Le
ciel est rose. Dans le genre saumon pas très frais, d’ailleurs l’odeur de ce
saumon prend au nez, loin des parfums iodés de la moule de la voisine. Le ciel
est aussi gris, comme la fumée de ma vie qui stagne autour, histoire de ne pas
oublier que cette putain de vie n’est pas bleue. Le ciel n’est d’ailleurs
jamais bleu. Dans cette ville, même la lune a abandonné son bleuté. Dans ma vie
aussi. Bay City, à quelques miles de Flint et de ses usines d’automobiles qui
éjectent leur fumée grise. J’y suffoque d’une adolescence marquée par les
non-dits et le lourd passé de mes ancêtres. Mal-être, mal de vie dans le
Michigan. Elle taille quelques pipes à défaut de croire en son avenir. Son
avenir parti en fumée, trente ans plus tôt. Dans les cendres de ses grands-parents,
en villégiature à Auschwitz. Je démarre mon périple dans une banlieue guère
enivrante d’une plaine enfumée du Michigan et je me perds dans les fumées d’un
camp de concentration. Tabarnak de bouquin. Je file au K-Mart du coin, acheter
des épices à steak d’élan Crousset, un pack de bières au passage, je ne rêve
plus de ciel bleu, peut-être encore d’hôtesse de l’air, la vie m’a abandonné,
comme toute cette génération survivant des années soixante-dix.
« Sous le ciel de l’Amérique, la vie est impavide. A Bay City, je n’ai que la mort dans l’âme. Je me rêve pendue, découpée en morceaux, ou encore je me prends pour une Ophélie verte, chancie, retrouvée noyée au fond de la piscine bleue de ma tante. J’imagine mes suicides. J’invente mes morts. Il y en aura eu tant pendant ces dix-huit années passées à Bay City. Mais pour se brûler la cervelle ou se faire sauter le caisson, il faut quand même croire à la vie et lui donner une quelconque importance. A Bay City, je n’ai aucune raison d’exister. Encore moins de mourir. Le ciel est saumure, je l’avale chaque soir. J’espère m’empoisonner aux fumées âcres du Michigan. »
Je
crois que je ne m’attendais à rien en m’attaquant à ce livre. Comme je ne
m’attends plus à rien de la vie. J’ai eu quelques ouï-dire, mais étaient-ils
objectifs de la part de canadiennes, pour ce roman, grand succès de la
littérature québécoise. J’ai commencé à le lire, ambiance américaine, normal je
suis dans le Michigan, un supermarché quelques blow job. Plaisant comme la
littérature américaine. Alors je descends au sous-sol, m’allonge sur le canapé,
lumière tamisée, prêt à défaire les boutons de mon jean, quand je suis pris par
cette odeur de cuir, ou plutôt de chair humaine cramée, des poils qui
grésillent, fumée grise qui sort du poêle. Elle me concocte un rendez-vous avec
ses ancêtres, illusions fantomatiques d’un monde qui s’acheva en 1945 avec
l’avènement de l’horreur. Comment survivre à cet effroi, comment même continuer
à vivre alors que tant d’autres ont brûlé dans des cabanons, au milieu du
froid, de la misère, de la déchéance. Comment même écrire sur ce sujet. De la
poésie ? Des mots, impossible de décrire cette odeur et pourtant le monde
tourne toujours, les oiseaux chantent encore, génération désenchantée. Depuis
les cadavres s’amoncellent dans des camps ou dans des tours, le ciel a toujours
cette empreinte saumâtre, ce relent de pourriture, de chair à vif et de cœur
fermé. Je la comprends.
« Une légende veut que les oiseaux depuis 1945 ne chantent pas à Auschwitz. Le monde se serait tu là-bas. Je suis allée en Pologne en mai 1995. Cinquante ans après la libération du camp, le 27 janvier 1945. C’était le printemps. Il faisait un soleil radieux. L’air était doux. Les oiseaux s’en donnaient à cœur joie et chantaient dans le ciel bleu, indifférent à la terreur humaine. L’azur est un cancer. Imperturbablement vivant. Le cri des oiseaux déchirait mes oreilles. Des hommes, des femmes, des petits avaient dû entendre des oiseaux, se gargariser de leur cri printanier et du bleu de l’horizon, avant de mourir. Il avait fait beau temps et puis aussi mauvais temps, mais cela n’avait rien changé à la terreur devant ce ciel polonais, gueule effrayante qui engouffra tout un peuple. Il pleuvait, il neigeait, le soleil se levait radieux et les gens mouraient, sans que le manège de la vie terrestre s’arrête un instant. Pas d’éclipse pour saluer l’horreur et pas de catastrophe cosmique pour accueillir les morts, les millions de crevés. Rien. Pas même le silence. Les oiseaux piaillaient de joie à Auschwitz. Ils célèbrent en chœur le jour qui se lève, toujours plus glorieux. Nous pouvons nous réjouir : le Jugement dernier est remis à demain ! Oui, l’apocalypse a eu lieu, certes, mais le ciel continue de nous provoquer. »
Je
ne m’attendais à rien, j’en ai eu pour ma gueule, pour mes tripes. Il y a des
romans qui marquent, des séquences qui se gravent en mémoire, des airs
irrespirables. Les silences sont lourds à porter. Je me tais – je sais faire –
et je reste triste – je sais faire aussi – de cette putain de vie à Bay City. Putain
de monde, putain de fumée.
« L’Amérique est notre sépulture. Le ciel, une belle ordure. »
Le
soleil se couche, le ciel vire du rose au violet. Jamais de bleu.
Crisse,
quel câlisse de bouquin !
Ce
roman est à suffoquer, comme les fumées du Michigan.
Le Ciel de Bay City, Catherine Mavrikakis.
Un crisse de roman à suffoquer han Bison? J'vois que comme moi il t'a vraiment remué.
RépondreSupprimerJe me souviens à l'époque je l'ai lu à sa sortie.
Je venais à peine de terminer "Il faut qu'on parle de Kevin". S'il y a un seul livre au monde qui m'a vraiment traumatisée et fait faire des cauchemars pendant plus d'une semaine c'est ce Kevin. J'en suis vraiment pas ressortie indemne de cette lecture, en plus mes enfants étaient tout petits à l'époque.
Tout ça pour dire que je me plonge après dans ce Ciel de Bay City et là, seconde claque en plein cœur! Un peu moins traumatisant mais une méchante décharge d'émotions à pas s'en remettre non plus!
Après j'ai été des mois à lire du Heidi pour me faire du bien!
Tabarnak!
Tabarnouche !
Supprimerça et Kevin, ça te plombe une putain de vie ! Je comprends ton envie de plonger dans l'univers d'Heidi :D
Dis, vous en avez d'autres, des auteurs québéco-canadiens qui écrivent des histoires comme ça ? Parce que j'aime bien plomber ma putain de vie !!
Probablement oui, en fait c'est pas mal certain, j'y réfléchis et j'te reviens là-dessus! :D
SupprimerCatherine Mavrikakis était au Salon du livre de Montréal en novembre dernier, je suis allée la voir, 10 ans après la sortie de ce Bay City son kiosque était un peu désert, j'ai pu parler avec elle, lui dire à quel point son livre m'avait grandement marquée. Il y a des lectures comme ça qui ne s'oublient jamais...
Pas le genre à oublier, d'autant plus qu'avec le 4ème de couverture, je ne m'attendais pas du tout à cette crisse d'histoire.
SupprimerUn petit mot sur la St-Ambroise au sirop d'érable : j'ai moyennement apprécié. Mais Unibroue a mis la barre tellement haute dans la bière canadienne... Alors ce goût d'érable malté n'a pas trop été du mien. Je crois que j'ai une autre St-Ambroise, celle-ci sans érable, je ne doute pas une seconde qu'elle me convienne mieux.
Ah oui la St-Ambroise, grand sourire quand j'ai vu la photo et j'ai complètement oublié de te parler de ça!!! ^^
SupprimerJ'préfère la "nature", les saveurs d'érable, de pumpkin ou d'abricots j'aime pas trop. Mon majeur n'arrive toujours pas à s'y faire... :D
je crois que je l'avais vu la pumpkin, mais elle ne m'inspire guère. Je tenterai peut-être la "nature", parce que j'aime la "nature"...
SupprimerPutain que ça donne envie :-) (Goran : http://deslivresetdesfilms.com)
RépondreSupprimertabarnak, une putain d'envie même, tu devrais dire :D
SupprimerT'as raison TABARNAK ! Tu donnes envie ! :)
RépondreSupprimerCe n'est pas toi qui ne voulait pas faire dans les romans tristes et sombres ?
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