Sur les mélancoliques faits d'armes qui ont endeuillé le Moyen Age
japonais, c'est encore une fois Basho qui a eu le dernier mot. Passant,
sa besace de pèlerin sur l'épaule, par le lieu d'un carnage célèbre, il a
écrit :
Natsugusa ya !
Tsuwamono-domo ga
Yume no ato...
L'herbe flétrie d'été
C'est bien tout ce qui reste
Du rêve des guerriers...
On a beau répéter que ces samouraïs étaient aussi des esthètes, des connaisseurs en poterie, des calligraphes accomplis, ou, comme le jeune Atsumori - un Lancelot japonais massacré dans la fleur de l'âge -, qu'ils jouaient de la flûte à vous en retourner le cœur, cela ne change rien à l'affaire. Ces passe-temps relevés qui leur font grand honneur ne doivent pas faire oublier que presque toute l'énergie mentale de l'élite étaient consacrée à l'art d'occire et de mourir dans les formes au service d'un patron.
Natsugusa ya !
Tsuwamono-domo ga
Yume no ato...
L'herbe flétrie d'été
C'est bien tout ce qui reste
Du rêve des guerriers...
On a beau répéter que ces samouraïs étaient aussi des esthètes, des connaisseurs en poterie, des calligraphes accomplis, ou, comme le jeune Atsumori - un Lancelot japonais massacré dans la fleur de l'âge -, qu'ils jouaient de la flûte à vous en retourner le cœur, cela ne change rien à l'affaire. Ces passe-temps relevés qui leur font grand honneur ne doivent pas faire oublier que presque toute l'énergie mentale de l'élite étaient consacrée à l'art d'occire et de mourir dans les formes au service d'un patron.
Pèlerin, je le suis en m'aventurant sur les traces de Bashô, poète itinérant et errant dans les profondeurs de son pays. Avec comme guide Nicolas Bouvier, j'explore l'âme de ce pays, mon cœur en voie d'explosion. Ce n'est pas une simple virée estivale, un voyage d'un mois de mai avec ses espoirs et ses tristesses, ce voyage au Japon, où les fleurs de cerisiers s'ouvrent comme le sourire d'une jolie femme. Avant de tracer ma voie dans les méandres des temples, au-delà du Mont Fuji, je recompose l'histoire de ce pays. Je revois ses religions, son histoire, sa philosophie, et ses traditions. La folle passion qui m'habite, mon corps immergé dans ce pays devient fébrile et fiévreux, comme la première fois que je me mets à nu dans le onsen que l'on aurait dit perdu en pleine campagne, comme la première fois que l'on met un pied dans une nouvelle gare, comme la première fois que l'on croise le sourire d'une rencontre.
Les premiers mouvements du bouddhisme, les premières persécutions chrétiennes, la première bombe atomique, l'histoire avance au fil des pages de Bouvier entre deux citations de Bashô, son maître indéniable, son guide tant spirituel que littéraire. Nicolas me donne des cours d'histoire, de géo-politique, de religion. Il a raison, pour comprendre un pays, un peuple, il faut d'abord s'attaquer à son passé, avant de grimper les sentiers errants de la basse campagne.
Bien entendu, le voyage date un peu. 1965, c'est pas loin d'être une éternité à la vitesse où avance le monde actuel. Les grandes villes ont énormément subi de grandes mutations inhumaines. Cependant, certains coins ruraux n'ont guère changé en un demi-siècle. Nicolas pourrait encore faire avec force et foi mon guide pour parcourir les chemins détournés de ce pays où le soleil se lève toujours plus à l'est. Nicolas Bouvier pourrait s'affirmer "je suis un écrivain japonais" que cela ne serait pas une usurpation d'identité tant il est imprégné de ce pays, tant il me fait partager son amour de ce pays. Il y a bien longtemps, je me souviens d'avoir traversé les Balkans dans sa Fiat, là c'est vers un autre peuple qu'il m'emmène. Traversant le pays du sud au nord, de la moiteur des temples à la neige des solitudes, j'erre l'âme silencieuse à la recherche du regard d'une geisha qui m'offrira certainement la beauté de son âme et de son pays dans le rouge à lèvre de son sourire.
Sur les deux côtés de la rue, des caisses à ordures disjointes vomissaient leur contenu sur le trottoir. Un bistrot à côté de l'autre. Et tout cela menu, coquet, l'air bricolé de la veille, avec les restes d'une rue plus grande. J'avais faim, j'ai poussé une porte sur laquelle on pouvait lire Café-Bar Shi. Shi - j'ai demandé - veut dire poème. Ca ne m'a pas épaté du tout : dans ma promenade j'étais déjà tombé sur deux tea-rooms Rilke, un snack François-Villon, un billard Rimbaud et un magasin Julien-Sorel (lingerie friponne). On a des goûts relevés, ici. Dans le local pas plus grand qu'une roulotte, j'ai à peine été surpris de trouver trois gravures de Daumier et d'entendre l'électrophone murmurer du Ravel. Une barmaid lilliputienne, bien soignée et gironde, "faite" des ongles aux cils, aussi personnelle qu'une rose en papier. Une clientèle de lycéens, pieds nus dans leurs socques de bois, en uniformes noirs, casquettes noires, qui épelaient, plongés dans leurs noirs manuels, et luttaient contre le sommeil. J'ai juste eu le temps de penser : séminaristes... Tchekhov, et me suis endormi sur une chaise minuscule sans même passer ma commande.
Et comme tout ce qui m'émeut dans cette putain de vie, je vais prendre mon temps pour découvrir avec Nicolas Bouvier de nouveaux horizons, l'âme est ainsi faite qu'elle nécessite patience et silence pour mieux s'en imprégner. Je ne sais pas qu'elle sera encore sa destination, mais je ressens déjà ce plaisir, ce sourire à la vie qu'il fait partager à ses lecteurs. Ses itinéraires sont les miens.
Sur les deux côtés de la rue, des caisses à ordures disjointes vomissaient leur contenu sur le trottoir. Un bistrot à côté de l'autre. Et tout cela menu, coquet, l'air bricolé de la veille, avec les restes d'une rue plus grande. J'avais faim, j'ai poussé une porte sur laquelle on pouvait lire Café-Bar Shi. Shi - j'ai demandé - veut dire poème. Ca ne m'a pas épaté du tout : dans ma promenade j'étais déjà tombé sur deux tea-rooms Rilke, un snack François-Villon, un billard Rimbaud et un magasin Julien-Sorel (lingerie friponne). On a des goûts relevés, ici. Dans le local pas plus grand qu'une roulotte, j'ai à peine été surpris de trouver trois gravures de Daumier et d'entendre l'électrophone murmurer du Ravel. Une barmaid lilliputienne, bien soignée et gironde, "faite" des ongles aux cils, aussi personnelle qu'une rose en papier. Une clientèle de lycéens, pieds nus dans leurs socques de bois, en uniformes noirs, casquettes noires, qui épelaient, plongés dans leurs noirs manuels, et luttaient contre le sommeil. J'ai juste eu le temps de penser : séminaristes... Tchekhov, et me suis endormi sur une chaise minuscule sans même passer ma commande.
Et comme tout ce qui m'émeut dans cette putain de vie, je vais prendre mon temps pour découvrir avec Nicolas Bouvier de nouveaux horizons, l'âme est ainsi faite qu'elle nécessite patience et silence pour mieux s'en imprégner. Je ne sais pas qu'elle sera encore sa destination, mais je ressens déjà ce plaisir, ce sourire à la vie qu'il fait partager à ses lecteurs. Ses itinéraires sont les miens.
"Chronique Japonaise", Nicolas Bouvier.
Salut,le Bison
RépondreSupprimerIl s'agit d'une compilation, je suppose que plusieurs destinations de voyage sont proposées au lecteur.
Il y a donc de quoi s'évader de ce quotidien envahi par un certain virus...
Aux admirateurs de lune
Les nuages parfois
Offrent une pause
Sur ces "Œuvres", il s'agit d'un intégral de Nicolas Bouvier, grand voyageur, donc beaucoup de destination, le Japon étant son terrain de prédilection.
SupprimerTrès beau haïku de Bashô que tu mets en lumière, merci
Salut mon bison,
RépondreSupprimerJe retrouve le goût de tes vertes prairies qui s'aventurent en pâtures du côté de Kobe en compagnie du Bouvier.
En cette épique epok d'examens au rabais tu serais bien le dernier à passer ton Bâsho ! Tu le vends bien ton bouquin, sur un air de piano. Si je comprends bien tu l'as saké. A la tienne, et à la prochaine.
Toujours aussi doué pour les jeux de mots...
SupprimerTe voilà tout ému par le voyage.
RépondreSupprimerIl doit souffrir du dos le pianiste en pleurs.
Le pianiste vient de se rendre compte qu'il a fini la dernière goutte de sa bouteille de Nikka, et il ne retrouve plus le chemin qui mène à sa cave...
SupprimerIl semble la chercher entre ses jambes !
RépondreSupprimer« ...de la moiteur des temples à la neige des solitudes, j'erre l'âme silencieuse à la recherche du regard d'une geisha qui m'offrira certainement la beauté de son âme et de son pays dans le rouge à lèvre de son sourire. » <3
RépondreSupprimerJ’aime les chemins empruntés par Bouvier, ses chemins de mots et les milliers de km parcourus. Je n’oublierai jamais « L’usage du monde », que je relirai un jour. J’irai certainement au détour de ses mots lire ces chroniques japonaises sur les traces de Bashô, avec comme guide Nicolas Bouvier et le silence d’une vie...
On sent à quel point, ému de souvenirs, ce pays t’habite. D’amour...
Ton billet est une invitation à la beauté du silence... magnifique :-*
Nobuyuki Tsujii est sublime. À son écoute, en fermant les yeux, je me surprends à verser une larme tant c'est beau...
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