« Lentement monte la pleine lune. Dans le bosquet, derrière la prison, se répondent le hibou et la tourterelle. Toute ronde, au-dessus des arbres, la lune se nimbe d’un surnaturel halo rouge, cependant que les nuages sombres la dévoilent ou la cachent tout à tour. Les vieillards chuchotent, comme des oiseaux de mauvais augure, que l’année à venir pourrait bien apporter quelque malheur. »
Une plage déserte, une croix au sommet de la montagne, une pluie déchirante, mauvaise augure...
Je chemine donc en silence (le silence étant ce qui me caractérise le mieux) cet extraordinaire voyage (autant que celui d’un samouraï du même auteur) avec tous les questionnements qui s’imposent. Sur la foi. Sur Dieu. Sur la barbarie humaine. Sur l’âme. Entre chaque question intérieure, tu me réponds par un silence. Un silence que j’accepte au début comme une mise à l’épreuve de ma foi. Mais le silence devient torture, la torture s’en prend à des paysans, les paysans sont crucifiés, noyés, saignés. Le silence demeure. L’homme meurt. Le silence oppresse, divise même mon esprit. J’attends que tu me répondes, Dieu, sur ce que tu attends de moi, de nous, simples missionnaires venus répandre ta foi et ta compassion sur la terre, une terre boueuse et devenue bien silencieuse.
« Nous nous tûmes alors longuement. La pluie fouettait en cadence le toit de notre masure, comme un sable coulant dans un sablier. Ici, nuit et solitude ne font qu’un. »
La nuit, tandis que la lune monte, je regarde le ciel et ses étoiles qui clignotent comme autant d’âmes venus s’évaporer dans les volutes de la Voie Lactée. La mer se démonte contre les falaises de cette île silencieuse. La pluie se fracasse dans un bruissement continu et hurlant. Ai-je envie de hurler mon cri de douleur et de désespoir à la face de ce monde ? Pourtant je n’entends que le bruit des vagues et le croassement des corbeaux répondants au coassement des grenouilles. Lugubre. Funeste. Les missionnaires espèrent, attendent, prient. Pour leur salut. Pour celui des chrétiens. Pour celui des âmes perdues. Croyant ou pas, j’assiste impuissant à ces séances de torture organisées par le chef suprême. La torture physique devient psychologique. Ne pas les tuer. Ne pas en faire des martyrs. Un missionnaire soumis qui renonce à sa religion aura toujours plus de poids et de force qu’un missionnaire mort. Là est la vraie torture, le faire douter de sa foi, de son Dieu, jusqu’à l’apostasie. Un Dieu qui a choisi de garder le silence, un silence si oppressant qu’il en est devenu incompréhensible pour qui veut garder la foi devant tant de cruauté humaine. Comme un signe d’abandon.
Le village avait été brûlé jusqu’au sol, tous les habitants dispersés. La mer et la terre étaient silencieuses comme la mort, seul le bruit sourd des vagues, se frottant à la coque, éveillait un écho dans la nuit.« Pourquoi nous avez-vous si totalement abandonnés ? pria-t-il d’une voix éteinte… »
Cela faisait longtemps que j’avais envie de découvrir ce roman, que je pressentais d’une certaine puissance et d’un dérangement psychologique à me mettre mal à l’aise. Ce n’est pas qu’une histoire de croyance ou de foi. C’est aussi tout un cheminement intérieur que ces êtres, au nom d’un Dieu, le leur, ont dans leur chair. Je n’ai pas voulu aller voir le film de Martin Scorcese, récemment sorti, tant que je n’avais pas lu le livre de Shûsaku Endô. Il fallait que je garde un esprit neuf, sans images cinématographiques, avant de lire l’auteur – japonais et chrétien – qui justement s’est beaucoup interrogé sur sa foi chrétienne – baptisé à 11 ans, une mère convertie au catholicisme -, et sur le silence d’un Dieu qui face aux maux (pour ne pas dire massacres) du quotidien nous interrogent nous-même sur ce que peut être la profondeur de la foi.
Je me dois, entre deux chemins de croix et deux bières, de remercier chaleureusement (mais sans réchauffer la banquise ni la bière) cette québécoise proche de Chambly qui m'a proposé cet oppressant silence, puissante lecture qui, je savais, allait me bousculer. Un grand moment spirituel et spiritueux, à savourer avec bibine et métal hurlant pour mieux apprécier le silence qui s'ensuit. Nul doute que, lâchant ses amarres, elle maîtrise bien mieux que moi la danse chaloupée sur une symphonie de Lemmy.
Je me dois, entre deux chemins de croix et deux bières, de remercier chaleureusement (mais sans réchauffer la banquise ni la bière) cette québécoise proche de Chambly qui m'a proposé cet oppressant silence, puissante lecture qui, je savais, allait me bousculer. Un grand moment spirituel et spiritueux, à savourer avec bibine et métal hurlant pour mieux apprécier le silence qui s'ensuit. Nul doute que, lâchant ses amarres, elle maîtrise bien mieux que moi la danse chaloupée sur une symphonie de Lemmy.
« Comme épuisée, la mer faisait silence et Dieu, lui aussi, se taisait. »
« Silence », Shûsaku Endô.
C'est un magnifique roman et le film vaut le détour aussi… (Goran : https://deslivresetdesfilms.com)
RépondreSupprimerMaintenant, je vais pouvoir voir le film... J'en avais tant envie, mais une fois de plus, je m'y suis pris trop tard pour lire le bouquin...
SupprimerEn regardant la couverture du livre et son titre, c'est trompeur, on peut penser à une lecture plus douce qu’oppressante. Puis c’est un moment de méditation spirituelle, des âmes profondes et torturées, la foi au cœur du chaos. J’ai pas encore vu le film de Scorsese, c’est une question de temps, ce sera dur et violent mais ce sera fort. Et puis avec Liam Neeson et Andrew Garfield...
RépondreSupprimerMotörhead......... killed by death, chut..... silence et chaloupe....!
Tabarnakos!
Le livre est violent, contrairement à la couverture bien douce. Silence en français, mais la traduction littérale du titre japonais est bien silence oppressant.
SupprimerBeaucoup de désespoir, de déchirement, de torture psychologique. Les pensées sont dures, choc de la littérature. Aussi violente qu'un killed by death de Motörhead.
Chut Chaloupe...
Dans ma Pal depuis des lustres... franchement il y a trop longtemps que je laisse dormir les romans japonais dans ma bilbiotheque, il faut que cela cesse !
RépondreSupprimerFaudrait que tu mettes de côté tes lectures nature-writing. Que le choix est difficile. Dilemme du lecteur (lectrice) compulsif avec une pal débordante. J'ai ce même souci...
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