jeudi 7 mai 2020

Saint Patrick


C’est le jour de la Saint Patrick – jour qui se prolonge nuit après nuit dans mon univers parallèle. Et quand on s’appelle McCarthy, un nom qui donne l’origine de son sang et de sa soif au peuple irlandais, on s’engouffre forcément dans un pub McCarthy pour y venir la célébrer dans la bienveillance d’une lumière tamisée de quelques néons, un toucan se reflétant dans le miroir en face du comptoir. Tu commandes une pinte de Guinness. Le barman prend son temps pour venir prendre ta commande. Il commence à la tirer, puis une pause s’impose, faire reposer les bulles, essuyer quelques verres, regarder autour de soi, te regarder, même te causer. Il se trouve que je ne suis pas du genre à causer. Alors j’attends, j’en commande même une seconde tout de suite, histoire d’éviter la panne sèche du gosier entre deux pintes. Le barman continue sa tâche, il tire la suite de ma pinte, écrête le surplus de mousse, mousse onctueuse et soyeuse, un nuage immaculé dans un verre qui donne envie de s’y plonger.  

« Une fois tirée la moitié de ma pinte de Guinness, le patron la laisse reposer trois minutes, comme le veut la tradition séculaire. Ça permet à la bière de se clarifier. Et au barman de demander qui on est, d’où on vient, et pourquoi on se trouve là. Les autres clients écoutent en hochant la tête. Ensuite il finit de tirer la pinte, lisse la mousse avec la lame d’un couteau tout jauni, et attend qu’on trempe les lèvres dans le breuvage. »


Dans la pénombre, quelques irlandais attablés boivent en connivence, des irlandaises en mini et chevelure rousse boivent en rigolant, un bison boit en silence. Van Morrison chante, des chœurs en chaleur, je regarde le cœur de ces irlandaises, le mien bat-il encore. J’imagine qu’après Van, la radio diffusera probablement un titre de U2, entre un Sinead O’Connor, avant qu’elle se mystifie, et les belles brunes des Coors. Il faut une musique de là-bas pour savourer pleinement la mélodie de la Guinness. Mais revenons à Morrison, l’emblème même de l’Irlande. Un pub sans lui n’est pas un pub irlandais, c’est dans la charte des pubs irlandais.

Dans mon baluchon, j’y ai mis mon guide touristique, façon vieux routard, mais à la plume de Pete McCarthy, toujours prêt à m’embarquer dans tous les pubs « authentiques » d’Irlande et de ses landes. D’ailleurs, entre deux gorgées, je te pose cette petite question : à quoi reconnait-on un « petit » village d’Irlande ? Au fait qu’il y ait moins de 5 pubs dans la rue principale. Moi, il ne m’en faut qu’un, pour me sentir dans mon univers, un authentique, avec ces vieilles odeurs de fumées qui traînent depuis des années, ces parfums de vieux cuir encore présents, ces effluves de gerbes qui habillent les quatre coins du local, une lumière tamisée pour que j’imagine encore mieux les jambes de ces irlandaises et que je caresse du regard leur chandail. Pete m’emmène donc dans ces petits villages, à bord de son vieux tacot, d’une solidité allemande.

« La pinte de stout dense, à la crête échevelée, met cinq minutes à être tirée, juste le temps nécessaire pour que le buveur avoue tout son passé au serveur irlandais expérimenté. »

Du coup, je navigue de pub en pub, une vraie pérégrination entre deux grains mouillés, histoire de se sécher un peu le gosier. Parce qu’il est question essentiellement de bières, et d’un autre temps, celui de la pinte de Guinness. Mais en plus, je visite des coins encore sauvages, je croise les regards de vieux types qui sont là uniquement pour partager une bière et quelques longues minutes de leur temps perdu avec un étranger comme moi. Et j’ai là, à l'autre bout du zinc, mon ami du folk, ce gars avec sa guitare qui n’a pas tout à fait la crinière de Van ni sa voix, mais on s’en fout, parce qu’avec une bière, on a encore envie qu’il joue, - « En tout cas, c’est ce que je me dis au bout de trois pintes de stout. » - qui m’a convié à partager ce chemin qui pourrait être celui de Compostelle, parce qu’enclin également à la spiritualité des celtes. Tournée générale. Into the Mystic...  

« L’Irlande dans un Verre », Pete McCarthy.
Traduction : Catherine Richard.

« Combien de fois entend-on Van Morrison, à l’entrée des pubs irlandais ? Dans les brasseries, sa musique doit être ventilée dès l’entrée, comme l’odeur de pain chaud dans les supermarchés. Ou alors, le gouvernement impose un certain quota de Van Morrison à respecter rigoureusement. Je commande une pinte de Guinness et un sachet de chips nature – autrement dit, en Irlande, goût « fromage et oignons ». »



10 commentaires:

  1. 74 ans et toujours vert Morrison, Belfast est sa maison alors les Pubs je ne t'en cause pas ♥

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    1. J'aimerai bien le trouver dans un pub, et boire une bière en silence, juste sa voix et le son de la mousse...

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  2. Du bout du zinc, my friend, y a du mystique, y a l'Irlande dans un verre, enfin plusieurs verres, y a le Van, rageur comme quand, à 18 ans, il épelait G-L-O-R-I-A avec Them au Maritime Hotel de Belfast, pour quelques matelots givrés. J'en avais 14, des ans, et ce gars -là,tu le sais bien, a changé ma vie. Avec quelques autres, ils l'ont même sauvée, ma vie d'ado mal dans sa peau. Merci cher Bison. T'as compris, toi. Slainte!

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    1. Merci, l'ami... pour ce si beau voyage... j'y ai pris tant de plaisirs que j'ai fait patienter ma bière... Immense merci que mon silence ne serait rendre hommage...

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  3. On plonge dans l'Irlande comme dans une atmosphère hors du monde...
    Tournée générale avec Van Morrison! Hey Rufus!
    Et puis... je lève mon verre à la Guinness et ma BDC. Surtout, à mes racines irlandaises !
    Brune, blonde, rousse... ça dépend des saisons et de la lumière du jour :D

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    1. Née sous le soleil de Cancun, vivant dans la neige de Québec, une mousse irlandaise dans ses racines... ça c'est un sacré mélange !

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  4. Aaaahhhhla voix de Morisson ! Je tombe d'amour pour lui...

    Sinon ton livre il parle de quoi ?
    Mdr ...
    Ok je sors !
    Mais avant essuie ta bouche tu as plein de mousse !
    ;-)

    Merci pour Van ...

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    1. Le livre ne parle que de Van Morrison, d'un voyage à travers sa voix et son verre...

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