vendredi 1 février 2019

Fonne et Phoque


J’imagine une étendue blanche, de la neige en abondance, de la glace qui coule du nez. Même ma bière est gelée. Je me rabats sur un verre de rhum ou mieux, une bouteille de vodka glacée. A ces températures extrêmes, il faut savoir survivre en milieu extrême pour rentrer dans « l’hiver de force ». Mais comment tourner les pages à ces températures-là, lorsque mon majeur devient tout bleu. Voilà une question que je me pose, de force ? Mais ce n’est pas la seule. Qui est ce Réjean Ducharme que je découvre ici. Un récit alambiqué, sorti de son alambic, même en suçant la tire, j’ai pas tout compris. Je ne suis donc pas encore prêt à recevoir mon passeport québécois. En plus j’ai pas l’accent, et j’arrive même pas à comprendre Céline Dion quand elle braille.

« Elle joue avec le deuxième bouton de sa blouse ; elle ne le lâche pas. Le bouton du haut, elle le laisse tranquille, détaché. Quand la nervosité augmente le bouton suivant saute et l’échancrure s’échancre assez pour qu’on voit, loin du monde et du bruit comme on dit, ses seins dormir ou couver ; mais la gêne de déranger nous prend et on rattrape vite nos regards ; peut-être qu’un jour nous serons amis avec eux aussi. »

J’ai pas tout compris, certes. La lecture fut parfois complexe, ardue même, face à tant d’élucubrations huluberluesques. Pourtant, j’ai aimé. J’ai été sous le charme de Ducharme. Cela doit faire partir d’une sorte de rite initiatique qu’ont les québécois, pour nous autres français, avant d’oser nous accepter. Il faut passer par Réjean Ducharme si tu veux faire partie de cette confrérie des buveurs de broue - et d’Unibroue. Comme celui d’écouter Robert Charlebois. 

 

« On en a marché un coup. Il faisait beau. On respirait le soleil comme des nageurs épuisaient avalent de l’eau. On est revenus gonflés, bouffis, bleus, tout étranglés en dedans. Avoir, comme une effervescence, dans toutes tes tripes, envie qu’elles zé, qu’elles zécla, qu’elles zéclatent, que toute la marde gicle ! »

Le charme de la frette. Mais aussi celui de la plume – de lagopède à queue blanche – et de l’auteur. Il y a une telle musicalité dans sa prose, avec ces deux héros perdus dans ce monde trop civilisé capables d’écouter pendant des heures sur leur mange-disque l’album blanc des Beatles. Moi, pendant que je poursuis ma lecture, des mélodies trottent dans ma tête, genre « Je reviendrai à Montréal, Lindberg » ou « La complainte du phoque en Alaska ». Phoque, je serais bien sortie prendre l’air, la graine au vent, mais elle risque de geler… Alors, je me réchauffe des aventures d’André, d’après ce que j’ai compris, un double littéraire de Réjean, ce qui me fait penser que l’auteur est un doux rêveur, même en hiver, parce que quoi de plus beau que de regarder cette étendue presque vide d’homme mais chargée en âme.

« Qu’elle a passé la fin de semaine stone. Qu’elle a pris trois caps d’acide, que c’était du mauvais stock, qu’elle a fait des bads trips. Que c’est sur le hasch qu’elle a les meilleurs flashes. Qu’il n’y a rien pour la mettre dans le groove comme quelques bonnes sniffées de hasch. Que l’acide, man, c’est pas son bag, que ça fuck son cosmos, que là son cosmos est aussi fucké qu’il peut. Qu’elle s’excuse mais qu’elle est encore toute shakée par les mauvaises vibrations. (Ma grammaire undergound fait dur.) Puis boutonne, déboutonne… »

« Hey poupée, t’irais pas me chercher une bière dans l’frigo ? » Tabarnak, ça serait quand même sympa de ta part… le temps que je finisse cet extravagant roman du terroir de Montréal avant que finisse le cul gelé sur la banquise avec le gosier asséché. C’est que je ne voudrais pas manquer le char de ces deux aventuriers, correcteurs de métier, dans ce monument de la littérature québécoise. Ils sont à la rue ou presque. Ils sont comme des losers, ou presque, pendant que leurs amis réussissent outrageusement leurs vies. Mais, je crois surtout qu’ils sont heureux comme ils sont, belle philosophie de la vie, le genre à apprécier le silence quand celui-ci s’impose, genre face à l’amour ou à la vue d’une banquise, dans le frette. Genre le fonne c’est platte. Et c’est en ça que j’ai apprécié cette lecture hivernale.     

Merci.

« L’Hiver de Force », Réjean Ducharme.

Ce soir,
c’est une spéciale Robert Charlebois,
Comme un hommage
à cette Blonde de Chambly



« Tout nus, tout mouillés, marcher l'un derrière l'autre de bout en bout de l'appartement. Allumer la radio et marteler nos pas en rythme avec Dolorès ô toi ma douloureuse, le hit de Robert Charlebois. »


Paroles de Réjean Ducharme
Mon pays ce n’est pas un pays c’est une job



Embarquement Immédiat
Décollage
Et me v’la chu r'parti 
Sur Québec Air



10 commentaires:

  1. Je viens de voir un film auquel je n'ai RIEN compris (un grand voyage vers la nuit). Je serai moins indulgente.

    Lindberg est un chef d'oeuvre intemporel. Elle m'a toujours fait planer et pis jfais eune crisse de chute en parachute...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je ne m'y connais pas trop en matière de Bob. Je l'ai redécouvert il y a quelques années quand il a repris cette brasserie Unibroue pour en faire des binouzes aussi bonnes qu'en Belgique. Mais, je reconnais qu'il y a des crisses de bonnes tounes dans son répertoire... Et Lindberg en fait sacralement partie.

      Supprimer
  2. Le nez, les cheveux et la voix de Robert sont aussi des oeuvres d'art.

    SUPERBE cette version en public.
    J'adore : j'ai retrouvé ma Sophie, ma Sophie à moi. Elle était dans mon lit avec mon meilleur ami pis SURTOUT avec mon pot de biscuits... à l'érable.
    😘
    Merci. Je l'ai en tête pour la journée.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Un tableau a lui tout seul... Et ce pif...

      Lindberg, belle version effectivement, est le genre de toune qui tourne dans la tête toute la journée. C'est ça qu'est bon, aussi bon qu'un pot de biscuits à l'érable...

      Supprimer
  3. Ça dépend où tu le trouves le pot de biscuits... à l'érable :-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. peu importe où... Cela reste SON pot de biscuits à l’érable et donc pas touche à SES biscuit !

      Supprimer
  4. Pas encore pris le temps de me plonger dans mon exemplaire à la couverture vintage/pop art...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Trop classe et trop cute, effectivement, ta couverture vintage... Moi à la place, j'ai une dédicace à l'intérieure d'une authentique blonde de Chambly. Tout aussi cute - à mes yeux...

      Supprimer
  5. Ton majeur est tout bleu, shit, faut le mettre au chaud, tu pourras plus le faire titiller, crisse…
    Suces d’la tire ça le réchauffera, avec une p’tite frette de broue mais évites de te dandiner la graine au vent parce qu’y aura pas que ton majeur qui va tomber!
    Je retourne donc à mes silences, où je vois passer un vol de lagopèdes à queue blanche… et j’imagine un Bison essayer de comprendre quelque chose au débit d’Anne Dorval. Épique… Tabarnak ! Viens pelleter la neige dans l’entrée de cour, pis en rentrant, tu m’serviras une frette qui traine dans l’frigo. J’ai comme une tite soif…
    Fuck le blizzard !
    chuuuuuuuuuuuuuuuuuu r'parti
    Sur Québec Air
    Transworld, Nord-East, Eastern, Western
    Puis Pan-American
    Mais ché pu où chu rendu...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il parait qu'il faut tremper son majeur et sa graine dans le rhum pour qu'ils ne deviennent pas bleu... :-)
      Cette photo m'inspire tant le silence et la beauté, magique panorama sur Quebec Air que j'en oublierai de pelleter la neige ou de sortir une broue du frigo. Elle me laisse sans soif...

      Supprimer