mardi 7 juillet 2020

Bien au-delà des Mots

Je commence par la saveur d'une bière fraîche, une blonde de 33 cl. 979 pages plus loin et quelques capsules, je me retrouve dans la poussière des vaincus. Même pas eu peur, j'ai fait fi du nombre de pages, passionné par l'histoire de ces deux frères jumeaux à Three Rivers, dans le Connecticut, Dominick et Thomas Birdsey. 

Et pourtant, la première scène est frappante. Thomas, aux tendances schizophréniques, se tranche la main dans la bibliothèque municipale. Guidé par Dieu, persécuté depuis tous temps par la CIA et les communistes, la voix divine lui a donné sens à son sacrifice, sa manière de protester contre l'absurdité de cette guerre du Golfe orchestré par Bush père. 

« Toute ma vie, mon frère a été comme une ancre qui me tire vers le fond. Même avant sa maladie. Avant de péter les plombs devant... Comme une ancre. Il me laisse tout juste assez de longueur de corde pour rester à la surface. Pour respirer. »

Et pendant que Thomas se voit interné de force dans un asile psychiatrique plus proche d'une prison que d'un centre de soin, Dominick se démène avec son passé, ses origines, son père... Il a ce besoin de comprendre ses racines, peut-être pour sa rédemption, une façon à lui d'apaiser la culpabilité qui le ronge depuis tant d'années. Triste, sombre, intérieurement colérique, il s'en veut, en veut à tout le monde, son "père", son grand-père, sa mère surtout qui lui a toujours refusé la vérité sur son vrai père, et qui lui a fait promettre à la veille de sa mort de toujours veiller sur son frère. Mission échouée.

Une histoire bouleversante, un pavé intense de la première à la dernière page, un grand moment de littérature américaine. Sans temps morts, bourré de remords. Une histoire contemporaine, une histoire sociale, une nouvelle pinte de bière pour m'accompagner ? La peur du Vietnam, le système de santé, les relations humaines, les délires d'un homme. L'Amérique. Son immigration italienne, "je suis ton père", il s'en passe des choses dans ce long roman, fleuve impétueux de la littérature, qui retracent l'histoire d'une vie, d'une génération, d'un pays. Bien au-delà des maux. 

« Quand on a un frère jumeau schizophrène et qu'on est soi-même sain d'esprit, il est difficile de sauver sa peau sans garder des traces de sang sur les mains - un peu gênant d'avoir à ses pieds un cadavre à sa propre image. Et si l'on veut à la fois pratiquer la loi du plus fort et veiller sur son frère - promesse que j'ai faite à notre mère mourante - eh bien ! on peut dire adieu au sommeil et s'apprêter à passer des nuits blanches. Empoigner un livre ou une bière. Essayer de s'habituer aux absurdités des émissions de télé tardives, au spectacle du plafond de sa chambre, à la désinvolture de la sélection naturelle. C'est un insomniaque non croyant qui vous parle, le non-cinglé des deux jumeaux, celui qui a échappé à la fatalité biochimique. »

La puissance des vaincus, c'est aussi le souffle de la vita americana. C'est une immersion totale dans la folie, une plongée en apnée dans la vie, une tristesse profonde ancrée dans l'âme d'un frère survivant. C'est surtout le roman de sa solitude 

« Les plus grandes peines sont muettes. »

Merci pour ce pavé, aussi lourd qu'une caisse pleine de Chambly, la grande classe. Maintenant, pour prolonger cet état hypnotique dans lequel le roman m'a plongé pendant des jours et surtout des nuits, bien au-delà des mots, j'ai rendez-vous avec Marc Ruffalo pour deux fois plus de plaisir. I know this much is true.


« La Puissance des Vaincus », Wally Lamb.
Traduction : Marie-Claude Peugeot.



15 commentaires:

  1. Hello l'ami. Merci pour le lien qui remonte à un article de dix ans d'âge. Apparemment j'avais trouvé le temps un peu long mais c'est un bon bouquin.

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    1. 10 ans... Ça commence à faire un bon whisky :-)

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  2. I know this much is true avec Marc Ruffalo???
    Tu me l'apprends pour 10 fois plus de plaisir! Quel bonheur!!!
    Il me faudra minimalement une caisse de Chambly...
    Un pavé de près de 1000 pages, ça s'fait pas! S'cuse ^^
    Mais j'savais que ça te ferait pas peur... t'es trop fort. La classe.
    J'avais été profondément marquée par ce roman. Bien au-delà des mots... :-*

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    1. La série (6 épisodes) reste très fidèle au roman. Mark Ruffalo est double. Et cela te fera une belle piqûre de rappel sur ce roman, que dis-je, sur ce pavé. Une bière par épisode, ça fait bien effectivement une caisse...

      Non ça s'fait vraiment pas :-)

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    2. Ça, c'est la vrai vie et le savoir-vivre !

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  3. y a pas à dire, la littérature de ce côté là de l'Atlantique a un souffle sacrément puissant !

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  4. Elle est bien triste la chanson de la Diva Nina. Et quelle autorité avec son public... Je ne connaissais pas cette merveille, une fois de plus.

    Et tu donnes fichtrement envie d'aller visiter le Connecticut. Mais quel pavé !
    Bon allez, je le commande...

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    1. Je suis tombé sur cette vidéo, plus par hasard, ne sachant avec "quoi" illustrer mon billet... Mais je ne pouvais pas passer à côté de cette version. Je t'envoie la version longue de ce document-monument musical... Une vraie Diva, Nina...

      Avec le pavé, n'oublie pas de commander quelques bières ch'ti ou quelques bouteilles de riesling...

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  5. Ton billet donne envie mais 979 pages quand même...

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    1. ... oui mais imagine toutes les bières que tu peux boire pour accompagner...

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  6. Ça y est j'ai plongé... ça me réveille la nuit.
    Quel livre, quelle histoire, quelle écriture !!!
    Je n'aurais pas dû te relire. Je pense comprendre que Thomas ne va pas survivre, mais tant pis. Ce livre m'a happée dès les premières lignes. C'est rare.
    Merci.

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    1. Un gros pavé qui tient éveillé pendant plusieurs nuits !

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    2. Il te reste à voir Marc Ruffalo maintenant...

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