dimanche 12 décembre 2021

Au Temps des Gentlemen

Peu à peu toutes les lumières s'éteignirent. Le grand silence de la nuit enveloppa le château.

Il s'appelle Jean Balthazar, héros d'un autre temps, playboys de charme avec son joujou extra qui peut faire Crac Boum Hu quand il se redresse la nuit étoilée. 
Elle s'appelle Marie Noël, comtesse d'une nuit, seule sur son lit à baldaquin. 
Elle guette, un pli du rideau, une ombre qui traverse, le regard obnubilé sur la nuit, noire. 
Une broche, une perle, noire. A se demander si aux premiers rayons du jour, elle retrouvera autant ses esprits que ses bijoux. Elle tient aux bijoux de famille, peut-être même plus qu'à ceux du comte.

Il aime les filles, de chez Castel, de chez Régine, qu'on voit dans Elle, celles qui roulent en Renault comme en Citroën. Il en rêve chaque nuit, comme des sourires à sa vie, dans sa cellule froide et humide, le regard sur le mur orné de graffitis. Un cachot, se serait-il fait arrêté ? On dit de lui que c'est le plus grand, le plus charmant, le plus élégant, avec ses gants ou bien sans gants, l'Arsène, sacré personnage. Lupin de son vrai nom, à moins que là-aussi ça soit un pseudo.
 
 
Un verre de vin, pas de tableaux au mur qu'on puisse chaparder, juste des photos d'un célèbre moine bouddhiste, une montre posée là, pas une Rolex juste une Garmin, je ne crains pas l'Arsène à la tombée de la nuit si bien que je lui sert un verre, il sait vivre, je l'ai déjà dit il est charmant. J'allume la télé, c'est combien le canal Netflix ? Zut, je n'ai pas payé l'abonnement. Au temps pour moi. Lupin, dans l'ombre d'Arsène, le nouvel héros, chevalier des temps modernes. Alors, j'éteins la télé, j'ouvre un bouquin, c'est tout aussi bien. Maurice Leblanc. J'essaie de me souvenir, mais les souvenirs restent anciens. Ai-je déjà lu Maurice ? Je ne crois pas. Il était temps, l'écriture a vieilli mais par moment elle prête à sourire, c'est gentil, c'est une autre époque, au temps des gentlemen.  
 
Mais la lune écarta les nuages qui la voilaient, et, par deux des fenêtres, emplit le salon de clarté blanche. Cela ne dura qu'un moment. Très vite la lune se cacha derrière le rideau des collines. Et ce fut l'obscurité. Le silence s'augmenta de l'ombre plus épaisse. A peine, de temps à autre, des craquements de meubles le troublaient-ils, ou bien le bruissement des roseaux sur l'étang qui baigne les vieux murs de ses eaux vertes.
 
Les villes s'éveillent, de Dieppe à Paris, cinq heures du mat, les travestis se rasent, les strip-teaseuses se rhabillent, j'ai des frissons. Il vient chez vous la nuit, sans déranger votre sommeil ; il décroche sans bruit le tableau acheté la veille. Puis avant de partir après ses coupables travaux, il laisse un mot sur le piano. Gentleman cambrioleur et tombeur de ses dâmes. Je rallume la télé, il doit bien y avoir une chaîne au fin fond de la TNT qui diffuse Arsène Lupin, ma version d'antan, celle avec Georges Descrières et un générique que je fredonne souvent, l'ami Jacques...  C'est le plus grand des voleurs Oui, mais c'est un gentleman Il s'empare de vos valeurs Sans vous menacer d'une arme Quand il détrousse une femme Il lui fait porter des fleurs Gentleman cambrioleur Est un vrai seigneur...
Une autre époque vous ai-je déjà dit...

 
"Arsène Lupin Gentleman-Cambrioleur", Maurice Leblanc

après avoir fait quelques pas de long en large, il s'appuya contre le parapet du pont et déchira l'enveloppe. Elle portait une feuille de papier quadrillé avec cet en-tête manuscrit : Prison de la Santé, Paris. Il regarda la signature : Arsène Lupin. Stupéfait, il lut :



Monsieur le baron,
Il y a, dans la galerie qui réunit vos deux salons, un tableau de Philippe de Champaigne d'excellente facture et qui ma plaît infiniment. Vos Rubens sont aussi de mon goût, ainsi que votre plus petit Watteau. Dans le salon de droite, je note la crédence Louis XIII, les tapisseries de Beauvais, le guéridon Empire signé Jacob et le bahut Renaissance. Dans celui de gauche, toute la vitrine des bijoux et des miniatures.
Pour cette fois, je me contenterai de ces objets qui seront, je crois, d'un écoulement facile. Je vous prie donc de les faire emballer convenablement et de les expédier à mon nom (port payé), en garde de Batignolles, avant huit jours... faute de quoi, je ferai procéder moi-même à leur déménagement dans la nuit du mercredi 27 au jeudi 28 septembre. Et, comme de juste, je ne me contenterai pas des objets sus- indiqués.
Veuillez excuser le petit dérangement que je vous cause, et accepter l'expression de mes sentiments de respectueuse considération.

Arsène Lupin.

P.S. - Surtout ne pas m'envoyer le plus grand des Watteau. Quoique vous l'ayez payé trente mille francs à l'Hôtel des Vente, ce n'est qu'une copie, l'original ayant été brûlé, sous le Directoire, par Barras, un soir d'orgie.

6 commentaires:

  1. Salut, le Bison
    Il est vrai que le feuilleton télévisé est indissociable de la chanson...
    Certes, le texte a parfois vieilli, mais c'est toute une époque qui revit en le lisant.
    Il suffit d'ouvrir "L'aiguille creuse " : les pages se tournent seules tant le lecteur veut connaître le fin mot de l'énigme.

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    1. tout à fait, une bulle temporelle dans ce moment de lecture.

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  2. Jamais lu mais j'aimais la série TV quand j'étais gamin... Il y a fort longtemps donc !

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    1. Pas si longtemps que ça, jeune têtard que tu es...

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  3. Lupin, je l'aime bien!
    En voilà un autre qui n'a "pas l'temps d'niaiser"!!! ^^

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    1. Pas l'temps effectivement, mais il jase beaucoup entre deux larcins...

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