jeudi 3 février 2022

Rouge


Un pull-over, rouge. 
Un cirque, rouge. 
Le sang d'une petite fille, rouge. 
Même ma bière est rouge. 

« Deux journalistes, Alex Panzani du quotidien La Marseillaise et Pierre Bernard du Provençal, sont venus faire le tour des bureaux de l’Evêché, à l’affut d’une bonne histoire. En ce lundi de Pentecôte il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent. L’info du week-end a été essentiellement consacrée aux accidents de la route. Près de Salon-de-Provence un automobiliste a fait demi-tour sur l’autoroute : 3 morts, 6 blessés. En tout on compte 94 morts, 1 123 blessés dont 389 grièvement. La Pentecôte est meurtrière.

Sujet plus léger : l’apparition du monokini sur les plages. Certaines femmes le pratiquent même à la piscine où un coin leur est réservé afin de ne pas choquer les enfants. Les adeptes se multiplient et revendiquent fièrement cet acte de liberté : « Pour éviter les marques de maillots et aussi parce que nous nous sentons plus à l’aise. Nous avons fait sauter notre carcan ! » A Saint-Tropez, terre d’insolence, c’est carrément le string qui sera à la mode cet été. Voilà le genre d’informations que les journaux développent quand ils n’ont rien à raconter. »

  Une journée tranquille où il ne se passe rien, ou presque. En ce jour de Pentecôte 1974, les journalistes ont bien du mal à faire la une de leur quotidien. Des accidents de la route ou le monokini sur la plage, voilà de quoi tenir le lecteur informé et en haleine. Pourtant, ce 3 juin sera une date marquante pour la France, pour la justice et surtout pour Marie-Dolores et Jean-Baptiste Rambla. Que faisais-tu ce jour-là ? Toutes les personnes en âge de boire une bière s’en souviennent encore, parait-il, mieux que de sa première cuite. Parce qu’à partir de cette date-là marquée en rouge avec le sang d’une petite fille, la France a peur. Alors oui, je reviens sur les faits, une nouvelle fois. Marie-Dolores a été enlevée, pendant que son petit frère a été « épargné » en allant chercher le chien noir qu’un individu dans une Simca 1100 aurait perdu. Point de départ d’une sombre affaire où quelques jours après son corps mutilé est retrouvé abandonné dans une grotte. Un suspect, l’homme au pull-over rouge, vers lequel semble s’aiguiller les soupçons. Un procès, Giscard qui n’intervient pas, le couperet tombe en même temps que la tête de Christian Ranucci. L’histoire aurait pu s’arrêter là dans ces mois qui ont suivi la mort du dernier condamné, alors que toutes les radios fredonnent le tube de l’été, « Et si tu n’existais pas… » de Joe Dassin, son charme, sa voix, - bref, j’adore - et la chaleur de l’été, d’ailleurs il parait que des femmes se mettent en strings sur les plages de Saint-Tropez, l’insolente ou la décadente, - bref, j’adore encore plus -.

  Oui, on aurait pu en rester là, la mort atroce d’une petite fille, la douleur infime d’une famille modeste d’origine espagnole, une ville Marseille qui pleure sur les Rambla, un pays recueilli autour de sa mémoire. Oui, on aurait pu, mais non en fait. Un écrivain romança l’enquête criminelle, « le pull-over rouge » et anéantira encore plus les Rambla. A partir de ce bouquin, les doutes sur la culpabilité, « Christian est innocent » se révolte la population, la peine de mort sera abolie, quoi qu’on en pense de la culpabilité d’un homme qui a un pull-over rouge et qui sait où était caché le couteau. Bref, je ne reviens pas sur ce roman que tout le monde en âge de lire à cette époque là a lu. D’ailleurs, moi, je ne l’ai pas lu. Mais maintenant, c’est tout une ville, un peuple qui crachent sur les Rambla, devenus coupables eux-mêmes d’avoir mené à l’échafaud le dernier homme guillotiné. Et le petit Rambla, qu’en est-il de ce gamin qui depuis ce 3 juin, a basculé dans un autre monde, celui de la fin de l’innocence, un monde qui l’a oublié alors qu’il était en toute première ligne. Il ne s’en remettra jamais. A jamais, coupable.    

« A partir de ce 3 juin 1974, Jean Rambla se sent coupable. Terriblement. Il perd définitivement son insouciance. »

  Parce que l’affaire Rambla ou le fantôme de Ranucci démarre sur ce procès presque anonyme, période de COVID oblige, au tribunal de Toulouse en décembre 2020. A la barre des accusés, plaidant coupable, Jean-Baptiste Rambla pour le meurtre de Cintia Lunimbu. Quinze ans avant, il avait déjà tué Corinne Beidl. Triste sort d’un petit garçon à qui l’on a tué presque sous ses yeux sa grande sœur et qui à son tour deviendra assassin, le spectre de la guillotine en moins, en partie grâce à sa sœur. Jamais il ne sera parvenu à se défaire de l’ombre de Ranucci. Peu habitué aux chroniques judiciaires que je suis, et si je devais avoir quelques regrets sur le sujet, c’est que ces deux crimes sont passés presque sous silence, un premier paragraphe, quelques chapitres en fin de roman. Si peu sur ces deux jeunes femmes, victimes d’un passé trop lourd. Au final, cela reste – ou est - un énième livre qui décortique l’affaire Ranucci, ce pull-over ou ce cirque rouge, quoi qu’en soit ton intime conviction, alors qu’il y aurait eu à analyser sur ces deux passages à l’acte successif, sa première libération conditionnelle, sa vie, une vie qui s’est terminée sombrement à l’âge de six ans, avec des parents qui n’ont eu de cesse de combattre pendant des décennies la mémoire de Marie-Dolorès Rambla, oubliant la souffrance et la détresse de son petit frère, « survivant », mais à l’époque, la psychanalyse ne savait probablement pas analyser un tel traumatisme. Agnès Grossmann a su m’intéresser à cette époque, à cette affaire, à la justice d’un pays et cela en me parlant également des petits à-côtés de l’histoire, sans h majuscule, entre deux tubes de l’été et la polémique de Michel Sardou, « je suis pour », quand une affaire déclencha dans la société française autant de passion que de haine. C’est aussi une époque qu’elle me conte, que je lis dans mon lit, quand la radio distilla l’un des grands tubes de l’année 74, George McCrae, paré d'un costume rouge, Rock Your Baby, le titre sur lequel mon émoi s’affola à l’affiche des strings de ces tropéziennes, signe que les temps changent. 

« L’affaire Rambla ou le Fantôme de Ranucci », Agnès Grossmann.

Sur une masse critique, une chronique judiciaire ;
Merci donc à Babelio et les Presses de la Cité,
je maille et démaille mon pull-over rouge.


 

9 commentaires:

  1. Salut le Bison,
    Col pelle à tarte, clip simplissime, mais qu'est-ce que j'ai écouté cette chanson !
    Merci pour ce voyage musical en 1974!

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  2. Ah j'ai lu le Pull over rouge de Gilles Perrault (TRES BIEN). Pour moi Ranucci était innocent. Mais s'il est innocent on a jamais trouvé le coupable.
    C'est à cette occasion que machin avait dit : La France a peur ? Il faisait flipper aussi lui.
    J'ai aussi vu le film de Michel Drach qui a dû beaucoup vieillir mais Serge Avédikian était super.
    Et j'ai entendu du destin du petit frère. C'est insensé cette histoire.

    Merci pour George, je dois avoir le 45 tours quelque part :-) Qu'est-ce que je l'ai écouté !!! Mais ce déhanchement :-) il se la pétait grave le George.

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    1. La France a peur... J'ai pris un peu de raccourci... Ce n'était pas pour cette affaire, mais deux ans après, 1976, pendant le procès... peut-être. La France a peur, au final, c'était pour Patrick Henry...

      Il est beau le George, il fait le fier avec son sourire. Il assure auprès des filles qui ont son 45 tours... :-)

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    2. Ah il me semblait bien que Ranucci avait ses défenseurs et n'avait pas fait peur à la France. Même si Dolorès l'avait émue.
      Euh Patrick Henry non plus d'ailleurs n'a pas fait peur à la France... mais Roger Gicquel (que devient-il ?)* lui faisait vraiment flipper. Merci de ne pas m'avoir aidée à retrouver son nom.

      "Mais je crois qu'ce qu'elle préfère c'est son ptit ventre rond". (puisqu'on est dans les classiques).

      *R is dead.

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  3. Rouge. Il y a de quoi avoir peur, c'est terrifiant. Col roulé rouge, couleur sang...
    Tu vois, c'est pour ça que je préfère le vert. Comme dans le jus. C'est plus reconfortant.

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    1. Rouge, couleur de la passion, du sex on the beach et du vin... Tu as déjà vu du vin vert ? :-)

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    2. C'est qu'il est pas mûr !

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    3. J'allais le dire... Pour que le jus coule, il faut ça soit bien mûr, il faut de l'attente, il faut du désir, il faut de la passion... Le jus n'en sera que meilleur, jusqu'à la dernière goutte...

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