Prendre son temps. D’ailleurs, tu es pressé ? Pas moi. J’ai 700 pages et des poussières et quelques bières. Pas que ce dernier élément ait son importance, c’est juste pour la rime et j’en suis pas très fier, même pas de frime. Donc au départ, c’est une question de temps et de courage. Oui, il faut du courage pour assister à un match de base-ball. Tellement lent, tellement long, qu’il en faut du temps, autant que pour lire un roman de John Irving que pour boire quelques bibines.
Parce qu’il va s’en dire, que le John en question, lui il aime aussi prendre son temps. Il faut plusieurs centaines de pages pour planter le décor ou envoyer une balle de base-ball à son receveur. Surtout que là, ce sont les minimes qui jouent. Et pourtant de l’action, il va y en avoir. Imagine la plus belle des mamans, celle que tous les autres papas se retournent pour regarder ses hanches et son cul ! Et son sourire si craquant, ses cheveux au vent, avec ses lunettes de soleil plantées dedans, et pan… La balle lui tombe sur la tête, une vengeance des Dieux peut-être, et re-pan plus de maman. Out. Ou home-run en jargon base-ballistique.
« Nous ne faisions que jouer, me semble-t-il. Nous avions onze ans l'été où ma mère mourut. C'était notre dernière saison en minimes et nous en avions plus que marre. Je trouve déjà le base-ball ennuyeux ; et la dernière saison en équipe minimes ne sert que de prélude aux interminables périodes de base-ball qui menacent d'innombrables Américains. Pour mon malheur, les Canadiens affectionnent aussi le base-ball, tant comme joueurs que comme spectateurs. C'est un jeu avec de longs moments d'attente, un jeu où l'on espère avec une exaspération grandissante une action d'une exaspérante brièveté. Au moins, dans les équipes minimes, les gosses jouent beaucoup plus vite que les adultes, grâce à Dieu ! Nous ne passions pas notre temps à cracher ou à nous gratter les aisselles ou le pubis, mimiques apparemment essentielles à la bonne marche d'une partie adulte. Mais il faut tout de même attendre entre les lancers, attendre le bon vouloir de l'attrapeur, laisser l'arbitre examiner la balle après chaque coup - et attendre que l'attrapeur trottine jusqu'au monticule pour chuchoter au lanceur ses instructions pour le lancer de la balle, puis attendre que l'entraîneur se traîne sur le terrain afin de supputer avec le lanceur et l'attrapeur les possibilités du prochain lancer...
Ce jour-là,
lors du dernier tour de batte, Owen et moi attendions stoïquement que le match
s'achève, nous ennuyant à tel point que l'idée ne nous vint pas qu'une vie
humaine allait s'achever ainsi. »