'y a que toi pour écrire comme ça ! Bravo ;-) Si j'avais su que keiko te mettrai dans un état proche de l'Ohio ...
RépondreSupprimerEn même temps avec Murakami j'étais sure de ne pas me tromper !
Merci à toi Bibison... pour tout !
un putain de billet (bof), une putain de vie, et une putain de femme !
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