vendredi 13 octobre 2017

Une Rivière de Rhum, l'Indian Stream

En l’an de grâce mille huit cent trente-huit, il existe un pays sans foi ni loi, où la loi n’est pas dictée par des autorités éloignées, où la foi se décline dans une taverne à coup de godets de rhum. Cette petite enclave, qui n’appartient à personne encore moins au Canada ni au New-Hampshire - qui d’ailleurs se livreront une petite guerre, est la République de l’Indian Stream. Quelques centaines d’habitants, mélanges cosmopolites de fermiers usés, de trappeurs et d’hors-la-loi, des contrebandiers et assassins, y vivent presque paisiblement. Blood, au passé caché donc forcément douteux, prend sa charrue, l’âme commerçante l’anime. A son bord, des barils de poudre, des tonneaux d’un excellent rhum et Sally, une gamine qu’il a gagné en jouant aux cartes dans un bordel, presque un peu à contrecœur l’idée de se trimbaler cette nana qu’il mettra vite au turbin, dans son arrière-salle, le commerce avant tout.

« Parait qu’on peut repartir de zéro ici, à ce qu’on m’a dit. »

Se dire qu’il y a des lieux perdus où se réunissent les âmes perdus, et recommencer une toute nouvelle vie, presque vierge de passé si ce n’est la conscience. Blood, juste Blood dans cette vie, ouvre une taverne, fait ses petits arrangements, Sally faisant les siens auprès de la « gente masculine » en manque de putains. Il remplit les godets métalliques, la caisse se remplit, les clés de la caisse accrochées à son poitrail, se prépare pour l’hiver, quelques provisions, l’hiver, c’est quand il y a trop de neige pour avancer, mais malgré les précautions d’usage et de distance, le sens de l’esquive et de l’attaque, tout ne se passe forcément bien, surtout quand une lutte de pouvoir s’installe.

Remettre les compteurs à zéro.
Laisser tomber la poussière de sa vie.

« il y avait des hommes comme lui cherchant un répit à l’écart de l’insidieuse poussière déposée par la fuite des jours, des hommes qui entraient et s’asseyaient en silence devant leur bière brune ou leur grog de rhum. Et lui, il regardait la poussière glisser sur eux à mesure qu’ils buvaient, et, en général après avoir commandé un deuxième verre, ils se tournaient pour parler à leur voisin et ainsi retrouvaient le fil de la journée rendue tout d’un coup supportable. »

A la limite je te dirai peu importe le châtiment ou la rédemption, le passé est dans le passé – phrase trouvée après un verre de rhum -, et l’avenir est toujours incertain – là, je devais être au second verre de rhum. Seul compte le présent, et le silence du présent. Un brouhaha dans la taverne, mais dès que l’on sort respirer un air frais qui vous griffe les poumons, le silence des lieux t’enveloppe, te porte, t’emporte dans la mélancolie d’une putain de vie. Et malgré la violence des hommes et des âmes qui se terrent dans ce territoire à l’écart des lois et des sheriffs, le paysage en devient presque contemplatif. J’ai envie d’une vache pour y boire du lait frais, un petit coin de jardin pour faire pousser quelques plantes aromatiques et autres légumes pour accompagner le steak de caribou ou le pavé de grizzli. Et aussi d'un godet de rhum. D'ailleurs... De mémoire, il y a ce vieil adage indien, ne dit-il pas que la route du Rhum mène à l'Indian Stream - là, je crois que j'ai fini le tonneau. 

La lune illumine de son aura les collines alentours, des coups de pistolets viennent réveiller brusquement le silence, un coup de canon fait entrer la nuit dans une torpeur insondable comme les âmes perdues de ce coin-là, avant que mon regard absorbé par la lune bleue ne replonge dans un silence méditatif, et que mon corps nu plonge dans cette rivière de rhum.   

« De ce silence il avait fait sa vie, une vie entièrement dédiée à la mémoire de la profanation. Et de son être il avait fait le valet de ce mutisme. Pauvre offrande de lui-même au vaste silence de l’océan de la nuit qui était là, toujours, autour de lui. »

Et si la République de l'Indian Stream avait été fondée autour de quelques godets de rhum et de silence...  Le principe même de la vie, du moins la mienne. Un courant d'eau-de-vie qui coule dans les veines comme les méandres d'une rivière indienne.

Merci infiniment petite grenouille pour m’avoir embarqué dans ce trip en Indian Stream – contrée des plus sauvages jusqu’alors inconnue de mes lectures - arrosé de bon rhum, de silence et de mauvais gin. Il y a des territoires sauvages où il faut être couillu pour y tremper ses cuisses. 

Et Happy Birthday Froggy des Charentes !

« La Rivière des Indiens », Jeffrey Lent.






16 commentaires:

  1. Ah cher Bison tu fréquentes vraiment une faune, mais alors une faune que, une faune dont, une faune qui, qui me plait beaucoup. Si tu y rajoutes le Loner, Jarmusch, Dead Man et son canoé, tu penses bien que j'arrive. Restera-t-il un fond de rhum? Là est la question.:D

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    1. Au fond du tonneau de rhum, il doit bien rester de quoi tenir dans un godet ou deux... Un très beau et bon roman que cette découverte sur une terre qui m'était jusqu'alors inconnue.

      Et puis ce loner, ce jarmusch, ce dead man, c'est ce qui ressemblait le plus à ce roman même s'il n'est que très peu question d'amérindiens, juste deux ou trois sauvages qui traînent dans le coin pour décapiter le bouseux qui traîne lui-aussi...

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  2. J’m’y verrais bien parfois dans ce p’tit coin perdu où « laisser tomber la poussière de ma vie », magnifique! (écrit forcément entre le deuxième verre et le fond de tonneau).

    Tabarnak... j’les ai les amis moi, entre un bovidé qui fait trempette le cul à l’air dans une rivière de rhum et un batracien qui s’dandine les cuisses au vent dans l’cognac....... ^^
    Faut être couillus en crisse! :P

    Happy birthday mon kinG Pourri! :-*

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    1. entre le deuxième verre et le fond du tonneau, c'est là où j'ai le pus d'inspiration poussiéreuse...

      Et puis il faut effectivement être sacrément couillu pour sortir sa graine en plein Indian Stream :-) Combien de shots de Cognac pour en arriver là, à c't'âge-là, il a pas l'habitude de ces tords-boyaux pour mâles poilus...

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  3. Tellement bucolique l’arrière de cette taverne, une vache dans une rivière de rhum, des herbes aromatiques qui se fanent en silence... Ashes to ashes, dust to dust, y’a pas à dire, ça respire la joie de vivre dans l’enclos aux bisons ^^

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  4. Une rivière de rhum, une cascade de Cognac et je plonge !! ;)

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    1. Tu aurais raison, ne pas refuser ni rhum ni cognac, encore moins l'Amérique des trappeurs, la neige en hiver, et le feu dans la gorge.

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    2. Bear Claw Chris Lapp quoi ;-)

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    3. J'ai du rechercher, n'ayant pas cette science infuse du cinéma, mais excellent film, j'adore...

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  5. Ah la la je replongerais bien dans le trip hypnotique du Dead man. Du temps où Johnny était acteur... Et voir apparaître derrière son cigare et son fusil Robert Mitchum.

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    1. La grand époque de Johnny... d'un autre maquillage...

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  6. Ostie! Il a failli passer à la trappe lors de mon grand ménage. J'ai crissement bien fait de le garder!

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  7. je note parce que je pense que je vais adorer

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    1. C'est le rhum ou l'âme humaine qui t'intéresse tant ?

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