dimanche 29 novembre 2020

Blizzard


Le vent, le blizzard, la neige.

La houle, les vagues.

La nuit, les étoiles et la tristesse des anges.

Les éléments se déchaînent, et la poésie m’enchaîne.

Je me retrouve prisonnier du vent, du blizzard, d’une tristesse qui me colle à la peau comme de la neige mouillée et qui dissout lentement mes vieux os. Je m’engouffre dans une taverne, des bruyants ancêtres vikings qui versent et déversent des gobelets métalliques remplis de cervoise se réchauffent joyeusement, pas que la cervoise se serve chaude dans ce coin reculé de la Terre et du monde glacé.

« Les étoiles comme la lune disparaissent et bientôt la clarté, l’eau bleutée du ciel, vient tout inonder, cette délicieuse lumière qui nous aide à nous orienter à travers le monde. Pourtant, elle ne porte pas si loin, cette clarté, elle part de la surface de la terre et n’éclaire que quelques dizaines de kilomètres dans l’air où les ténèbres de l’univers prennent ensuite le relais. Sans doute en va-t-il de même pour la vie, ce lac bleuté à l’arrière duquel l’océan de la mort nous attend. »

Je m’installe au fond de la salle, mélange de pénombre et de vieille poussière que des siècles de lecteurs ou d’ivrognes ont fréquenté. Je reste silencieux, je lis juste une phrase, ce n’est pas de l’indifférence ce silence, c’est juste un de ces instants magiques, comme quand la lune bleue s’éveille au milieu d’une foule d’étoiles et d’embruns.

Je m’arrête sur cette phrase, comme on s’arrête sur un sourire ; sur ce mot, comme une magnifique femme ; sur ce chapitre, comme si plus rien ne comptait en dehors de ce silence fait d’amour et de poésie. Tout y est beau, sublime. A chaque nouvelle ligne, j’ai le sentiment d’assister à une nouvelle aurore boréale. Ou à regarder le beau sourire d’une belle femme pour le garder profondément et silencieusement ancré en moi. 

Je lis une seconde phrase. J’ai envie de l’apprendre par cœur et de la ressortir à une jolie islandaise de passage, juste pour un sourire même éphémère. J’ai envie de la noter sur un carnet avec une couverture de cuir. J’ai envie de l’écrire sur un site internet qui recense toutes les meilleures citations de bouquins islandais et d’ailleurs. D’ailleurs, je grave cette phrase sur la table avec mon couteau de poche.

« Les flocons se déversent, la neige envahit l’espace entre ciel et terre, elle relie l’air et le sol, on ne voit plus entre les deux aucune différence, tout se confond et les deux hommes doivent s’attendre à rencontrer des anges en plein vol au sein de l’éternité. »

J’attends la troisième phrase avec impatience. Pourtant, je prends mon temps. C’est aussi ça l’amour pour un livre, l’amour pour une femme, prendre son temps, la regarder et sentir au plus profond de son âme son souffle, celui de la phrase qui commence et ne s’achèvera que dans les tréfonds d’un rêve.

La phrase suivante est un éloge au silence. Celui qui empêche de sortir un son, tant il fait froid dehors, tant tes émotions restent au chaud à l’intérieur. Tous ces mots sont des silences d’une pureté immaculée. Comme la neige qui tombe encore et encore. Et toujours. C’est le blizzard. Dehors, dedans.

En fait, je crois que j’ai envie de relire deux fois chaque phrase. J’ai envie de m’arrêter sur chaque mot, respirer chaque ponctuation. Trois fois.

En fait, je crois simplement que je n’ai rien lu de plus beau que cette tristesse des anges. Une tristesse solitaire sur un cœur gelé, la plus belle façon de s’abandonner à la poésie d’une terre glacée.


Merci, Fuck le blizzzzzzzard.

« Celui qui est parti, solitaire, traverser les landes, plongé dans le calme d’une nuit d’été, celui qui a connu la compagnie du ciel et des oiseaux qui peuplent les tourbières, n’a sans doute pas vécu en vain. »

 

« La Tristesse des Anges », Jon Kalman Stefansson.

Traduction : Eric Boury.





7 commentaires:

  1. C'est tellement beau, tout ça (la trilogie, ce livre, ta chronique, le chant de Sigur Ros dont je ne connaissais que le nom), tellement beau. Somptueux, déchirant...J'ai jadis chroniqué les trois tomes, ça fait un joli mnémo: Entre ciel et terre, la tristesse des anges fond sur le coeur de l'homme.Je n'ai guère lu aussi beau depuis... Merci cher Bison. Skoll.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Et je prends tant de temps pour découvrir et prolonger ce plaisir littéraire, le plus beau qui me soit conté. C'est comme pour découvrir et aimer une femme, la patience et l'attente décuplent les sensations que même la violence du blizzard ou la voix aiguë de Sigur ne sauraient effacer en moi, au plus profond de mes pensées et de mon âme.

      Supprimer
  2. Une œuvre qui, comme tu le mets très justement, se lit lentement, pour mieux goûter chaque mot! Il m'arrive aussi de relire à plusieurs reprises des mots, des chapitre, pour le plaisir de LIRE et de profiter à 200% de la littérature ou de la musique! Je lis les livres des Kerouac (père et fille) très lentement! Je pense que c'est ce que j'aime tant dans tes chroniques, tu prends le temps de lire, de parler et partager avec les autres cette passion de la littérature qui nous réunit tous ici sur certains sites et blogs! Et aussi...ce que j'apprécie aussi c'est la variété de genres littéraires et cinématographiques qu'on trouve sur ton blog, contrairement à ceux que j'appelle les pseudo intellos qui m'agacent autant que ceux qui ne jurent que par les nouveaux auteurs français "à la Chattam". Je me souviens d'une amie à qui j'avais conseillé des bouquins dont et qui m'avait fait beaucoup de peine en me disant qu'elle était intéressée par ma liste mais pas par Isabelle Autissier ni par le seul livre que j'ai lu de Kristin Hannah, "Le paradis blanc" avec un petit mépris qui m'avait rendu vraiment triste! C'est dommage de se priver d'une bonne lecture parce que les auteurs ne font pas partie de la liste de certaines maisons d'éditions! En résumé, j'aime beaucoup ton blog que j'ai recommandé à mes sœurs et mon frère qui sont eux aussi de grand amateurs de littérature, de musique ( une liste parfaite de musique "rock-fols" pour moi est une liste qui contient les groupes du BBB, surtout Peter Green's Fleetwood Mac; les Grateful Dead, Bob Dylan, Leonard Cohen, Mike Oldfield, The Levellers, Patti Smith, les premiers albums de Genesis,Peter Gabriel, Marillion ( avec Fish ), Alice In Chains, Pearl Jam, Blind Melon, Nina Simone, CSN et l'oncle Neal, The Boss ( que j'ai enfin vu en Live à Wechter il y a 3 ans ), Led Zep, Aimée Mann, les Stones, les Beattles, Jefferson Airplane, Bob Marley, Clapton, Alanis Morissette...et la liste est trop longue ;-)! Mais mon enthousiasme fait que j'écris beaucoup trop et que je m'éloigne tout à fait du sujet ;-)!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je n'ai lu qu'un Chattam, mais j'en ai un autre dans ma Pal...
      Je n'ai lu qu'un Autissier, et pareil j'en ai un autre qui m'attend - impatiemment - dans ma Pal. J'ai souvent envie de le sortir et de me replonger dedans car j'avais beaucoup aimé son amant de Patagonie.
      Par contre, je ne connais pas du tout Kristin Hannah...

      Tiens, je vais me faire un des premiers albums de Genesis, cela fait longtemps...

      Supprimer
  3. J'ai tant adoré ce livre que je ne saurais quoi dire d'assez fort pour rendre par écrit mon ressenti. Cette Tristesse d'Ange m'a fait atteindre ce qu'il y a de plus beau, pour en ressortir avec des aurores boréales plein l'âme...
    Nous sommes forts en coïncidences, j'allais te le proposer pour la prochaine escale mais un verre de mojito sera tout aussi merveilleux :-*
    On pourrait éventuellement lire le troisième tome en escale islandaise <3

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'ai oublié... merci pour ce si beau lien musical...

      Supprimer
    2. Des aurores boréales plein l'âme, c'est joli ça... J'aimerai avoir une âme pour y ranger ces aurores boréales...

      Supprimer