Je vois ce fils qui rêve d'acheter un rapace en cage, dans la boutique de l'antiquaire, rue de Brescia. Je vois ce père qui se meurt au fond de son lit et qui garde ses derniers instants à écouter les histoires inventées de son fils sur la capture de l'oiseau façonnant ainsi la légende du milan. Je vois ces vieux et ces vieilles de l'hospice, là où le fils travaille dans le but de se payer le dit-oiseau, en les promenant certains après-midi, après de longues séances presque silencieuses de café noir auprès du gardien.
J'avais les yeux ouverts dans l'obscurité, et j'ai commencé à voir passer les poussières blanches de la fatigue. La chambre a ressemblé à une grande nuit étoilée.Et puis Tombe la neige / Tout est blanc de désespoir / Triste certitude / Le froid et l'absence / Cet odieux silence / Blanche solitude. Une neige, lourde et blanche, pesante et immaculée, tapisse les collines, embellit les rues. L'antiquaire pellette la neige devant son magasin, les vieux n'ont plus très envie de ces promenades hivernales. Le fils se demande si son père ne va pas mourir avant qu'il trouve l'argent pour acheter le milan, il se demande si l'oiseau ne va pas mourir de froid dans sa cage avant qu'il puisse l'acheter et le ramener dans la chaleur de la chambre de son père toujours alité. Et puis des chatons meurent, des pensionnaires meurent, des vieux chiens meurent...
Et là, à l'instant même où la chambre venait de prendre l'apparence de cette grande nuit étoilée, tout a vacillé soudain, tout s'est penché, il m'a semblé que je basculais du fauteuil. J'ai tendu les mains pour rattraper la laisse qui se déroulait au-dessus de la route, et pendant un moment j'ai eu l'impression de la serrer contre moi, précieusement. J'ai continué de basculer, et lorsque j'ai senti que mes mains ne tenaient pas la laisse, mais les accoudoirs du fauteuil, je me suis mis à gémir. À gémir de plus en plus fort, jusqu'à ce que soudain la chambre s'éclaire, et tandis que je me retournais vers le lit, haletant et démuni, mon père, redressé sur le côté et tenant le bouton de la lampe dans une main, a tendu l'autre vers moi.
Un roman d'une profonde tristesse, mais je l'aime cet auteur, grenoblois de cœur - j'en profite d'ailleurs pour boire une dernière Mandrin à son honneur -, qui aime la neige, le cœur des enfants et l'âme des hommes. Je garde en lui, nous ayant quitté il y a tout juste 23 mois, le souvenir de mes autres lectures, toutes très belles, très sobres qui mélangent spleen et poésie. La dernière neige, tombe la neige dirait Salvatore, n'arrachera pas un sourire à son lecteur à suivre cet hiver où il a lu tant de neige tomber, mais il sera enveloppé d'un long manteau de silence aussi lourd que mouillé de la neige, des larmes du ciel.
"La Dernière Neige", Hubert Mingarelli.
Ah... au fait ou en passant... Joyeux Noël...
Let it snow aurait fredonné Francky Sinatra,
Tombe la neige aurait chantonné Salvatore Adamo,
Strange place for Snow aurait joué Esbjörn Svensson...
Tout ça me convient parfaitement, l'ami. Je n'ai lu que La beauté des loutres qui m'avait plu. Quant à ce trio que je pense scandinave je le trouve formidable. 🎹 Snowily yours l'ami.
RépondreSupprimerLa beauté des loutres... je ne connaissais pas... et je vois, encore, une histoire de garçon et de neige, c'est sa thématique préféré, on dirait... Faut dire qu'il vient des montagnes...
SupprimerE.S.T.... le pianiste nous a quitté bien trop tôt, mais certains de leurs albums sont des chefs d’œuvre à mes yeux... (ou oreilles)
Joyeux Noël, l'ami, sous la neige ou pas...
Je m'attendais à écouter Salvatore Adamo.
RépondreSupprimerL'antiquaire pellette : cette phrase, enfin ce verbe, m'a mise en joie. Oui, il m'en faut peu.
Il y a des verbes comme ça qui peuvent mettre en émoi ou en joie, j'aime bien aussi, il m'apporte des images, même s'il n'y aura pas eu de neige à noël...
SupprimerEt pour Adamo, je suis sûr que tu sais bien mieux fredonner la chanson que moi, donc...
De belles références et le souvenir éveillé d'un bel auteur/humain.
RépondreSupprimerTiens, tout ça me donne envie de débuter l'année vers une rivière verte et silencieuse...
c'est une bonne idée, je trouve...
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