« Paix du vieil étang.
Une grenouille y plonge.
Un ploc dans l’eau. »
Un livre de Basho dans ma besace, tel un pèlerin, c’est mon pote Nicolas Bouvier qui me l’a conseillé, grand traducteur du poète japonais et tout aussi voyageur, je m’engouffre dans le métro, ligne orange. De Sherbrooke Station, je file je-sais-pas-où, peut-être à McGill là où les filles sont hot et n’ont pas froid aux yeux, même par moins 50°, même en plein cœur de l'hiver, la mini-jupe en poils de castor. Mon regard se porte sur la fille assise juste en face de moi, une japonaise, entre deux haïkus. A moins que ça soit une chinoise ? Comme de bien entendu, elle ne jette pas un regard vers ma direction. La transparence du pauvre type. Je l’appelle, en mon for intérieur, Midori. J’aime bien personnifier les bombes atomiques, japonaises de surcroît, que je croise, on est un écrivain japonais, ou on ne l’est pas.
« J’évite toujours ce coin du parc plutôt fréquenté par des types qui reviennent de la cueillette des pommes dans les plaines d’Alberta. Ils arborent tous la même barbichette rousse, le même regard clair et irresponsable, et les mêmes ongles sales qu’ils regardent avec un mélange d’étonnement et de fierté. Ce sont pour la plupart des gosses des banlieues cossues de Montréal (Saint-Lambert, Repentigny, Beloeil ou Brossard) qui veulent jouer aux travailleurs migrants avec, dans leur poche, un exemplaire fripé du gros bouquin de Steinbeck. L’année dernière, ils lisaient L’Attrape-Cœur de Salinger tout en rêvant d’une virée de trois jours au centre-ville, et en ayant pris soin de dire à leur mère qu’ils coucheront chez leur cousin. Ils passeront plus tard à Kerouac qu’ils emporteront dans un train de nuit du Canadian Pacific qui va jusqu’à Vancouver, avant de se mettre à Bukowski et à la bière en fût. Le début de la dégringolade. Ce n’est pas la première génération d’éberlués qui traîne dans ce parc – celle d’avant se shootait à Burroughs et à l’héroïne. J’ai même connu l’époque où les garçons lisaient Le Loup des steppes et les filles gardaient toujours dans leur sac un exemplaire du Prophète de Gibran. C’est un parc littéraire où les jeunes gens apprennent à vivre dans les bouquins. »




