lundi 19 octobre 2020

Angkor Wat

Même dans une cage dorée, on en peut empêcher un papillon de prendre son envol.


Ferme les yeux, et laisse toi emporter par la grande aventure. De celle qui fait couler des bouteilles de vodka dans un lupanar de Saint-Pétersbourg, de celle qui traverse des océans de poussière et des fleuves aux neufs dragons. Je t'emmène vers les années 1860 en compagnie d'Henri Mouhot, géographe et explorateur aussi dingue qu'Indiana Jones, la compagnie féminine en moins.

Viens avec moi, et je te montrerai le Papillon de Siam, d'une majestueuse rareté, une chimère diront certains, une enivrante beauté penseront les plus fous. Car il s'agit bien de folie, cette traversée du Cambodge à cette époque-là, et d'inconscience. Mais les explorateurs de ces temps-ci ont cela en commun, la soif de découverte, l'envie de laisser derrière eux, la trace de leurs découvertes et de leurs noms affichés royalement en lettres d'or sur les façades académiciennes ou dans les encyclopédies des grands savoirs.

Le soir, après avoir partagé le repas avec eux, un dîner composé de fruits, de riz et d'insectes grillés, les deux hommes rendent visite au chef du village. Ce dernier, un vieillard aux dents noires et usées jusqu'aux gencives à force de mâcher du bétel, les reçoit sous un banian gigantesque dont les racines aériennes forment une prison végétale qui le préserve du reste du monde, des hommes comme du soleil et de la pluie. Pour l'apercevoir, il faut soulever des feuilles de palme d'une taille gigantesque. La peau jaune et ridée du vieillard ressemble à celle d'une tortue centenaire, et ses yeux vairons dansent dans leurs orbites comme ceux d'un caméléon. L'homme semble lui même avoir pris racine depuis longtemps tant il fait corps avec l'arbre. Assis en tailleur au pied du banian, il fait corps avec l'arbre, il en gratte l'écorce avec l'ongle de son pouce, noir et dur comme du granit, produisant un son strident.

 

Ferme les yeux, et imagine-toi t'enfuir de Montbéliard, là où la saucisse est à son apogée, pour t'aventurer dans les bordels russes, une première quête de soi-même avant de rechercher la quête ultime : le papillon de Siam. Direction l'Asie du Sud-Est, ses dangers, sa fièvre et ses pluies diluviennes qui enferment les pirates des mers dans des gargotes avinées. Répétitions stylistiques des expéditions, Maxence Fermine, fidèle à lui-même, te fait voyager de pages en pages, richement documentée et romancée, la vie de Henri Mouhot. Il te met entre les mains d'un homme intègre et passionné que rien ne serait faire détourner de sa quête ultime. Même si, impression toute personnelle, je n'y ai pas retrouvé autant de poésie espérée, à la lecture des précédents ouvrages d'un auteur qui m'aura déjà embarqué à plusieurs reprises sur les mers et océans de la lecture de voyage, souvent d'une beauté spirituelle, un Henri Mouhot trop sérieux et obsédé pour perdre son temps dans la vie des lupanars orientaux.       

Dans son rêve, il est allongé sur un lit. Il semble délirant, fiévreux. Apparaît alors une déesse aux longs cheveux noires. A la main, elle tient une coupe d'or remplie de vin parfumé aux épices. La déesse s'approche de lui et porte la coupe aux lèvres du voyageur, le forçant à boire une gorgée améthyste. Ivresse aux senteurs de cardamone, d'anis étoilé et de poivre blanc. Pendant ce court laps de temps où il perd pied avec le réel, les yeux clos et l'âme légère, il semble toucher le paradis, la jouissance, l'extase, comme s'il était en totale harmonie avec le monde.

Enfin, lorsque l'ivresse s'estompe, et qu'il parvient à rouvrir les yeux, c'est pour se rendre compte qu'il est seul. La déesse a disparu, et avec elle la coupe d'or, le vin, ainsi que la paix et la quiétude dans lesquelles baignait son esprit. Seul demeure, volant en spirale au-dessus de sa tête, un papillon de Siam qu'il tente de capturer dans sa main, main qu'un souffle de vent emporte avant qu'il ne puisse l'atteindre. 

Mais peut-on attraper dans ses filets le papillon de Siam. A-t-il une existence réelle ? Tout le sens de sa quête est dans sa réponse. Pourtant, l'homme continue son avancée dans la jungle, défiant les rois de ces forêt, les légendes de ces contrées. Et peut-être qu'au détour d'un méandre d'un fleuve impétueux, perché sur un éléphant blanc, tu découvriras la beauté ultime de ce monde, cette cité interdite peuplée de fantômes construite par un roi lépreux ou une déesse brune, le temple d'Angkor.

"Le Papillon de Siam", Maxence Fermine.



8 commentaires:

  1. Je ne connais pas le livre. Mais je possède l'album Union de Yes où figure Ankor-Vat avec pratiquement tous les membres. C'est un très beau disque.Merci et à bientôt.

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    1. Même si Union n'est pas mon préféré de Yes (et de loin), je l'ai beaucoup écouté dans ma lointaine jeunesse (même s'il n'est pas si vieux). C'est aussi pour cette raison que dès que je lis le mot Angkor, je pense à cette chanson. Elle a bercé quand même un peu mon univers.

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  2. Salut, le Bison
    Un titre que je ne connais pas de Maxence Fermine ! En revanche, j'ai lu 2 de ses autres romans et il est vrai que "Neige" et " L 'apiculteur" emmènent les lecteurs en voyage au loin.
    Tu sembles quelque peu déçu par ta lecture.
    Moi, je suivrais bien le vol du papillon de Siam...
    Angkor: rien que le mot fait rêver !
    Merci de nous faire découvrir ce titre de M. Fermine.

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    1. Déçu plus par rapport à ses précédentes lectures qui m'avaient beaucoup plus comblées. Neige bien entendu, mais aussi Opium, Le Violon Noir ou Amazone qui m'ont tous fait voyager bien plus au-delà qu'un simple roman...

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  3. Bien longtemps que je n'ai pas lu Maxence Fermine mais pas sûr que j'y revienne avec celui-ci...

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    1. Il lui manque un petit plus pour être totalement sous le charme de cette histoire comme d'autres de ses romans...

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  4. Neige était si beau... <3
    Je n'ai jamais lu aucun autre titre, et pourtant, cet auteur et sa poésie, la musique de ses mots...
    Il t'a manqué un petit qq chose dans celui-ci. Mais au-delà de tout, la quête et le voyage intérieur dans le Cambodge d'autrefois, sur les ruines de Angkor Wat, je me dis qu'il doit être impossible d'en revenir inchangé.
    Si en plus le Papillon de Siam y voyage avec qq lagopèdes à queue blanche.....

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    1. Neige était si beau, si pure... Impossible de se rapprocher dans cet instant au-delà de la poésie.

      Et si le Papillon de Siam n'était qu'une chimère, comme ces lagopèdes dont je n'ai jamais vu la queue...

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