mercredi 23 novembre 2016

Float like a Butterfly, Sting like a Bee


Ça grouille, de monde, de bruit, de poulets en liberté. Kinshasa. Une fureur dans la rue, une folie dans le stade, ça hurle, ça chante, ça danse. Sur le ring, dans la ville. La liesse, les bars sont pleins, les Flags décapsulées, les radios époumonées, les djembés cognent. Le grand combat. Foreman contre Ali. La sueur coule sur les visages, les coups pleuvent sur les gueules et dans les côtes. Le sang en ébullition, l’atmosphère s’est suspendue. Jusqu’au KO final. Une pluie diluvienne, colère des Dieux, le grand serpent jaune sillonne le bidonville…

« Rewind. Le Rumble in the Jungle. Foreman pousse Ali dans les cordes et frappe comme un sourd sur Ali. Pourtant les forces de Foreman s’amenuisent. Sixième round. Foreman s’affaiblit. Septième round. Foreman fait une faute. Huitième round. « Ali, boma ye ! Ali, boma ye ! » Eh oui ! le K.O. dans le huitième round. Ali a récupéré son titre. »

Jengo Longomba, « enfant-sorcier » qui des années plus tard rêve de devenir boxeur, comme d’autres rêvent d’être footballeur, lorsque son grand-père l’emmène dans ce vieux stade aussi délabré que son passé est glorieux. Jengo, jeune enfant solitaire, mis à l’écart par ses camarades parce que ses origines ne sont pas de la même ethnie, rejeté par sa grand-mère parce que les Dieux en ont voulu ainsi dès sa naissance. Jengo s’entraîne, se motive, garde sa rage pendant que le pays se déchire, la guerre civile s’abat sur la population, sur les ethnies, et que les cataclysmes mortifères surenchérissent la misère du peuple kinois.


« Je dépliai les pages arrachés au livre de boxe et je regardai Mohammed Ali. « Float like a butterfly, sting like a bee. Vole comme un papillon, pique comme une abeille », avait-il dit. »

Mais sa survie dépendra de sa fuite. Dès lors, il devra abandonner sa sœur à son pays, mettra la boxe de côté et s’envoler sous d’autres cieux. L’Egypte avant d’atteindre l’Europe. Une autre vie l’attend. Une vie faite d’un énorme espoir, mais aussi de grandes et nombreuses désillusions. Il erre dans les rues, à la recherche d’un travail, d’un toit, d’un quignon de pain. L’art de la débrouille quand on devient un sans-papier est la base de toute survie. Et aussi l’art de passer inaperçu pour ne pas se faire refouler hors des frontières, vol direct pour son pays d’origine. Il traverse des déserts, et des mers. Sa survie ne tient qu’à un jerrican d’eau potable et une force mentale que la boxe lui a insufflée.

« C’est ainsi que dans une nuit sombre de nouvelle lune trois cent cinquante personnes, des femmes, dont certaines enceintes, des hommes et des enfants, s’entassèrent sur le MS Titanic, qui s’enfonçait davantage dans l’eau dès qu’une nouvelle personne montait à bord. Finalement chacun eut une place et put prendre ses bagages. De toute façon, on n’avait pas le droit d’embarquer plus d’un sac. J’avais quatre litres d’eau avec moi, un peu de pain et quelques boites de sardines à l’huile, la colle à prise rapide de Hosny et deux pantalons, un tee-shirt, un sweat à capuche et ce qu’il me restait d’argent. Il n’en fallait pas plus pour prendre un nouveau départ. »

Anna Kuschnarowa décrit parfaitement ce monde clandestin, ces migrants à la merci des passeurs, des intempéries, des policiers. On y croise les bons, qui aideront Jengo, et les mauvais qui le voleront. Mais derrière ce destin, il y a la force humaine, l’idée que la vie est un ring de boxe, et que si l’on prend des coups, il y a toujours moyen de se relever. J’admire les boxeurs, le sang qui se mêle à la sueur sur le ring, les nanas en string qui remue leur cul en montrant la pancarte du round suivant. Se prendre des gnons dans la gueule et dans le cœur. Mais toujours se relever avant le décompte final. La vie de Jengo est ainsi faite, mais lui a cette force que je n’ai pas pour survivre de ses rêves et toujours se relever, sur son ring et dans son histoire.

Cette lecture enrichissante, lu dans le cadre d’une masse critique jeunesse (à destinations des ados mais aussi des bisons), ouvre une nouvelle porte vers la compréhension de notre société et permet de partager, d’entrevoir ce que peut être la vie – ou l’enfer – de ces migrants qui frappent à nos portes. Un roman d’actualité, d’âme africaine et de cœurs qui battent au rythme des cordes à sauter et des jabs, que je découvre grâce – et avec mes remerciements tant l’histoire est prenante, aboutie et réaliste -  à Babelio et aux éditions La Joie de Lire…  

Ne te plains pas
que Dieu ait créé le tigre,
mais remercie-le
de ne pas lui avoir donné d'ailes.
Proverbe congolais.

« Kinshasa Dreams », Anna Kuschnarowa.





7 commentaires:

  1. Il a l'air très bien ce livre et tu en parles bien !

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    1. Une super bonne surprise comme parfois on peut en trouver dans les masses critiques de Babelio...

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  2. J’te voyais passer sur Babelio avec des extraits de ce livre et j’avais hâte de lire ton billet parce que forcément, avec un titre pareil, j’étais déjà curieuse de le découvrir! Je me sens aimantée par les romans au parfum « d’âme africaine ». Un pays que j’associe à la lutte, au combat de chaque jour, à l’image de cette vie dans un ring, à la force de survie, à l’espoir, la désillusion. Quel livre fort tabarouette!

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    1. Je dirais même plus, tabarnouche et tabarnak !
      Un roman fort pour la jeunesse mais pas que... Parce que la boxe est belle, parce que l'afrique est belle, parce que l'âme est belle, Tabaslack et Tabarcul !!

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  3. Oh! Je veux lire ça. Et puis, il y a trop longtemps que je n'ai pas mis le nez dans un roman jeunesse.
    Il fait combien de pages?

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    1. 342 pages ! Un vrai roman donc.
      L'éditeur le conseille à partir de 15 ans... ça rentre donc dans tes cordes (de ring)

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