« Tokyo, quatre heures du matin… Peut-être le seul moment où la vie humaine s’offrait un répit, où la ville de goudron, de pierre, de béton dont les échangeurs routiers s’étageaient et s’enroulaient telles des lianes, redevenaient une forêt où les animaux allaient boire, se nourrir. Rats et corbeaux fonçaient sur les détritus, les rats lâchant les entrailles de la terre, caves, tuyaux, parkings, gaines, pour s’aventurer dans les rues désertes, les corbeaux abandonnant leurs perchoirs, tours, antennes, piliers électriques, pour déchiqueter de leur bec puissant les corps organiques en décomposition. »
Quatre
du matin, c’est l’heure où je découvre ce livre, sortant nu de sous la couette
(précision pour mon fan-club féminin qui aime les grosses bêtes à poil). Je me
regarde, beurk, et je vois le gros qui sommeille en moi. Pas sûr que
« sommeille » soit le verbe exact puisque je suis réveillé, allongé
sur mon canapé aux couleurs automnales, ton « taupe ». Je me taperai
bien une bière, à défaut d’autres plaisirs, peut-être que ça fait grossir la
bière, mais si peu. Bref, je ne vais pas m’allonger plus longtemps sur le
divan, puisque c’est un canapé, et que je tourne les pages de ce roman guère
plus léger qu’un sumo qui ne pouvait pas grossir. Je découvre pour la première
fois Eric-Emmanuel Schmitt, il faut bien une première fois, tu te souviens de
ta première fois… N’hésites pas à venir t’allonger sur le divan pour me parler
de ta première fois, je suis tout ouïe, j’écoute, je parle pas, mais j’écoute.
Voilà
donc un vieux qui, sourire aux lèvres, jambes flageolantes, odeur de
naphtaline, dis au petit Jun « Je vois un gros en toi ». Putain, mais
Jun, c’est moi ! Parce que c’est vrai que je suis gros. Surtout devant le
miroir, ô mon beau miroir, si bien que j’enlève mes lunettes pour ne pas voir
ce que je vois. Jun, un être presque asocial qui a du mal à se sentir à l’aise
dans la collectivité. Putain, mais Jun, c’est moi ! Jun, un ado qui erre
dans les rues de Tokyo, à vendre des revues pornos ou des canards en plastique
pour le bain qui ont beaucoup émoustillé la blonde amarrée aux mots, à en faire
frétiller, nul doute, son majeur tout en élevant sa spiritualité bouddhique
devant l’autel de ses seins, saints coin-coin. Jun, un type qui méprise sa
putain de vie, autant que ma putain de vie.
« Mon cher Jun, je ne souhaite pas que tu aies une meilleure ou une pire opinion de toi, je souhaite que tu cesses de ruminer sur toi. Que tu te délivres de toi. »
D’ailleurs,
les sumotoris me fascinent, ce mélange de graisse et de force physique, ce
sex-appeal qui fait tourner les têtes des jeunes et émoustillantes japonaises,
le kimono à demi-ouvert. Rien que pour ça, je me serais bien vu en sumotori. Le
sumo, entre sport et spiritualité, des traditions ancestrales dans un monde
connecté si moderne, des règles simples mais un tel respect, du lieu, des
autres, des Dieux. Mais le sumo n’est qu’une excuse pour parler confiance en
soi, pour évoquer la voie à prendre dans sa vie, les chemins de traverse au
détour d’une putain de vie. Un peu de bouddhisme, un peu de zen, une bière, une
belle nuit de lecture.
Cinq
heures du mat, Paris s’éveille, les poubelles s’amoncellent, le dernier métro
de Tokyo a vu ses passants éméchés s’engouffrer pendant que la ligne 13 prend
du service. Dans quelques minutes, je plongerais à nouveau dans le sous-sol
métropolitain, il me reste une heure de sommeil, mon premier roman d’EES
achevé. Une fois démarré, je n’ai pu le lâcher. Mine de rien, un inconnu que tu
croises dans la rue et qui te traite de gros, ça fait réfléchir à ta putain de
vie. Et si je sortais maintenant, profiter de cet instant de répit où je me
retrouve seul, avec la lune, avec le silence. Et si je me taisais…
« si ce que tu dis n’est pas plus beau que le silence, alors tais-toi… »
Tabarnak, ce jour est à graver quelque part, un Bison a trouvé la grosse bibitte à poils en lui... Parfois, il suffit de si peu pour que notre vie bascule à jamais, comme croiser un inconnu qui dit avoir vu le gros en toi et du coup ça te retrousse les (le) poils et tu te dis que finalement la vie vaut la peine d’être vécus en maudit, les hasards sont merveilleux. Allongé sur un canapé marron, à défaut d’avoir un divan où épancher son âme bouddhiste, il rêve de canard pour le bain (piles comprises jusqu’à expiration) pour s’émoustiller le majeur et rêver de silence pour raviver son âme spirituelle.
RépondreSupprimerJe suis heureuse que tu aies découvert la plume d’Éric-Emmanuel Schmitt en même temps que le gros en toi. Quel beau philosophe de l’âme humaine, cette nouvelle est l’une de mes favorites. L’histoire de Jun, ce petit bonhomme attachant avec qui on voudrait discuter durant des heures sur son bout de béton. Ou simplement prendre le temps de se taire quand ce qu’on a à dire n’est pas plus beau que le silence...
Crisse, un billet qui t'inspire.
SupprimerJ'ai toujours su que j'étais gros en moi.
Prendre le temps de se taire, sur un canapé, devant une blonde - ou une brune. Toute ma philosophie, toute mon âme.
Ah ben après ça, c'est sûr qu'on a envie de le découvrir Jun...
RépondreSupprimerQuelque chose me dit que tu lui achèterais bien un de ses canards en plastique pour ton bain...
SupprimerJ'ai une grenouille moi, monsieur, dans mon bain !! ^^
SupprimerQuel coquin, celui-là !
SupprimerJe confirme, il a une grenouille dans son bain!!! mdrrrrrrr ^^
SupprimerJe me souviens de mon premier EES, "lorsque j'étais une oeuvre d'art" un très beau roman que j'ai trouvé dans le cartable de ma fille et je me souviens aussi de mon premier théâtre EES un très beau souvenir.
RépondreSupprimerUn moment que j'ai envie de découvrir celui ci
EES squatte les théâtres parisiens, alors peut-être qu'un jour je verrai sa version sur planche.
SupprimerMais franchement, s'il n'y avait pas le mot SUMO dans le titre, est-ce que j'aurais été le lire ? pas sûr... Mais je ne regrette pas, et l'occasion se trouvera certainement pour en découvrir d'autres. Pas tous, tous ne m'intéressent pas...