mercredi 15 avril 2020

L'Océan des Mots


« - Tu sais pourquoi nous avons l'intention d'appeler ce dictionnaire La Grande Traversée ? 
[...]
- Cet ouvrage sera un bateau pour traverser l'océan des mots, annonça Araki avec le sentiment de dévoiler le fondement de son âme. Les hommes monteront dans cette embarcation qui leur permettra de rassembler les petits points de lumière qu'ils distingueront au loin. Pour transmettre aux autres ce qu'ils pensent le plus précisément, le plus correctement possible. Sans dictionnaire, nous ne pourrons nous lancer sur cette mer des mots qui nous serait incompréhensible.  »

Voilà donc un drôle de livre, un livre qui trame la genèse d'un autre livre. Et pas n'importe quel livre : un DICTIONNAIRE. Non, non, n’aie  pas peur... Ce gros truc souvent austère, qui pèse autant qu'une haltère quand on est gamin, à la couverture souvent déchirée, qui se passe de père en fils, et traverse quelques générations avant de finir sa triste vie dans le rôle ô combien pratique de caleur d'armoire lorsque le pied de celle-ci est cassé. 

« On peut dire d'un dictionnaire que c'est une cristallisation de la sagesse humaine, non seulement parce qu'il accumule les mots, mais surtout parce qu'il incarne l'espoir au sens propre du terme, l'expression de la volonté inébranlable de ses auteurs.  »


Mais pour prétendre à intégrer la rédaction d'un tel ouvrage, il faut cette qualité première : être amoureux ! Amoureux des mots, amoureux de la vie. Avec cette curiosité pour chaque sens caché qui nous embarque de mot en mot dans un flot d'émotions allant de la simple vaguelette venue lécher vos doigts de pied, jusqu'au tsunami qui emportera tout sur son passage, votre cœur et votre âme.

Parce qu'entre les définitions, les mots et les sens, entre deux idéogrammes, il y a ces lignes de vie et de cœur qui filent au-delà du temps. Il faut de la patience pour accoucher d'un dictionnaire, de la confiance et du silence. Comme pour trouver l'amour parfait, l'évidence. 

Ce roman m'a sincèrement ému. Passionné au début, devant cette envie et ce mystère des mots, la découverte de Majimé, cet étonnant jeune homme solitaire. Puis j'ai ressenti un mélange de peur et de tristesse quand j'ai perçu qu'à tout moment ce projet pouvait s'abandonner aussi facilement que lorsqu'on tourne une page de son livre, ou de sa vie. Enfin, ma vue s'est brouillée de ces gouttelettes d'eau salée venue de la profondeur d'un océan, quand je découvre la beauté de tels moments. L'amour, cette grande traversée de la vie, en solitaire, en duo avec harmonie, ou en équipe symbiotique, procure de grandes émotions. Écrire aussi. Et lire, également. Écrire, lire, aimer. Que demander de plus à la vie. J'en connais qui dirait boire une bonne bière ou un bon whisky. Je te l'accorde... Parce qu'il est aussi souvent question de saké dans ce roman. Ces apéros de fin de journée resserrent les liens entre les âmes, ou en créent de nouveaux. Voilà pourquoi ce roman m'a profondément bouleversé, moi qui aime tant naviguer entre des flots des pages.    

« Un dictionnaire n'est jamais terminé. Il vogue pour l'éternité sur l'océan des mots.
Majimé hocha la tête et sourit.
- Eh bien, ce soir au moins, buvons !
Il remplit de bière le verre d'Araki en faisant attention à ce que la mousse ne déborde pas.  »

Et si je regardais dans mon dictionnaire la définition du mot levrette...
 

« La Grande Traversée », Shion Miura.
Traduction : Sophie Refle.





« Peut-être à cause des livres, l'air sentait un peu le renfermé, mais le silence était profond. Le papier absorbait sans doute les bruits »

8 commentaires:

  1. Après un tel billet, on ne s'attend pas à une telle fin...
    Sacré Bison ! ^^

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    1. Dans la chronique d'un vieux bison, seule la chute compte, le reste n'est que blabla sans intérêt...

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  2. Une pépite d’or on dirait bien que ce beau livre qui parle d’amour, de mots, de l’amour des mots et des mots d’amour. Ces pages qui font ressurgir le sel des émotions enfouies. Les grandes vagues qui submergent le rivage emportant cœur et âme. Et puis, les notes d’Alice Sara Ott, faisant chavirer la barque se tenant, fragile, sur l’écume des flots, dans les embruns salés du mot Amoureux...
    Une pépite d'or, ça c'est sûr...

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    1. Une pépite d'or, l'amour des mots et des livres, et la fragilité d'Alice Sara Ott. Tu sembles avoir tout capté de mes modestes mots, je rajouterai le silence présent dans ce livre et dans cette musique.... N'empêche, c'est un putain de beau bouquin, celui-là...

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  3. Voilà que tu as tout dis pour avoir cette envie de plonger dans l'océan des mots. "Océan des mots" J'adore... bon ta conclusion casse ta belle mélancolie, mais n'est pas Bison qui veut ;-)

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    1. La conclusion n'est juste là pour que les gens ne s'attachent pas à moi avec les conneries que je peux débiter sur un océan de mots...

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  4. Envie de me replonger dedans !!!
    Lorsqu'il retraversera la Loire... ^^

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    1. oui, maintenant, il a le droit de retrouver son foyer...

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