vendredi 26 novembre 2021

Home-Run


Prendre son temps. D’ailleurs, tu es pressé ? Pas moi. J’ai 700 pages et des poussières et quelques bières. Pas que ce dernier élément ait son importance, c’est juste pour la rime et j’en suis pas très fier, même pas de frime. Donc au départ, c’est une question de temps et de courage. Oui, il faut du courage pour assister à un match de base-ball. Tellement lent, tellement long, qu’il en faut du temps, autant que pour lire un roman de John Irving que pour boire quelques bibines.

Parce qu’il va s’en dire, que le John en question, lui il aime aussi prendre son temps. Il faut plusieurs centaines de pages pour planter le décor ou envoyer une balle de base-ball à son receveur. Surtout que là, ce sont les minimes qui jouent. Et pourtant de l’action, il va y en avoir. Imagine la plus belle des mamans, celle que tous les autres papas se retournent pour regarder ses hanches et son cul ! Et son sourire si craquant, ses cheveux au vent, avec ses lunettes de soleil plantées dedans, et pan… La balle lui tombe sur la tête, une vengeance des Dieux peut-être, et re-pan plus de maman. Out. Ou home-run en jargon base-ballistique. 

« Nous ne faisions que jouer, me semble-t-il. Nous avions onze ans l'été où ma mère mourut. C'était notre dernière saison en minimes et nous en avions plus que marre. Je trouve déjà le base-ball ennuyeux ; et la dernière saison en équipe minimes ne sert que de prélude aux interminables périodes de base-ball qui menacent d'innombrables Américains. Pour mon malheur, les Canadiens affectionnent aussi le base-ball, tant comme joueurs que comme spectateurs. C'est un jeu avec de longs moments d'attente, un jeu où l'on espère avec une exaspération grandissante une action d'une exaspérante brièveté. Au moins, dans les équipes minimes, les gosses jouent beaucoup plus vite que les adultes, grâce à Dieu ! Nous ne passions pas notre temps à cracher ou à nous gratter les aisselles ou le pubis, mimiques apparemment essentielles à la bonne marche d'une partie adulte. Mais il faut tout de même attendre entre les lancers, attendre le bon vouloir de l'attrapeur, laisser l'arbitre examiner la balle après chaque coup - et attendre que l'attrapeur trottine jusqu'au monticule pour chuchoter au lanceur ses instructions pour le lancer de la balle, puis attendre que l'entraîneur se traîne sur le terrain afin de supputer avec le lanceur et l'attrapeur les possibilités du prochain lancer...

Ce jour-là, lors du dernier tour de batte, Owen et moi attendions stoïquement que le match s'achève, nous ennuyant à tel point que l'idée ne nous vint pas qu'une vie humaine allait s'achever ainsi. »

jeudi 18 novembre 2021

Les Couleurs de la Lumière


Imagine, un musée, celui de Grenoble ou celui d’Orsay, et là la lumière, celle de l’ampoule de la guérite du gardien, celle de Pierre Bonnard, les couleurs de la lumière. Tu te plantes devant un tableau, tu regardes, une pointe par ci, une pointe par là et la lumière t’éblouit, et la femme nue, par bonheur, pur bonheur, t’éblouit.

« La couleur est une femme qui se gagne lentement, regard après regard, caresse après caresse. On sait tout de suite que ce sera long, un combat sans cesse recommencé avec la lumière. Et qu'il faudra souvent faire mine de baisser les bras, de quitter le champ et de se retirer dans l'ombre, le silence, la solitude. »

Elle s’appelle Marthe, ou Marie, peu m’importe, c’est la Muse, celle de Pierrot qui la croise au détour d’un quai ou d’une rue, et qui s’en trouve bouleversé à jamais. Imagine cette rencontre, l’artiste et le modèle, le peintre et la femme nue, toujours nue. Dans la salle de bain, sur un canapé, dans son lit. Pas besoin d’une lune bleue pour l’inonder de bonheur, juste un sourire, un regard et l’amour qui vient. La passion, les caresses, le silence. C’est ça l’amour. C’est ça la peinture, c’est ça, les couleurs de la lumière, ce mélange chaud de passion et de caresses qui se posent sur une toile.

mardi 9 novembre 2021

La Taille de son Âme


Profession ancien disquaire au Revolver, Vernon Subutex ferme la grille rouillée depuis quelques années déjà du magasin. Toute une époque, les années 80, sa musique, ça me parle, forcément. 
 
Au charme indéniable, Vernon se retrouve à la rue. En guise de cahier d'adresses, Facebook lui fournit ses contacts d'antan, des filles devenues femmes, des femmes devenues vieilles. Lui aussi a quelques rides en plus, mais toujours ce même sourire, cette aura irrésistible. Vernon a revendu toute sa collection de vinyles pour survivre jusque là, aujourd'hui, ce soir, cette nuit, lune bleue et étoiles inoubliables, oublié le magasin et ses âmes qui y passaient... Du passé de Vernon, il ne reste plus rien, si ce n'est toujours cette même passion pour la musique, et les dernières confessions d'Alex Bleach sur bande magnétique, l'overdose psychotique.
 
"Passé quarante ans, tout le monde ressemble à une ville bombardée. Il tombe amoureux quand elle éclate de rire - au désir s'ajoute une promesse de bonheur, une utopie de tranquillités emboîtées -, il suffira qu'elle tourne la tête vers lui et se laisse embrasser, et il accédera à un monde différent. Vernon sait faire la différence: excité, c'est le bas-ventre qui palpite, amoureux, ce sont les genoux qui faiblissent. Une partie d'âme s'est dérobée - et le flottement est délicieux, en même temps qu'inquiétant: si l'autre refuse de rattraper le corps qui sombre dans sa direction, la chute sera d'autant plus douloureuse qu'il n'est plus un jeune homme. On souffre de plus en plus, à croire que la peau émotionnelle devient plus fragile, ne supporte plus le moindre choc."  
 

samedi 6 novembre 2021

Mustang

« De jour, ça avait de la gueule, c’est vrai. La petite ville se coulait comme dans le fond d’un canyon entre une mesa – une formation rocheuse spectaculaire, aux versants abrupts et au sommet plat – et les premiers contreforts des Rocheuses, une géologie violente et tourmentée qui reflétait, pâlis, des travellings panoramiques de western, ceux que l‘on regardait le mardi soir en éteignant la lumière du salon pour faire comme au cinéma, mais les bandeaux noirs qui ajustaient le format du film sur l’écran de la télé avaient disparu, et soudain j’étais dans l’image. »

Et au milieu coule une rivière ou une nouvelle, pièce centrale de ce recueil, Mustang.

Et au milieu roule donc une Ford Mustang d’un vert entre forêt et émeraude.

Et au milieu se glisse une voix, des voix. D’abord celle de Steve McQueen. Quand on me parle Mustang, un cheval qui galope sur la calandre, je suis dans Bullitt. D’autres voix aussi partagent ces moments, des voix intérieures, des voix sorties d’une bande FM lorsque je roule dans la poussière d’un état poussiéreux. Ou est-ce moi qui suis dans un état poussiéreux ? Né poussière, je finirai poussière, crossroads. En attendant je chevauche le pur-sang, je roule en Ford Mustang.