jeudi 22 décembre 2016

Juste un Pauvre Type qui Boit seul sa Bière

« Manchester by the Sea », petite station balnéaire de la côte Est. Un bateau de pêche, des souvenirs d’enfance, un village au bord de mer où tout le monde semble se connaître. Pour n’importe quel américain moyen – ou bison minable – cela pourrait paraître comme une villégiature rêvée pour couler des jours heureux, tranquilles, peinards. Mais pas pour Lee (Casey Affleck), séparée de sa femme Randi (Michelle Williams), qui n’y revient que par obligation.

Et la dernière obligation est la mort de son frère (Kyle Chandler). Pas de chat à s’occuper, juste un fils.

Lee vit actuellement dans une banlieue de Boston, il pellète la neige devant les immeubles, répare la tuyauterie des ménagères en peignoir et vit dans un minable sous-sol, homme à tout faire de plusieurs immeubles. Il fuit son passé.

Un homme, seul au comptoir d’un bar. Il boit seul sa bière. Un homme qui boit seul sa bière, forcément, ça m’émeut, ça me concerne, ça me touche. Il trouve le moindre prétexte pour jouer des poings, façon de se détruire à petits feux, en s’isolant du reste de la société. Quel passé a-t-il à fuir…


A la mort de son frère, Lee va devoir « s’occuper » de son neveu (Lucas Hedges), qui comme tout adolescent est un brin cynique et essentiellement préoccupé à baiser ses petites copines (oui, il en a plusieurs) quand il ne se castagne pas sur la patinoire de la ville voisine en bon joueur de hockey qu’il est.

Commence alors une autre histoire, celle de l’oncle qui a du mal à prendre en charge son neveu, celle du neveu qui ne veut pas quitter son monde, celle de l’oncle qui ne veut surtout pas revenir au pays de son enfance, tant les souvenirs douloureux sont ancrés dans ce petit port où les attaches ont largué les amarres depuis le drame de sa vie.

Aucun super héros, ce qui nous change du cinéma américain, juste un pauvre type qui boit seul sa bière. J’ai adoré, parce que je me voyais à côté de lui – surtout pas en face pour éviter de mauvais regards, je me voyais pelleter la neige de Boston pour essayer d’imaginer ce que cela pouvait être de pelleter devant chez soi la neige de la voisine – même pas froid aux mains. Et j’étais triste et sombre, ce qui me caractérise bien au final. Point de larmes dans ce cinéma qui se qualifie d’indépendant, parce que Lee intériorise tout, ses sentiments, ses peines, sa douleur. Sans plaisir, sans envie, Lee a fait un trait à sa vie, il me bouleverse dans cette lumière hivernale qu’un petit port de pêche peut proposer avec ses embruns et sa bruine froide qui embrume mes lunettes.  




« Manchester by the Sea » [2016], Kenneth Lonergan.

16 commentaires:

  1. J'avais bien l'intention de voir ce film. Nous l'aurons, je crois, en janvier. Mais ému par ce type qui boit sa bière tout seul, tu m'as confirmé qu'il me fallait le voir. Peut-être parce que...ça m'est arriv2 de boire une bière tout seul. Comme tu sais être convaincant parfois. On en reparle en janvier, l'ami.

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    1. On en reparle quand tu veux, à la prochaine bière seul. C'est quand même le sommet de ce film et la scène où un type accoudé au comptoir boit sa bière seul vaut à elle seule de s'en décapsuler une, seul...

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  2. Moi, j’suis toujours émue face à un gars qui pellète sa neige et qui vient aider sa voisine, même pas peur de se geler les majeurs. À défaut d’embrumer mes lunettes ça me mouille les yeux en tabarnak. Ça m’émeut aussi un gars qui boit seul sa bière, surtout si c’est le même gars qui pellète la neige de sa voisine, ça me donnerait envie de venir m’installer avec lui au bar et de lui offrir des arachides. Ce soir je vais justement voir ce Manchester by the sea, parce qu’un village de bord de mer ça me touche autant qu’un majeur qui frétille dans tous les sens :D 

    Ahhhh Casey Affleck, le frère de Ben, qui ont joué tous les deux dans l’un de mes plus grands films, à compter sur les doigts d’une seule main, « Will Hunting ». On le retrouvait aussi dans Gone, Baby Gone, un autre excellent film que j’ai adoré!

    Câlisse, un film à savourer avec un popcorn extra beurre.

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    1. Et je sens que tu vas être émue par Casey pelletant la neige de Boston. Et je sens que tu ne peux être émue par Casey buvant seul sa bière, même sans cacahuètes.

      Will Hunting fait partie de mes grands films quand j'étais jeune. Et Gone Baby gone, grand film aussi, toujours à Boston si je ne me trompe pas.

      Il est bien ce jeune Casey. Émouvant, triste, avec sa part d'ombre en lui. J'ai même envie de boire une bière, seul avec lui, chacun dans notre bout de comptoir.

      Crisse, j'ai horreur des gens qui bouffent du pop-corn au cinéma. Ils ne peuvent pas s'empêcher de faire scccrrtccchhh sccrtchhhh. CA M’ÉNERVE ! Putain, ils savent pas manger leur pop-corn en silence !!

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  3. Il y a quelques bons acteurs et j'adore le cadre !

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    1. Plutôt même très bon ce Casey Affleck ! Et puis pelleter la neige ou boire une bière seul, il n'y a que ça de vrai dans la vie...

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  4. J'ai une envie folle de voir ce film !

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    1. J'espère donc que tu auras l'occasion d'y aller. Un très bon film. Une ambiance, une bière et de la neige, un Affleck...

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  5. Ca y est. Je sors du CinéQuai. J'ai pelleté et bu ma bière. Un peu de baston aussi. Une jolie charge de solitude et des putains de souvenirs. La vie, la vie. Et le cinéma américain à son meilleur, avec des types ordinaires, plutôt braves mecs d'ailleurs, et qui font quelques conneries. Je lis l'autobio de Springsteen et ça ressemble à beaucoup de chansons du Boss. Lui, son enfance, plutôt prolo aussi, était un peu plus au Sud mais la Côte Est, en vieillissant, je la préfère nettement à cette grande cocotte de Côte Californienne. Là, je partage ma bière avec toi, cher Bison.

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    1. La Bio de Springsteen en toile de fonds. Ça ressemble bien à cette Amérique-là, celle des hommes qui boivent seul des bières au comptoir d'un bar.

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  6. Bon, moi j'aurais tendance à penser que le sommet du film, c'est la scène dans le commissariat mais tu me fais voir le film sous un autre angle. ;-)

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    1. C'est ma prédisposition à me sentir plus à l'aise dans un bar que dans un commissariat...

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  7. Moi qui bois rarement de bière (seule la Duvel a grâce à mes yeux MAIS exclusivement avec une moule frites), ta note m'évoque Richard de Leo, une des plus grande chanson de l'univers. ..
    Et ce film déchirant, glaçant ma terrassée.

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    1. La Duvel est, foi de buveur solitaire de bière, une excellente bibine qui accompagne à merveille le parfum iodé de la moule frites.

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  8. J'ai tout bon côté Duvel Moule Frites.
    Ouf.

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