dimanche 19 décembre 2021

Veiller Tard


1984. C. a treize ans. B. en a douze. X. Y. Z. peu importe, les noms, les initiales, elles ont entre douze et quatorze ans et se voient offrir leurs rêves. Des rêves d'excellence, par la danse, par l'équitation, par le chant. Elles ont été choisies, des élues, par une anonyme Fondation. Une bourse en échange... de services ?
 
Cléo ne vit que par la danse, pour la danse. Elle rêve, elle sue, elle s’abîme, elle s'use. Une rencontre, un projet, la recherche de la "maturité" et la vie prête à Chavirer. Elle est la numéro 0.1, le début d'une sombre histoire de la société où beaucoup savaient, peu de voix s'élevaient.

"L'obscurité se faisait dans la salle, ils l'accueillaient avec des chuchotements ravis, elle dissoudrait soucis, dettes et solitudes. Chaque soir, lorsque Cléo entrait sur scène, la chaleur poussiéreuse des projecteurs la surprenait jusqu'au creux des reins.
Les danseuses surgissaient, parcourues d'un fil de grâce et de cambrure, les bras ouverts, légèrement arrondis, elles redéfinissaient l'horizon, une ligne endiamantée de sourires identiques et laqués, un ensemble de jambes ordonnées, une exubérance froufroutante et pailletée.
A la sortie du théâtre, les spectateurs les croisaient sans les reconnaître, des jeunes filles pâlottes et fatiguées aux cheveux ternis de laque."
 
Un tapis rouge sur les "Champs-Élysées", des vedettes pop - des Stars des années 80 à Stars 90 - descendent des limousines, entrent dans le studio le sourire blanc émail accueilli par Michel Drucker en personne sur le perron. Et en arrière plan, des danseuses, paillettes et strass, la marque de fabrique d'une époque, d'un divertissement. Elles rêvent... tout est KO, à côté, tous mes idéaux, les mots, abîmés.  

Un roman avec des choses au fond de nous qui nous font veiller tard. Impossible de le lâcher. Les pages défilent, les étoiles filent, la lune aussi, un jour le soleil s’élèvera peut-être au-delà de la nuit. En attendant, je suis moi aussi à veiller tard, plongé dans un bouquin, triste et sombre, l'histoire de Cléo et de Betty, l'histoire d'une adolescente anonyme qui sombre dans les mœurs de la société. J'aime quand ça me bouscule, quand ça cogne ici, au fond de ma poitrine, des coups de poing, des coups de cutter qui scalpent mes veines autant que mon âme.

"Certaines filles, en cinquième, portaient leur enfance comme un fardeau, elles mesuraient près d'1 m 70, les bretelles du soutien-gorge laissaient une marque sur leurs épaules. D'autres au contraire, tenaient leur adolescence en respect, elles fermaient leur veste de survêtement jusqu'au cou pour dissimuler un début de poitrine, stoïques sous le soleil printanier, leur pantalon était constellé de taches de Nutella. Betty se tenait en équilibre dans un entre-deux gracieux. Jolie et déjà belle. Elle jouait à la balle au prisonnier et portait du mascara. Elle amusait, un papillon, on n'osait pas avouer qu'on craignait ses moqueries, ses imitations. Tout, chez Betty, ajoutait à son aura : son prénom ? C'était américain, un prénom de star. Et il y avait plein de chansons qui avaient pour titre "Betty", une de Bernard Lavilliers et une autre de Ram Jam, sa mère adorait ce truc, "Whoa, Black Betty"."
 
"Chavirer", Lola Lafon.
 
Ces visages oubliés qui reviennent à la charge
Ces étreintes qu'en rêve on peut vivre cent fois
Ces raisons-là qui font que nos raisons sont vaines
Ces choses au fond de nous qui nous font veiller tard

Ces raisons-là qui font que nos raisons sont vaines
Ces choses au fond de nous qui nous font veiller tard
Ces paroles enfermées que l'on n'a pas pu dire
Ces regards insistants que l'on n'a pas compris
Ces appels évidents, ces lueurs tardives
Ces morsures aux regrets qui se livrent à la nuit

Ces solitudes dignes au milieu des silences
Ces larmes si paisibles qui coulent inexpliquées
Ces ambitions passées mais auxquelles on repense
Comme un vieux coffre plein de vieux jouets cassés 
 



 

8 commentaires:

  1. Donc j'ai bien fait de te le prêter ; je ne pensais vraiment pas qu'il t'intéresserait.

    À te lire, on dirait que c'est la forme qui t'a davantage plus que le (terrible) fond de l'histoire... Tout le contraire de moi, la forme (elliptique) m'ayant parfois trop détournée de l'essentiel, du vrai fond du problème : une société perverse et complice et non une société aux "moeurs légères" :(

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    1. Je ne crois pas avoir parlé de moeurs "légères".

      Je m'intéresse à tout, et j'aime surtout quand un bouquin me bouscule, et me cogne à l'intérieur de la poitrine...

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  3. En voyant le titre de ton post j'ai penser tout de suite à JJ Goldman "Veiller tard" une de mes chansons préférées de JJ. J allais te demander si tu connaissais la chanson et puis tu finis en beauté avec elle, je souris bien sûr :)

    Quant au livre, l'histoire me paraît bien déprimante même si je suis curieuse d'en savoir plus.

    Bonne fin d'année BiBi :)

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    1. Je connais tout de JJ, et les histoires déprimantes, ça me connaît...

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