vendredi 1 mars 2019

Le silence. Et la nuit. Et la pluie.


Une fois n’est pas coutume, je vais te dire pourquoi j’ai choisi ce livre. Un nom, tout d’abord, Einar Mar Gudmundsson, et son premier roman, « Les Anges de l’Univers », qui m’avait déjà à l’époque profondément ému, troublé, perturbé. J’avais ressenti tant de poésie dans la plume de cet auteur, malgré l’étrangeté du sujet. Puis, ce livre réédité en ce début d’année, maintenant, « Le Testament des Gouttes de Pluie », rien que le titre me met déjà en transe. Poésie du titre et funeste rêverie, je ne pouvais que y accéder. Belle couverture, ensuite, qui me fait encore plus rêvasser d’une aventure dans les landes islandaises. Je retourne la couverture et je lis que c’est un roman pour ceux qui aiment le silence, ceux qui aiment lire le silence, ceux qui savent apprécier le silence, le comprennent, le vivent. Et la pluie, aussi. Le silence, ça me connait, c’est toute ma vie, je devrais dire, des silences pas forcément compris, mais ainsi va la vie, ainsi va les émotions qui submergent et je sens dès la première page que je vais être englouti par ces silences et cette tempête qui s’annonce par la noirceur de la pluie et des nuages qui masque jusqu’à la lueur d’une lune bleue.

« Le silence.
Il est suspendu aux perles de lumière scintillante, aux appliques murales à côté de la table, aux ampoules Osram blanches comme la neige, aux abat-jour blanc crème.
Le silence.
Il joue à l'harmonium, virevolte au-dessus du petit autel de la salle à manger et dialogue avec les rideaux tout en aspirant les images pieuses à l’intérieur de leur cadre.
Le silence.
C'est un aveugle avec sa canne. Il entame un solo de batterie dans l'évier de la cuisine, tire la chasse d'eau et transforme les gouttes de pluie qui cinglent les vitres en orateurs qui, juchés dans leurs chaires comme des bosses sur un dos haussent de plus en plus la voix.
Ils haussent le ton, encore et encore jusqu'à former un chœur d'hommes à plusieurs voix tellement écrasant que même les serpillières se bouchent les oreilles.
Oui, le silence.
C'est un rêve qui renaît suspendu en l'air. »


Je n’ai même pas envie de te raconter l’histoire, car il n’y a pas d’histoire – et je ne suis pas doué pour conter les histoires. Il n’y a qu’un silence qui s’embarque entre les lignes et sur les rives de Reykjavik. Il n’y a pas d’hommes non plus, ni de femmes, juste des âmes qui errent dans ces lieux qui s’assombrissent d’heure en heure. Tu t’engouffres alors dans un pub où, assis sur une selle, le conteur conte des contes d’un autre temps. Le temps a disparu lorsque tu t’adosses au mur, un verre de bière à la main, un chien noir couché et puant le chien mouillé, la bière chante son refrain d’appel comme ces sirènes au loin qui t’entraînent au-delà du ressac. Tu fermes même les yeux, bercé par la voix du conteur et la voie de la bière où ton esprit divague et s’enfuit dans les vagues. Un bateau à la dérive, et des fantômes s’élèvent des cabines, les pêcheurs morts sont de sortie ce soir on dirait, et tu écoutes leur silence, dans cette intense pénombre d’une nuit qui ne finit pas. Le vent. Il souffle, te frappe le visage, comme la claque de ta femme qui te voit rentrer chaque soir saoul, la tête remplie d’étoiles et des beaux rêves de ce conteur intarissable ou de ces sirènes à la poitrine généreuse mais inaccessible. L’obscurité.

« Mais c'est le soir et la tempête qui se déchaîne dans les rues porte avec elle une question qui n'obtiendra sa réponse qu'en regardant l'océan, la mer cruelle et hérissée qui, avec sa crinière écumante composée de monstres marins sauvages se rue sur les rochers où les mouettes effrayées perdent la raison alors que les vagues inondent la grève, mouillant instantanément le sable qui, l'espace d'un instant, luit alors qu'elles se retirent. »

Je n’ai pas non plus envie de te prendre la main pour t’emmener dans cette obscurité, si sombre, si noire qu’elle me donne envie d’y rester, de prolonger mon séjour, quitte à me retrouver dans l’hôpital psychiatrique qui rode dans les ruelles abandonnées de cette ville. Non, il faut y aller par toi-même, c’est l’exigence d’un tel texte, la sensibilité de chacun à parcourir ce monde de silence où les hommes ne disent rien, mais ressentent intérieurement, la peur, la tristesse, l’amour. Oui, j’ai envie d’y retourner, la magie de cette nuit, le tonnerre qui gronde, et les gouttes de pluie qui se déversent sur mon visage, le regard porté sur ce rivage, le vent qui s’engouffre sous le bas de la porte du bar et souffle sur la mousse de ma Skøll ice-berry. Oui, j’ai envie d’y rester, dans les profondeurs de ces ténèbres, la cloche de l’église sonne la nuit glacée, mon glas car un tel voyage est la fin d’une vie. Fuck le blizzard.

« Et la nuit.
La nuit qui franchit la porte de la maison avec le gardien du jardin des plantes.
Elle ne repose pas seulement sur ce jardin, sur les maisons et sur les immeubles du quartier.
Non, elle doit régner de toutes parts.
Également sur les pentes inaccessibles des montagnes, dans les tempêtes de neige, dans les minces filets d'eau des ruisseaux qu'on ne trouve nulle part et dans les sources qui, en fin de compte, se révèlent n'être que des mirages.
La nuit.
Elle est aujourd'hui au même endroit qu'hier.
Sur les dunes du désert où l'infini sans routes règne en maître et où la solitude s'étend nue dans toutes les directions.
Parfois, il fait aussi noir en plein jour et bien des gens luttent contre la nuit qui habite leur esprit.
Elle s'infiltre, noire comme du charbon à l'intérieur de l'atelier, parfois blanchie par le blizzard ou avec les yeux pleins de neige balayée par le vent, elle demeure cependant le plus souvent noire dans l'histoire de ces gens perdus dans la montagne et racontée par le sellier. »

Un roman lunaire.



« Le Testament des Gouttes de Pluie », Einar Mar Gudmundsson.
Traduction : Eric Boury.


Sur une masse critique, 
poésie du silence et des landes blanches ;
Merci donc à Babelio et aux éditions Gaïa.



10 commentaires:

  1. Plutôt convaincant, l'ami. Après Indridason et Kalman Stefansson cap sur Gudmundsson.

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    1. Plus dans la lignée, effectivement, de Stefansson...

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  2. "même les serpillières se bouchent les oreilles",
    je visualise et c'est effectivement désespérant.

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  3. En effet, le titre déjà est plein de poésie, Le Testament des gouttes de pluie...

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    1. Et le roman encore plus, une MC dont je ne suis pas prêt d'oublier, tant elle me correspond...

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  4. Un titre plein de promesses, rien que le titre vaut le détour ... et puis ce que tu en dis ... forcément ...

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    1. forcément... ou pas... Les promesses ne sont tenues que si l'on accepte ce détour...

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  5. Tabarnak...
    Comment ça se fait que je n’ai jamais lu cet auteur... un auteur islandais dont je ne crois même pas avoir croisé les écrits... un livre qui me semble si magnifique que j’aurais envie de le lire sans cesse, au fil de la vie... un livre de silence et de pluie, que peut-t-il y avoir de plus beau, de plus profond, de plus humain... que cette quête et ce contact avec soi-même, cette méditation, tout ça dans le silence, sous la pluie des émotions intérieures...
    Je suis déjà profondément émue par ce livre... par tes mots qui en parlent...
    Blue Moon, Fuck le blizzard!
    <3

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    1. Comment ça se fait ? Je te renvoie la question ! Je comprends pas. Un tel auteur qui parle si bien du silence et du cœur des hommes bourrus. Un livre magnifique, l'un des plus beau que j'ai pu avoir entre les mains...

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