dimanche 31 décembre 2023

Feu la poésie d'Arthur


"Journal d'une nuit espérée, rendue triste par la situation en général. Il est douloureux d'imaginer que cela aurait pu être autrement. Roulis d'un soir sans crépitement, je devinais sous la profonde écriture un sens caché aux choses du monde qui attendent une heure. Qui attendent leur heure. Que quelqu'un nous donne l'heure. Avez-vous l'heure ?"
 
Je regarde ma montre. Peu m'importe l'heure, le temps qu'il fait dehors. Je regarde l'eau couler sur la fenêtre du salon. Un type devant un clavier, une tasse de thé, parfum pu-ehr. Une platine qui défile les titres, disque de Feu Chatterton ! Donc, ma montre me dit que j'ai cinq minutes pour finir mon pu-ehr, j'aime bien ce nom, et cinq autres avant de décapsuler une bière. Le temps est compté, mais le temps ne compte pas pour la poésie. Poésie dite minute, écrite sur l'instant, sans réfléchir. Comme un brouillon de la pensée.

Alors, tu veux mon avis ? C'est bien pour ça qu'on est là. Mais mon avis n'a que peu d'importance dans ce monde-là. Après tout c'est comme des nouvelles, on en pioche une, on aime bien, on en pioche une seconde, on aime moins, mais on continue, on trouve une belle phrase, on la note, on essaie de s'en souvenir, on la garde pour soi. Et on l'écrit ici, par exemple. "Dans le noir la pudeur n'a plus d'ennemi." Puis on referme le livre et on le ré-ouvre. D'une facilité déconcertante, comme pour décapsuler une bière ou caresser les jambes d'une femme.
 

mercredi 27 décembre 2023

D'une Terre Brûlée un Whiskey Tourbé


 A travers les champs bleus, je me promène ainsi sous le regard bienveillant de la lune. Platitude de la terre, mais pas des sentiments, je ne vois dans mon panorama que tourbières et pubs, la beauté de l’Irlande. Une odeur saline pénètre mon âme fouettée ainsi par le vent et la pluie oblique. Il faut un feu de cheminée pour supporter l’humidité – l’intimité - de cette chaumière, un feu de tourbes, une odeur de chèvre. La campagne irlandaise, quoi ! Une terre brûlée au vent des landes de pierres, un whiskey tourbé.

« Décembre est arrivé, pluvieux. Margaret n’avait jamais vu une pluie pareille. Elle ne tombait pas droit du ciel, mais à l’oblique, entraînée par le vent. Il y avait du sel sur les fenêtres et une odeur d’algues dans l’air. Tandis que les oiseaux souffraient de la faim, les gens là-bas en ville se mettaient à boire. »

Au pub, on me sert une bière brune, presque noire. Avec une mousse qui tient ainsi au sommet du verre, un long col blanc, comme une collerette de curé au sommet de sa robe noire. Car même dans un pub, même devant une pinte, la religion ne s’absente pas. Elle est toujours présente dans l’esprit des hommes, et des femmes. Surtout. Et des femmes, j’en découvre d'un autre monde. Fortes, solitaires, rejetées, elles sont présentes tout au long de cette aventure froide et humide, verte et saline, les modestes d’Erin.

dimanche 24 décembre 2023

La Playlist d’un type Ordinaire


 « La leçon que j'ai tirée de la débâcle avec Charlie, c'est qu'il faut boxer dans sa catégorie. Charlie était d'une autre classe : trop jolie, trop maligne, trop spirituelle ; trop. Je suis quoi, moi ? Ordinaire. Un poids moyen. Pas le cerveau du siècle, mais pas débile non plus : j'ai lu des livres comme L'Insoutenable Légèreté de l'être, L'Amour au temps du choléra, et je les ai compris, je crois (ils parlent des filles, c'est ça ?), mais je n'ai pas beaucoup aimé ; mon palmarès des livres, c'est Le Grand Sommeil de Raymond Chandler, Dragon rouge de Thomas Harris, Sweet Soul Music de Peter Guralnick, Le Guide du routard de la galaxie de Douglas Adams, et je sais pas, un truc de William Gibson ou de Kurt Vonnegut. Je lis le Guardian et l'Observer, et aussi le New Musical Express et des fanzines ; je ne suis pas contre aller à Camden voir des films sous-titrés (palmarès des films sous-titrés : 37,2 le matin, Subway, Attache-moi, L'homme qui voulait savoir, Diva), mais finalement je préfère les films américains (palmarès des films américains, et donc des meilleurs films du monde : Le Parrain, Le Parrain II, Taxi Driver, Les Affranchis, Reservoir Dogs). »

J’entame donc l’histoire d’un pauvre type qui s’est fait larguer et qui depuis une dizaine d’années reste obnubilé par cet amour. Disquaire de profession et dans l'âme, il vit pour et dans la pop et le rock. Heureusement que la musique le sauve de son morne quotidien. Le rock, donc et les listes. Le jazz aussi mais ça c'est une autre histoire, pour un second tome. Il a cette manie, lubie, qu’à chaque instant marquant de sa vie, il fait des listes : les 5 nanas inoubliables, ou les 5 ruptures inoubliables, c’est la même chose, les 5 bouquins à emmener sur une île déserte (1.Moon Palace…), les 5 musiques à écouter à 15 ans en se masturbant (1.Violator…), les 5 disques sur lesquels on peut - doit - faire l’amour au moins une fois dans sa vie (1.The Köln Concert…). Bref les listes de 5, c'est sa life, putain de vie.

mercredi 20 décembre 2023

Y a de la bière dans le frigo si t'as soif


 Au volant d’une vieille Dodge, évitant les chiens errants dans la poussière de la Caroline du Sud, regardant les chiens écrasés sur la double deux voies, je file à toute berzingue et à travers quelques instants de ma vie poussiéreuse. Je m’arrête chez un pote, un ancien du Viêt-Nam, y’en a toujours un dans les bons romans américains. « Assieds-toi, vieux, dit Blue. Y a de la bière dans le frigo si t'as soif. », me dit-il. - Petit aparté. Déjà Blue me fait penser immédiatement à la trilogie new-yorkaise de Paul Auster, l’œuvre ultime des romans américains. Fin du petit aparté totalement personnelle et subjectif. - Et là, avec nos bières fraiches et décapsulées, on s’assoit sur la terrasse, de vieilles planches en bois posées à même la poussière, de son mobil home, face au soleil couchant. Le silence est là, un silence pas dérangeant, un silence de complicité avec son ami, avec sa bière, avec sa lune. D’ailleurs on en reprend une troisième pendant que les étoiles commencent à illuminer la solitude des coyotes. Au bout d’une ou deux heures, j’abrège donc le silence, il est temps que je reprenne la route, direction Coronado.

J’allume l’autoradio, un morceau de Dave Matthews s’en échappe. Je file, je m’arrête pour prendre une autostoppeuse qui monte à l’arrière, l’air fatiguée, une pute qui veut changer d’air et reprendre sa main en vie, devenir reine sous le soleil californien ou au moins actrice de sitcom. On s’arrête au bord de la route, un bar poussiéreux mais aux néons qui tranchent dans le vif, colorent ta nuit semblent-ils te dire. Je commande un Aerolite Lyndsay. « Elle fait tinter les glaçons dans son verre. Tire une bouffée de sa cigarette. » Rien qu’une telle pensée me met dans un état d’excitation intense. Mandy est partie dans les toilettes, probablement se refaire un brin de fraîcheur et une ligne de coke. 

samedi 16 décembre 2023

Des Odeurs de Goulash et de Haine


 A Nykøbing Falster, je croise le regard apeuré d’un jeune garçon. Plus tard, celui-ci, alias Knud Romer, écrivit un roman à consonance autobiographique « Cochon d’allemand » et joua devant la caméra de Lars von Trier dans « Les Idiots ». Mais pour le moment, ce petit garçon est triste, ses yeux humides sont effrayés rien qu’à l’idée d’aller à l’école ce matin, comme tous les autres matins. Souffre-douleur de ses camarades, il n’est pas rare qu’il se voie rouer de coups, brimer, humilier. Pourquoi tant de haine ?

« Le matin, le soleil entrait par la fente des rideaux, traversait la pièce tel un tigre et me léchait la joue. Je me réveillais toujours avant qu'il me dévore ; il disparaissait aussitôt, mais je l'entendais mugir dehors. Je croyais dur comme fer que des tigres et des lions se promenaient dans les rues, parfois je croyais entendre d'autres animaux encore - des babouins, des perroquets -, et la haie qui entourait notre maison avait précisément pour fonction de tenir à l'écart les bêtes sauvages, exactement comme dans Pierre et le loup. »

Dans la cour de récréation, se protégeant des coups de pieds et des crachats, un refrain repris à tue-tête hurle dans sa tête : 
« Cochon d’allemand ! Cochon d’allemand ! ». 
Qu’il est difficile de vivre enfant, au Danemark ou dans cette Europe d’après-guerre, quand on a une mère allemande. Jamais adoptée par son nouveau pays, avec l’accent fort du pays, finalement elle abandonnera la partie au profit de la vodka.

mercredi 13 décembre 2023

L’homme parfait s’appelle Bertrand


Aujourd'hui, je découvre Eric Reinhardt comme on découvre une forêt ou un amour. A petits pas, j’avance dans l’histoire, prenant le temps de respirer entre chaque paragraphe, car c’est du lourd, aussi lourd qu’une vieille souche abandonnée d’un arbre presque centenaire, qu’au aura coupé par sadisme ou par déchéance. 

Dans cette forêt entre Metz et Strasbourg, vit un homme des Bois, aussi gentil que Robin, maniant tout aussi bien l’arc et les flèches. Mais surtout, j’essaie d’apercevoir dans la pénombre sylvestre le regard souriant d’une Bénédicte Ombredanne. Dans cette forêt, elle a retrouvé le sourire perdu il y a plus de dix ans. C’est que la vie entre Metz et Strasbourg ne prête pas à sourire, surtout en hiver, mais ce n’est pas le moment de plaisanter, car ce roman n’en demande pas. Il est sombre, difficile, cruel. Il est émouvant, poignant, plombant. Alors une certaine rage s’empare de moi, comment est-ce possible, comment est-ce envisageable. Et pourtant, oui, je n’ai guère de mal à ressentir ce mal-être, cette souffrance inadmissible, le harcèlement mental de son mari. 

« C'était la première fois qu'elle roulait sur le segment sud de l'autoroute A4, entre Strasbourg et Metz. 
Sur le tronçon nord, qu'en revanche elle empruntait régulièrement pour aller voir ses parents en Champagne, des panneaux se succédaient qui attestaient que l'histoire de cette région n'avait été qu'une suite de traumatismes et de péripéties blessantes ou décisives : VERDUN, L'OSSUAIRE DE DOUAUMONT, LA VOIE SACRÉE, LA BATAILLE DE VALMY, LES TAXIS DE LA MARNE, LA FUITE À VARENNES, GRAVELOTTE 1870, de sorte que l'automobiliste, au fil des kilomètres et des pancartes, finissait par se demander si l'existence de tout un chacun ne serait pas de la même façon une suite de traumatismes et de conflits, d'attaques, d'injustices, de spoliations, d'hostilités sanglantes et destructrices, mais dans une impassible continuité paysagère, une résistance aux faits, une forme d'indifférence aux souvenirs de la douleur, avec même, parfois, certains jours, de grands et réjouissants ciels bleus, des oiseaux mouvementés. On a beau devoir faire face aux événements les plus pénibles, on avance, les arbres repoussent, le temps passe, on peut renaître, il y a de lentes postures de ruminants aux endroits où s'amoncelaient les cadavres, les jours s'écoulent et continuent leur incessant décompte. Ce trajet nous enseigne que notre vie est bel et bien le ciel des événements désagréables qu'on est amené à affronter, qui n'en sont que le sol, la terre, et les cailloux : les champs de bataille. »

dimanche 10 décembre 2023

Baron Samedi ou Dimanche


 « Le vent essoufflé poussait sans y croire des morceaux de nuages. La mer remuait ses mauvais souvenirs. La terre hélait en vain miséricorde. Les femmes et les hommes ruminaient leur silence. Tout semblait à part, vampirisé par une désolation que même les rires d'enfants n'arrivaient pas à conjurer. Et dans tout Paulette une question se chuchotait. Que cherchait l'étranger ? Ainsi m'avait-on nommé. »

L’étranger, c’est moi. Ce pauvre type venu s’immiscer dans les rêves d’une autre vie, sur une autre rive. Ô Régina, jeune et belle Régina, ô belle mulâtresse aux jambes ensoleillées… 
Régina fût kidnappée un matin de soleil rosé, à cause de son teint trop clair, voilà tout le malheur de Marie-Soleil, sa mère.

« J'ai avalé deux ou trois verres de rhum. », l’appel de Cuba, l’appel d’Haïti, l’appel de Sainte-Lucie, de la Jamaïque, de Guadeloupe. Ce n’est pas de ma volonté mais c’est pour comprendre le mythe de ces îles, moi l’étranger sur cette terre, m’immerger dans ce paysage où le vent soulève la poussière de ma misère. Entre rhum et poussière, vivent des poètes, et des filles si jolies que… que le malheur engloutit ces îles. Ô Régina, ô Cuba, ô Haïti... Au-delà des flots et des cimetières, je croise le raconteur. Le raconteur est un conteur d’histoires, un gars qui autour d’un verre de rhum dévoile la vie de Régina, d’une île, de la misère. Celle d’être trop belle dans cette île trop pauvre. Et au milieu de ce malheur, Baron Samedi fait son apparition, tient on est lundi…  Peu importe, pas de jour pour le rhum, pas de nuit pour le vaudou. 

mardi 5 décembre 2023

Manger des Manchots


"Un soleil hypocrite fait étinceler les gouttes d'humidité comme des myriades de diamants. En arrière-plan, la plaine fume légèrement. Des otaries et des éléphants de mer se prélassent en bâillant de plaisir. Il regarde autour de lui et pense que rien, pas un vol d'oiseau, pas une vague, pas un brin d'herbe, rien ne changera s'ils disparaissent ici." 
 
Soudain, prendre une année sabbatique, faire une croisière autour du monde, le cap Horn, le cap de Bonne espérance, ça te tente...
Allez ! On y va, se dirent Louise et Ludovic, la trentaine sans enfants, c'est le moment idéal, une façon de découvrir le monde tout en tissant de forts liens entre eux, d'abnégations, de peurs et d'intimité. A bord de Jason.

Soudain, une île au milieu de la Patagonie. Des oiseaux, le soleil derrière, une légère brise marine, les flots bleus noirs, bleus purs. Un panorama magnifique. J'opte pour ce regard que l'on porte vers le large, loin des hommes. Un clin d’œil à l'aventure, cette île interdite. Notre couple s'y accoste et découvre les décombres métalliques d'une station baleinière abandonnée depuis des décennies.

"Dans la baie, l'océan aux couleurs émeraudes près de la plage vire au noir dans les grandes profondeurs, en un pur miroir, les falaises brunes et les hauteurs semées de neige. Leur île resplendit et malgré leur désarroi, ils goûtent cette beauté éphémère. Il règne sur tout cela un silence, seulement ponctué de l'appel d'un manchot, du gazouillis d'une sterne dans son terrier ou de l'éructation d'un éléphant de mer, les bruissements rassurants de leur basse-cour australe."

lundi 27 novembre 2023

Dynamite, Clef à Molette et Packs de Six

« Page, Arizona : treize églises, quatre bars. Toute ville possédant plus d'églises que de bar est une ville qui a un problème. C'est une ville qui cherche les problèmes. »

Page, Arizona, le début de l’histoire. Là dans un bar, entourés de cow-boys s’abreuvant de bières, et de cow-girls trémoussant leurs culs sur de la country, je vois mes quatre héros, comme les quatre fantastiques – ou fanatiques. Quatre compagnons de routes dont nos chemins vont se croiser au milieu de bars et de poussière, et parfois même de bars poussiéreux. Un vétéran du Vietnam, parce qu’il en faut toujours un pour guider les actions contre le système et le gouvernement, un vieux chirurgien qui aime bien gratter de l’allumette, accompagné de sa nettement plus jeune maitresse, faut toujours une belle nana en santiags et short moulant pour retenir mon attention, et un drôle de mormon polygame qui sillonne l’Etat de femmes en femmes.

Les présentations sont ainsi faites. Maintenant, le but de la mission, si toutefois vous l’acceptez : préserver la beauté de ce désert, l’Ouest sauvage dans toute sa splendeur. Les moyens : des clés à molette et quelques bâtons de dynamite. Le but : détruire tout ce qui défigure le paysage : panneaux publicitaires, antennes, ponts, routes, oléoducs, barrages… Rien ne leur fait peur à ces quatre-là, quatre écoterroristes bien avant l’heure. En gros : plus le chantier est imposant, plus faut charger en dynamite, l’équation est simplissime. Et c’est donc partie pour un road-trip où la distance ne se mesure plus en kilomètres ou en miles mais en pack de six…

mercredi 22 novembre 2023

UN HIBOU VIT DANS LA FORÊT


 Alors que le silence coule sur les arbres, la forêt se fait noire, sombre charbon végétal dans la nuit. Dans une forêt inquiétante et mystérieuse dont il est strictement interdit de pénétrer, je me perds frissonnant de froid ou d’effroi, quelle différence cela peut faire au milieu de cette nuit. Le garde forestier m’a mis en garde, on ne sort pas indemne de ce labyrinthe feuillu, mieux vaut ne pas s'y égarer. J’entends subitement un cri, la lune même s’en est effrayée. Était-ce le hululement d’un hibou. Je détale, fait demi-tour, descend à toute berzingue la pente vers les faibles lumières du bourg enveloppées d'une légère brume.  

« Sur la route forestière, le grand ciel bleu s'inclinait peu à peu devant la nuit. La colline glissait en silence dans l'obscurité, bleuissait lentement, s'assombrissait. In-su, qui descendait en direction du pavillon où il résidait, s'arrêta et se laissa absorber dans la contemplation de l'ombre imposante qui grandissait, envahissait le bourg peu à peu. En un instant, elle gagna la route, qu'elle avala, avec In-su. »

Le silence y règne également, au bourg. D’ailleurs, du bourg n’existe en fait qu’une voie commerciale, une longue route qui termine son chemin dans la profondeur de la forêt, là où personne ne s’aventure (alors pourquoi une route ?), rien autour, rien avant, que des kilomètres de nuit et de silence. Les rideaux métalliques sont baissés à cette heure-ci, la blanchisserie et la librairie. Etrange ces deux commerces qui survivent encore dans ce trou perdu. Heureusement, les néons du bar sont allumés, guidant ma voie jusqu’au réconfort de l'ennui. Je pénètre l’antre de la débauche. Si la journée la forêt impose sa grandeur, la nuit, elle, elle appartient à l’alcool où les quelques autochtones s’ivrognent en silence dans l’absence de regards.

dimanche 12 novembre 2023

Vieux Rhum et Montecristos

Je te laisse imaginer la chaleur qui dégouline sur cette île. Le Conde, totalement nu dans sa chambre, face aux pâles du ventilateur provoquant une légère brise aux embruns de sueur. Sept heures moins le quart, il prendrait bien un verre de rhum mais il a encore le souvenir des bières bues quelques heures plus tôt, et puis il est en service, une affaire sérieuse et épineuse, le fils d’un diplomate retrouvé mort. Habillé en femme, Electre à la Havane. Il enfile donc son costume de commissaire et de poète, file dans les rues voir à quoi ressemble un transformiste mort. Les déambulations dans son île enrhumée, par la clim et les barriques, l’emmènent à réfléchir sur son poste, sur les homosexuels de Cuba, sur le besoin - une déviance ? – de porter une robe rouge pour un homme.

« Grâce à lui, plusieurs éléments devenaient clairs pour le Conde : le transformisme était quelque chose de plus essentiel et de plus biologique que la simple pédérastie ou l'exhibitionnisme consistant à sortir dans la rue habillé en femme, comme il l'avait toujours cru, à l'abri de son machisme élémentaire et viscéral. Il n'avait jamais été tout à fait convaincu par l'attitude de base du travesti qui change son physique pour mieux draguer. Draguer qui ? Les hommes-hommes, les vrais, hétérosexuels, avec des poils sur la poitrine et puant des aisselles, n'allaient jamais avoir une liaison consciente avec un travesti : ils coucheraient avec une femelle, et pas avec cette version limitée de la femme, dont l'orifice le plus appétissant était définitivement clos par la capricieuse loterie de la nature. Un homosexuel actif, caché derrière une apparence impénétrable d'homme « homme » vulgairement : un enculeur ; littérairement : un bougre - n'avait pas besoin de cette exagération pour sentir se réveiller en lui ses instincts sodomites et pénétrer per angostam viam. »

mercredi 8 novembre 2023

Chroniques Osages

1921, Oklahoma. Déplacés puis parqués dans ce désert de poussière, la nouvelle terre d'accueil des Indiens Osages. Mais sous cette poussière, reposent d'immenses nappes de pétrole, faisant des Osages le peuple le plus riche du monde. De quoi attiser certaines convoitises, si tuer quelqu'un pour son pognon s'apparente à de la convoitise. Car, mystérieusement, alors que la population Osage vit dans l'opulence, son taux de mortalité est bien supérieur à la population américaine, dite blanche dans le coin de ce pays.

"Heure après heure, kilomètre après kilomètre, elle vacilla d'arrière en avant dans la charrette, traversant des paysages sauvages et déserts. La lumière finit par baisser et Mollie et le cocher durent s'arrêter pour dresser un bivouac. Lorsque le soleil disparut derrière la Prairie, le ciel devint rouge, puis noir, l'épaisseur de la nuit n'était diluée que par la lune et les étoiles desquelles les Osages pensaient que leurs clans étaient descendus. Mollie était devenue une Voyageuse de la brume. Elle se sentit cernée par les forces de la nuit que l'on entendait mais ne pouvait voir : les glapissements des coyotes, les hurlements des loups et le hululement des hiboux, dont on disait qu'ils étaient porteurs d'un esprit démoniaque."
 

vendredi 3 novembre 2023

Jazz à l'âme

"Souffle petit souffle
Souffle pour moi aussi désormais
Souffle pour ton père et ton grand-père ce héros
Souffle pour pardonner à ta mère et te pardonner
Souffle pour ta princesse fée du jour
Souffle pour ta belle belle belle amour
Souffle pour
Ed
Miles
John et Alice
Chet
Thelonious
Louis
Max
Wayne
Ray
Art
Nina
Ella
Billie
Sarah
Myriam
Dorothy
Herbie
Etta
Sonny
Sam
Guru
Leonard
Keith
Kenny
Harry
Aretha
Bembeya
Bembeya
Bembeya
Souffle petit
Souffle pour
Et parfois contre
Contre l’injustice
Contre le racisme
Contre la violence
Des hommes qui défont l’humanité
Et se font la guerre par peur de la paix
Souffle petit
Souffle pour
La tendresse à essayer
Encore et toujours
Souffle pour
Otis
James
Manu
Fela
Bob
Roberto
Gilberto
Gil
Souffle
Pour les nôtres
Et les autres qui font
Définitivement partie de Nous
Sommes les mêmes petit
Alors souffle
N’arrête jamais de souffler
Pour le jazz lui-même
Musique plus grande
Que tous les musiciens
De son panthéon réunis
Souffle pour la beauté
Et pour la note bleue[…]
Souffle le Jazz
Miracle d’amour suprême"
 

jeudi 26 octobre 2023

Le Crotale


 Maria, actrice de seconde zone, se prélasse dans sa villa de Beverly Hills. Au bord de la piscine, elle observe, à travers ses lunettes noires, le défilement de sa vie : un divorce en cours, une jeune fille internée à l’hôpital, des rôles de plus en plus insignifiants et éphémères. Dans ces moments-là, elle se sert un verre, prend deux cachets et la route à bord de sa corvette. Sans but, la plupart du temps… Rouler, rouler, jusqu’à ce que la lumière lui intime le désir de rentrer. Et puis des fois, elle pousse sur la Route 66, traverse Barstow, s’enfonce jusque dans le Nevada, et s’arrête à Las Vegas ou dans un coin de poussière qui s’appelle le Café du Crotale. 

« La ville était bâtie sur un lit de rivière asséché entre la vallée de la Mort et la frontière du Nevada. Carter, BZ, Hélène, Susannah Wood et Harrison Porter ainsi que la plupart des gens de l'équipe ne la considéraient pas du tout comme une ville, mais Maria si : c'était plus grand que Silver Wells. À part le motel, construit en parpaing et tenu par la femme de l'adjoint au shérif qui parcourait sans cesse les centaines de kilomètres carrés de désert autour de la ville, il y avait deux postes d'essence, un magasin qui vendait de la viande et des légumes frais un jour par semaine, un café, une église fondamentaliste et le bar où l'on ne servait que de la bière. Le bar s'appelait le Café du Crotale. »

dimanche 22 octobre 2023

Les Péchés du Colorado


Il y avait une vieille malle dans la chambre de ma mère. Je n'ai jamais vu une malle aussi vieille. C'était une de ces malles à couvercle rond aussi gros que la bedaine d'un obèse. Ainsi commencent ses souvenirs. Par l'image de sa mère qu'il redécouvre au fond d'une malle, abandonnée dans la poussière d'un grenier... Il revient ainsi sur son enfance, la découverte du vin de messe, le vin de la jeunesse. Avant donc de retrouver son alter-égo sur la route de Los Angeles avec ses rêves de Bunker Hill dans la tête, avant qu'il demande à la poussière de devenir le plus grand écrivain de l'Amérique, ce qu'il fut - un peu, du moins, dans ma bibliothèque -, il évoque ainsi ses premiers méfaits, des bêtises de gamins, perdus dans la neige du Colorado, entre un père brutal, volage et alcoolique, et une mère presque aussi pieuse que la Vierge Marie. D'ailleurs, il en récite quelques uns de ces sutras à la gloire de Marie, pleine de grâce et bénie entre toutes les femmes... 

"Ces hivers du Colorado étaient impitoyables. Chaque jour, la neige tombait du ciel, et le soir le soleil était un déprimant disque rouge qui descendait de l'autre côté des Rocheuses. Le brouillard drapait les montagnes, si bas que nos boules de neige l'atteignaient. Ce déluge blanc n'accordait aucun répit aux arbres. Le vent balayait la neige en grosses congères mortes contre les clôtures et les cabanes à charbon."
 

dimanche 15 octobre 2023

Colonia Vela


Colonia Vela est en fête. Loin de Buenos Aires, perdu dans la poussière argentine, ce petit bourg promet une belle distraction, tango et boxe. Le grand Galvan doit faire une représentation à la salle des fêtes, des affiches ont même été collées aux murs de la ville pour annoncer sa venue.
Deux hommes montent sur le ring. Le speaker annonce le combat de l’année entre le vieux Rocha et la légende locale, le vainqueur aura le droit de participer aux prochains championnats du monde, c’est dire l’enjeu colossal.
Finalement Galvan est remplacé ce soir, il doit quitter la ville, ordre des autorités et à la fin des années soixante-dix, mieux vaut pas se frotter à la mitraillette de ces autorités-là.
Il a mis un genou à terre, l’arbitre compte une première fois, un… deux… trois… quatre… ça va ça va je vois encore clair ce ne sont que quelques gouttes de sang passe-moi l’éponge que j’essuie ça surtout ne jette pas l’éponge c’est la dernière chance de ma vie… Le combat reprend les coups cognent, les boxeurs glissent en sueur, encore un peu et ils danseraient le tango. 
Pourtant, l’autre boxeur n’est autre que le colonel de la garnison. Mais ne me fait pas dire que ça pue le combat truqué, c’est pas parce qu’autour du ring il y a des dizaines de militaires mitraillettes au bras, en train de s’abreuver de plusieurs verres de bières…  

« Nous marchions déjà depuis une heure quand je commençai à éprouver un froid intense dans les jambes et un goût amer sur la langue. J'allai jusqu'à un tronc d'arbre et m'y appuyai pour prendre une cigarette. Mingo avait plusieurs mètres d'avance ; la flamme du briquet l'arrêta. Lorsqu’il me rejoignit, je lui donnai une cigarette. De sa poche d'imper, il sortit une bouteille de genièvre et but une gorgée qui me parut interminable ; après, il me la tendit et nous nous assîmes sur le sol humide, adossés au tronc. Nous nous repassâmes la bouteille trois ou quatre fois. Pas très loin, un grillon chanta. Mingo tendit le bras et montra un point dans les buissons. 
« La chance, camarade, dit-il. Vous allez avoir de la chance. » 
Je le regardai lever le coude. Il abaissa la bouteille et me la tendit.
« Le grillon. S’il chante, ça porte chance.
- Ils chantent toujours, c’est tout ce qu’ils savent faire, non ?
- On voit bien que vous êtes de Buenos Aires », dit-il, déçu. »

mercredi 11 octobre 2023

Ce pays a soif de sang, part II


 Tout commence par un silence. Moteur éteint, il regarde dans le viseur de son arme. Un truc qui a attiré son attention. Un vautour vole au-dessus en faisant des ronds dans le ciel. Un silence de morts. Au pluriel, les morts, quatre pick-up en plein désert, et encore plus de cadavres. Sous un soleil de plomb et une terre de poussière, ce pays a toujours soif de sang.  

« Détourne pas les yeux. Je veux que tu me regardes.
Il regarde Chigurh. Il regarde le jour nouveau qui commence tout autour à pâlir. Chigurh lui tire une balle en plein front puis reste là à regarder. A regarder les capillaires exploser dans ses yeux. La lumière qui recule. A regarder sa propre image se dissoudre dans ce monde en perdition. »

Une histoire de drogue qui a mal tourné, regarde autour, tu trouveras le magot. Suivre l’odeur de l’argent. Et hop une mallette remplie de billets. Que faire, dans ce désert, dans ce silence, avec tous ces morts autour de soi. Embarque la mallette et rentre chez toi…Invite ta femme au diner, double steaks and bacon et bières à flot. 

« Un silence de mort. Peut-être à cause de la lune. Son ombre une escorte plus encombrante qu’il ne le voudrait. Cette sale impression que ça lui fait d’être ici. Un intrus. Parmi les morts. »

dimanche 8 octobre 2023

Kama Sutra Kanac

" femme 
ton sexe était pour ma bouche 
un sujet trop tabou 
maintenant 
je fais coutume 
devant les mots 
me voici boucan 
volcan 
voici mon vol oblique de bouc 
dans ton camp 
dans ton clan et ta tribu 
me voici décharge nucléaire 
en mille implosions d'êtres 
m'échappant par les pores 
par la bouche 
et autres voies ferrées 
de ma poétique intraveineuse 
femme ton feu était pour ma bouche 
risque d'incendie 
propension à la pyromanie 
me voici dans le vif du sujet 
en zone de turbulence "

Cet instant de poésie m’accompagne ainsi d'une bouteille de rhum agricole, comme l'accomplissement de l'amour dans un jardin fruité. Aussi, au bout du premier verre, je peux déclarer la flamme à cette femme qui hante les esprits d'un pauv'type comme moi. Et par la flamme, j'entends y mettre le feu, de la passion et du fruit, ma langue sur les parcelles de ton corps, léchant les perles de sueur qui coulent de tes désirs, les gouttes de plaisir ruisselant entre tes cuisses. Et par la flamme, j'entends éteindre le feu, de ma modeste lance et ainsi inonder ta plaine de mes envies.
 

samedi 30 septembre 2023

Dans le bus avec Darwin

 
Je prends un ticket au guichet, monte dans le premier bus, peinture émaillée blanc et rouge. Le soleil va bientôt se coucher, et l'esprit léger, je pars en week-end. C'est pas que j'y mets beaucoup d'attente, mais le brésil, la bière et les filles en bikini sur la plage, ça me met déjà en joie. Les gens commencent à monter, les places assises toutes occupées, je regarde, j'observe, je prends le pouls de la société. Toujours intéressant de monter dans un bus, on y croise de vrais gens, avec leurs problèmes, leurs caractères, leurs tics. Le mien, c'est de sortir immédiatement un livre de ma besace. Et pour l'occasion, j'ai deux bouquins, un de Charles Darwin le célèbre anthropologue anglais qui fit escale dans cette ville et parle d'un autre âge de l'esclavage, un de Rubens Figueiredo, si amicalement prêté lors d'un "cercle" d'initiés dédié à la littérature sud-américaine. 
 
"Autour de lui, Pedro observa de nouveau la torpeur générale dans laquelle le bus était plongé. Il sentit en lui-même comment cette langueur était assimilée par le rythme de la respiration des passagers, la demi-pénombre qui venait des vitres sales, le tangage provoqué par les nids-de-poule, le ronflement du moteur. Car le bus était à présent en train de parcourir lentement, toujours en seconde ou en troisième, une longue distance sans s'arrêter. Il avançait à vitesse réduite et constante le long d'un couloir latéral qui s'était formé sur la voie de droite, où les bus se suivaient de près - l'avant de l'un tout près de l'arrière de l'autre, formant une sorte de train."
 

mercredi 27 septembre 2023

La Cachaça du Sertao


Terre de poussière, terre sauvage. Ici, dans le Sertao, tout le monde peut venir, parce qu'ici il n'y a rien. Un soleil ivre de rage tourne dans le ciel et dévore le paysage de terre et de sel où se découpe au passage l'ombre du jaguar. Une cabane perdue aux abords d’une forêt, un petit feu et un hamac juste au-dessus. Le parabellum à la ceinture, je m’approche, la silhouette encore plus triste qu’une musique de bandonéon. Là-bas, un vieux probablement à moitié indien à moitié animal. Solitaire depuis des années, quelques négros qui l’ont accompagné qui ont été tué, comme des cangaceiros de la libération. La bouteille de cachaça bien entamée, conjuguée au soleil enragé, il soliloque dans un mélange de sa langue indienne, de brésilien et de feulement d’animaux. Il n’a plus vraiment l’habitude de croiser des âmes sur la poussière de ces terres.

« Je me suis fait un hamac, avec des palmes de bouriti, près de la tanière de Maria-Maria. Han-rhan, le négro Tiodoro, faudrait bien qu’il vienne chasser par là... Sûr, pour sûr. Le négro Tiodoro chassait pas l'once – ‘l avait menti à Mait Nhiouão Guede. Le négro Tiodoro, un brave homme, ‘l avait peur, mais peur, une peur carabinée. ‘l avait quatre grands chiens - des chiens toujours à aboyer. Apiponga en a tué deux, un autre a disparu dans les halliers. Maramoniangara a mangé l'autre. Hé-hé-éé.. Ces chiens... D'once, i’ z’en ont chassé aucune. Et puis, le négro Tiodoro, ‘l a habité la cabane qu'une nouvelle lune : alors il est mort, et voilà. »

dimanche 24 septembre 2023

Le Bidonville de Zarathoustra


 De Paris à Casablanca, retour à leurs racines. 
C’est décidé : Chérif et May décident de revenir dans leur ville natale en découvrant qu’ils vont avoir leur second enfant. 
Chérif, architecte de ville, May historienne, un couple qui avance main dans la main dans ce projet. Ils connaissent bien tous les deux la ville, même si ce n’est pas la même, à Chérif les coins populaires, à May quartiers de la bourgeoisie.
Si le roman de Yasmine Chami va s’attarder sur le couple, le sujet principal sera sa ville, Casablanca, à travers leurs regards, et leurs projets.
Chérif d’ailleurs, doit réhabiliter un bidonville. Pour cela il devra « recaser » sa population à l’extérieur de la ville. Il y prévoit des maisons en dur pour tous, avec un toit, l’eau, l’électricité. Il pense aux infrastructures nécessaires, écoles et espaces verts. Il espère même faire venir des lignes de bus…
Une action louable, donc…
Sauf que May a une autre vision du projet, du promoteur et de la mairie. Elle voit surtout des hommes et des femmes, dans le besoin, à qui l’on va reprendre la seule chose qu’ils avaient pour eux dans cette ville : la vue sur la mer.    

« Tu es un poète », avait-elle souri avec malice mais il avait rétorqué, vif : « Jamais ! Les poètes finissent maudits, la ville les dissout, les avale, crache leurs os disloqués qui vont rejoindre les carcasses de poissons morts au large du port. Plutôt mourir ! Non, je serai un nabab... et toi la reine de Saba ! Ma femme. »

dimanche 17 septembre 2023

Les Lunettes Noires de Santa Clara


« C'est dimanche et c'est l'heure de l'angoisse.
C'est dimanche et je dois avoir une sacrée sale gueule, adossé à ce fût de bière.
Putain. C'est dimanche.
Il fait chaud. Je défais le dernier bouton de la veste de mon uniforme. Merde au règlement. C'est dimanche !
Les gens passent et me saluent, des pichets remplis de bière fraîche et mousseuse à la main. Torture chinoise. Ils trinquent à ma santé.
Et moi, avec ma tête d'angoissé, la gorge sèche, je tente de sourire et je dis : « Merci, je peux pas, pas maintenant. »
J'ai envie de chialer, de tout envoyer chier, envoyer chier le jour où je suis entré dans la police, envoyer chier le jour où j'ai accepté ce poste de commissaire du quartier où je vis, du quartier où je suis né.
Il fait une chaleur à te dessécher les couilles, et je les envie. Me baigner dans cette bière tant convoitée, bien fraîche, bien mousseuse... Et qui pour l'instant m'est interdite.
Il fait chaud et j'ai envie que ça se termine. Il doit bien rester encore deux heures avant que le fût soit complètement éclusé.
Il fait chaud et je demande à Dieu que, s'il vous plaît, il ne se passe rien, que tout reste calme, que personne ne vienne raconter à Franck le Porc que sa femme le trompe.
Que Lobo ne s'envoie pas un pétard de marijuana et ne se défoule pas sur le premier clampin venu.
Que Gordillo paye les vingt pesos qu'il doit à Felipe le Gros Cul...
Qu'il ne se passe rien, bordel.
C'est dimanche, je crève de soif, de chaud, j'ai une sale gueule et j'ai envie de tout envoyer chier, et de préférence le jour où je suis entré dans la police. »

C’est dimanche matin et il fait déjà chaud. Un putain de soleil qui te dessèche le gosier et les couilles. Le genre de matin où tu te dis que tu ferais mieux de rester au lit la main sur la croupe de ta femme plutôt que d’enfiler ton uniforme de la Police. Mais voilà, tu as une conscience professionnelle. Alors tu te lèves et tu te bouscules. Et tu sors dehors, la vie est un tango. A peine installé dans ta caisse que tu entends qu’un type est mort dans le quartier d’à-côté. Un truc louche, genre une magouille à la cubaine, même si Santa Clara n’est pas La Havane.

jeudi 14 septembre 2023

Mythe ambré

 

Une musique, déhanchement de cubaines, des lumières de la ville, couleur de La Havane, je pénètre dans l'antre humide du Sex on the Bar, un bar d'ivrognes et de pêcheurs, Seigneur priez pour leurs âmes, cloaque puant de foutre, de pisse et de souvenirs. Accoudé au comptoir, le verre de rhum ambré au bord de mes lèvres, la serveuse les seins au bord de son décolleté, je passe une nouvelle nuit, torride humide, à Cuba. A coté de moi, mon regard se pose sur une femme, seule à sourire devant son verre de bière Cubanisto. Je lui demande si elle ne voudrait pas un truc plus fort, un verre de rhum. Elle me jette un regard, acquiesce d'un magnifique sourire et en échange décide de me conter l'histoire de ce vieil homme, un mythe dont son âme flotte encore autour de ce comptoir. C'est une histoire que j'avais déjà entendu parler, mais de sa bouche je suis tout ouïe, je rapproche mon tabouret du sien, prêt à lui caresser la main ou à sentir son parfum jasmin. Après tout, je connais si peu de chose de la vie, de la mer et du vieil homme. Je suis d'ailleurs déjà un vieil homme au fond de moi dans le fond d'un bar, aux lumières tamisées, qui rêve que la mer me prenne...
 
"Tout en lui était vieux, sauf les yeux – et ils étaient de la même couleur que la mer, joyeux et invincibles." 
 

dimanche 3 septembre 2023

Minuit Clair

 Minuit Clair.
 
Voici ton heure mon âme, ton envol libre dans le silence des mots,
Livres fermés, arts désertés, jour aboli, leçon apprise,
Ta force en plénitude émerge, tu le sais, tu admires, tu médites tes thèmes favorise,
La nuit, le sommeil, la mort, les étoiles.
 
Walt Whitman.
 
La nuit traverse ma vie. Elle illumine mes pages. Lorsque le sommeil n’a pas frappé à la porte de mon pub, je pense à la mort, je regarde les étoiles. Les pages de ma vie ne sont guère grandes et imagées, alors je me tourne vers d’autres pages, celles de Whitey, sexagénaire, blanc et respectable, deux mots qui vont ensemble. Père de 5 enfants, et surtout ancien maire de la petite bourgade de Hammond, État de New-York. Là-bas, il ne fait pas nuit, c’est bien au petit matin, au bord d’une petite route, que sa route s’arrête. Devant lui, deux policiers semblent admonester brutalement un jeune gars, noir ou basané, peu importe. Droit dans ses mocassins et son ancienne autorité, il décide de s’en mêler, impulsions électriques. Sa nuit commencera quelques jours plus tard. A l’hôpital. Au cimetière. Chez le notaire, un testament à lire.

« La lecture d'un testament est une zone de turbulences : après qu'il a été lu, secousses et ondes continuent comme après toute agitation de l'air, de l'eau ou de la terre.
Un verre serait le bienvenu ! Thom dit cela sur le ton de la plaisanterie, espérant qu'un ou deux des autres s'exclameraient : Et comment ! Faisons ça sur le chemin du retour, excellente idée.
Beverly, les yeux gonflés, se lécha les lèvres. (Thom le vit.) Mais non...
Lorene, non. Sophia, non. Et Jessalyn, naturellement - non.
Merde, eh bien, il boirait son coup tout seul. Cela valait peut-être mieux, de toute façon.
Buvait-il trop ? Si personne n'est là pour le déterminer, où commence le trop ? »

jeudi 31 août 2023

Et je disparaîtrai dans la nuit

Nous sommes au printemps 1974, pas très loin de Sacramento, Californie, à Rancho Cordova précisément. Il commence à faire nuit, quelques lumières s'illuminent dans des pavillons jusqu'ici paisible. Certains postes de radio sont allumés, branchés sur KRXQ 98.5 FM où est diffusé un live de Grateful Dead. Le bonheur made in California. Une voiture de Police patrouille tranquillement, l'air de rien, histoire de prendre l'air sous la voûte étoilée. Un contrôle de routine, vos papiers, circulez... Et si, et si...

Un premier cambriolage dans cette banlieue des plus paisibles. Puis un second. Un troisième. Et puis comme une escalade, il attache une fille, une femme... Et il leur dit des trucs genre : Et je disparaîtrai dans la nuit. Effectivement plus aucune trace... Jusqu'à une nuit prochaine. Mais ces enchaînements de cambriolages, cette violence qui commence à poindre, les habitants ne se sentent plus en sécurité. Systèmes d'alarme, achats d'armes à feu, ils se protègent comme ils peuvent. Mais les patrouilles de Police restent inefficaces. Aucun signal ne crachote de leur radio, Zebra3 à vous. Au journal télévisé, le présentateur finit sa présentation par cette phrase qui trottera dans la tête pendant des décennies : "La Californie a peur...". Surtout que cet individu, sans trace, ne se contente plus de voler, il viole, il tue.
 
Au final, cela sera au moins 13 meurtres, plus de 50 agressions, 200 cambriolages. Et surtout 42 ans de traque... Bienvenue en Californie, là où le soleil brille et les filles se promènent en bikinis.

"Il se tourne vers ses collègues et leur dit : « Je crois qu'on un putain de violeur en série sur les bras. »" 
 

samedi 26 août 2023

Ce pays a soif de sang

Viens. Viens, j't'emmène au bout du monde. Un monde de poussière et de violence. Un monde, dans le Texas des années 1850, où je croise un gamin venu rejoindre une bande de types, juges ou prêtres, des scalpeurs d'indiens, mais pas que... Scalpeurs de mexicains, mais pas que... Scalpeurs de nègres, aussi... Fuir le monde ou se construire un monde, telle est la motivation du p'tit.

"La nuit venue une seule âme se leva par miracle d'entre les corps fraîchement tués et s'éloigna furtivement à la lueur de la lune. Le sol sur lequel il était resté tapi était trempé de sang et imprégné de l'urine des bêtes dont la vessie s'était vidée et il allait, souillé et pestilentiel, fétide rejeton de la femelle incarnée de la guerre. Les sauvages s'étaient retirés sur les hauteurs et il apercevait le reflet de leurs feux et il pouvait les entendre chanter leur étrange et plaintive mélopée là où ils étaient allés faire rôtir les mules. Il se glissa parmi les gisants pâles et écartelés, parmi les chevaux étalés sur le sol les membres épars, et il releva sa position d'après les étoiles et partit à pied vers le sud. La nuit prenait des milliers de formes là-bas dans les buissons et il gardait les yeux fixés sur le sol devant lui. La lueur des étoiles et la lune en son décours traçaient l'ombre vague de sa marche sur l'obscurité du désert et les loups hurlaient le long des crêtes et se dirigeaient au nord vers le lieu de la tuerie. "
 
Viens. Viens, j't'emmène pour une longue traversée du désert, sous un soleil implacable, avec des hommes implacables. Dans la poussière de ce monde, tu chevauches les ténèbres, à travers des corps en putréfaction, des chevaux et des hommes, et des os blanchis de bisons. Des rivières asséchées et des ravines de sang. Sous le regard de la lune, les loups hurlent une certaine mélopée de leurs vies. 

mercredi 23 août 2023

De Garde-Barrière à Garde-Cimetière

"En me couchant, je pense que je n'aimerais pas mourir au milieu de la lecture d'un roman que j'aime."
 
A la découverte de métiers oubliés, tel dans un journal télévisé de 13 heures, je fais la rencontre de Violette, garde-barrière. Déjà Violette, c'est pas commun, mais garde-barrière encore moins. Dans un patelin de la France profonde entre les Ardennes la Lorraine et le Jura, c'est dire le trou perdu et pommé, peut-être une des dernières barrières non automatiques de la SNCF. Et vous voulez mon ressentiment : qu'est-ce que ça doit être chiant comme boulot, attendre toute la journée les trains qui passent devant chez soi, sortir 3 minutes avant pour descendre cette foutue barrière.  Mais comme toute belle (ou chiante) chose à une fin, cette barrière sera enfin automatisée.
 
Je passe volontairement les étapes intermédiaires, mais Violette passa ainsi de garde-barrière à garde-cimetière en Bourgogne. Ne s'appelle-t-elle pas d’ailleurs Violette Toussaint. Et oui, là aussi, un taf pas des plus joyeux. Et pourtant, c'est au sein des fleurs du cimetière de Brancion-en-Chalon que Violette va apprendre à vivre, au milieu du noir, des morts et des peines. Changer l'eau des fleurs, arracher les mauvaises herbes, faire pousser des chrysanthèmes et guider les vivants sur les tombes de leurs proches, voilà donc son nouveau boulot. Se reconstruire.  

jeudi 10 août 2023

Cinq pesos la bière, cinq pesos l’histoire


 « La nuit venait de tomber et j’avais encore plusieurs heures de route à faire. Je me méfie des relais, ils sont à l'écart de tout, mais j’avais besoin de repos et de boire quelque chose pour me réveiller. L'éclairage intérieur de l'établissement créait une ambiance plutôt chaleureuse et trois voitures stationnaient devant les baies vitrées, ce qui m'a davantage mis en confiance. Il n'y avait pas beaucoup de monde : un jeune couple qui mangeait des hamburgers, un type de dos au fond de la salle, un homme plus âgé au bar. Je me suis assis à côté de lui, le genre de réaction qu'on peut avoir lorsqu'on a trop voyagé ou qu'on n'a pas parlé à quelqu'un depuis longtemps. J'ai commandé une bière. Le barman, un gros homme, se déplaçait lentement. 
- C'est cinq pesos, a-t-il annoncé. 
J'ai réglé, il m'a servi. Cela faisait des heures que je rêvais d'une bière et celle-ci était bonne. Le vieux semblait absorbé par son verre ou par ce qu’il y voyait.
- Vous lui payez une bière et il vous raconte une histoire, m’a dit le gros en désignant le vieil homme. »

Cinq pesos la bière, cinq pesos l’histoire. J’y trouve mon compte. J’aime bien qu’on me raconte des histoires en buvant une bière. Surtout quand la poussière sèche me brûle la gorge et que je me retrouve perdu au milieu de la pampa. Alors des histoires, ça vous divertit un homme devant sa pinte, surtout quand cela flirte, en plus de la serveuse, avec Borges ou Bioy Casares. D’ailleurs, je me suis toujours promis de les lire un jour avant ma fin. 

Alors le vieux brise le silence, regarde son verre presque vide, la mousse laissant quelques traces sur les parois de son verre, comme les stigmates d’une limace sur un carrelage propre et brillant. Il commence par cette jeune fille qui dépérit jusqu’à ce qu’elle découvre que manger des oiseaux vivants la ressource. Beurk, je recommande une bière, pour moi et pour le vieux, histoire de faire passer le goût de plumes dans la bouche. 

lundi 7 août 2023

Micro-Tuyaux


 Etonnant. Je n’ose pas dire détonnant, je sens qu’une bombe va exploser au coin de la rue. BOUM, une mine, des soldats morts. Tac-tac-tac, des Palestiniens criblés de balles… Et comme cela fait des années que la situation dure et perdure – et pourtant je suis d’un âge canonique – BOOM, je découvre ce bouquin, que j’aurais pu trouver dans la poche de treillis d’un soldat israélien, laissé là pour mort. Peut-être même que cela fait un an qu’il le lit, à la hauteur d’une nouvelle par semaine, si je sais bien compter, il y a donc cinquante-deux nouvelles, des shorts-stories, dans ce livre. Et j’aime ce genre-là, les micro-histoires à la Brautigan ou à la Carver, car il m’en apprend pas mal sur le pays, sur les gens, sur le quotidien. Sur l’adolescence de l’auteur et la préoccupation du service militaire.

Dans « Pipelines », j’y découvre beaucoup d’histoires autour de l’armée et du service militaire - presque omniprésent, des arabes moustachus, et aussi un autre moustachu plus aryen d’une autre époque. Et au milieu de la banalité de ce quotidien, parfois des morts, parfois des décombres ou des tunnels qui mèneraient au Paradis, ou à l’Enfer. Et pour décompresser, il y a du loufoque, de l’incongru, du mystère et par moment une pointe de fantastique – ou disons, d’imaginaire. Un esprit totalement décalé. Lorsque je commence une histoire, je n'imagine pas du tout dans quel kibboutz l’écrivain va m’embarquer…

« Pour célébrer la fin du service de Kouki, nous lui avons offert Pipelines d’Etgar Keret. « C’est un livre de merde, a grimacé Kouki. Mis à part deux… pardon, trois histoires, tout le reste n’est que de la merde. De nos jours, n’importe quel imbécile peut publier un livre chez un minuscule éditeur et perdre un paquet d’argent, tout ça dans l’espoir infantile qu’un jour il va prendre son pied ».
A vrai dire, Kouki avait raison et si Akiva avait acheté le livre, c’était uniquement parce qu’il était en solde. »

mercredi 2 août 2023

Une Béninoise à Cotonou


 Cotonou. L’air chaud. La sueur qui dégouline. Les pales d’un ventilateur fixé au plafond tournent au ralenti, comme un moteur de 404 passée d’âge et de kilomètres. La Béninoise est chaude, la bière, la femme. Là-bas, je rencontre un poète breton, Stéphane Néguirec de la banlieue de Guingamp. En avant, on se joint à une foule, à la tombée de la nuit, tombés d’éblouissement devant le corps de cette danseuse, Déborah Palmer. Un nom qui claque, un nom qui pipe, nom d’une fellation, quel corps de rêve, avec sa poitrine large et ferme, avec ce cul large et ferme, avec ce sourire large et bandant. D’ailleurs il n’y a qu’à voir la bosse dans le pantalon de tous ces messieurs, les yeux rivés sur la scène du Kama Sutra, l’échoppe sexuelle locale, la bouche ouverte et la chope à la main.

« A cinq pas, une petite gargote, avec un étal éclairé par des lampes blanchâtres, l'attira. Il se dirigea aussitôt vers la vendeuse. Au passage, une amazone au décolleté sauvage et aux lèvres fumantes de clope, lui décocha un sourire-invitation. Light ignora l'appel et alla s'asseoir sur un banc de la gargote. Une fillette, aussitôt, s'approcha de lui pour prendre commande.
- Riz au poulet.
- Boisson ?
- Coca.
Devant lui, la rue gagnait en animation. A 21 heures, les filles, comme des éphémères après la pluie, sortaient du néant et venaient se positionner sur le trottoir. Il y en avait pour tous les goûts et pour toutes les chaudes-pisses. »

vendredi 28 juillet 2023

Kana-kana-kana, le Chant des Cigales


 Elle court, court, court dans la rue, le petit matin, la fraicheur de l’aube, le ciel qui vire du noir au rouge… La maison brûle, un bébé qui pleure dans ses bras, fumées noires et flammes rouges. Kiwako, comme prise d’une impulsion, a kidnappé Kaoru, et entame donc une longue cavale à travers le temps et le Japon. De cette action non préméditée, va s’instaurer une étrange relation mère-fille. Pendant des années, elles vont de lieux solitaires en lieux marginaux, pour éviter d’attirer l’attention sur elles. Au moindre doute, Kiwako change de camp et décampe vers un autre horizon, SA petite fille dans les bras, puis main dans la main. Ainsi la petite Kaoru grandira avec cette unique mère de substitution, ballotée d’un univers à l’autre. L’histoire d’une fuite éternelle, lorsque le soleil se couche et que seul le chant des cigales se fait entendre. Comme un air de bossa nova sur l’archipel.  

« Le soleil déclinait lentement, couvrant d'un manteau doré le vert des rizières. Les cigales faisaient entendre les diverses strophes de leurs chants, comme un bruit de pluie.»

Quelques années après, second acte. Je retrouve Kaoru adolescente, femme, bientôt mère et observe son point de vue, un peu perdue, forcément triste sur la première partie de sa vie avec si peu de souvenirs. Elle a le sentiment que cette femme, cette mère aimée et aimante de la première époque, lui a justement et malheureusement volé sa vie. Kana-kana-kana, le chant des cigales gronde dans le silence d’un procès. Comme les pleurs d’un saxophone soprano sous le bleu de la lune.

dimanche 23 juillet 2023

Une Souris et un Homme


Je regarde à travers la vitre nocturne où ruissellent les pleurs du ciel. Des traces le long de la paroi qui coulent et s'écoulent, des empreintes de la vie qui s'échouent. Une lune affichée dans le ciel, belle et ronde, lumineuse et comme teintée de bleue. "Pourquoi est-ce que je regarde toujours la vie à travers une fenêtre ?", me dis-je intérieurement en repensant à la vie de Charlie. Charlie Gordon, un type que j'ai envie de connaître, un homme qui n'était pas à sa place dans ce monde-ci.
 
Charlie, l’esprit un peu simple. Il travaille à l'arrière d'une boulangerie, basses besognes au niveau serpillière. Il se sent malgré tout entouré d'amis, amis qui rigolent de lui et de son état d'esprit plutôt qu'avec lui. C'est à ce moment là qu'une petite souris entre en jeu, non pas dans les bas-fonds de la boulangerie se frayant un chemin entre les sacs de farine mais dans les dédales d'une autre vie. Algernon, c'est le nom de la petite souris blanche, souris de laboratoire à qui le Pr Nemur et le Dr Strauss ont administré un traitement révolutionnaire qui rendrait la souris plus intelligente, capable de se diriger dans un labyrinthe comme dans un champ de fleurs.  
 
"Comme c'est étrange que des gens qui ont des sentiments et une sensibilité normaux, qui ne songeraient pas à se moquer d'un malheureux né sans bras, sans jambes ou aveugle, n'aient aucun scrupule à tourner en ridicule un autre malheureux né avec une faible intelligence."
 

jeudi 20 juillet 2023

All In


 Dans deux jours, ou deux cents pages, nous connaitrons le « nouveau » vainqueur du WSOP 81, World Series of Poker, un genre de championnat du monde de Poker où des centaines de joueurs se retrouvent enfermés dans un casino prestigieux de Las Vegas pour en découdre de bluffs et de mathématiques. Car ne vas pas croire que le poker est un jeu de hasard. La chance n’a pas son mot à dire, le public s’émeut de ho et de ha (Patriccckkk !) à la découverte du flop ou de la river, mais avant d’en arriver là, il y a eu la stratégie, les probabilités et la pression (pas celle qui finit dans une choppe, ici c’est plus bouteille d’eau ou thermos de café à volonté).

Mais avant de s'asseoir à la table finale, les huit ou neuf meilleurs joueurs du tournoi, car il n’en restera qu’un et ce ne sera pas un Macleod, Al Alvarez, écrivain-poète anglais, journaliste et passionné de poker s’invite dans le Nevada et les coulisses de ce WSOP, avec ce très bel ouvrage qui ne s’adresse pas forcément aux passionnés de poker – dit celui qui est capable de passer des heures comme subjugué devant son écran de télévision à regarder de vieilles rediffusions d'anciens tournois de Texas Hold'em. Avant tout, ce livre nous parle de tout, sauf du poker ou presque. Le poker, c'est aussi une histoire de mythe et d'ambiance.       

« Glitter Gulch est réservé aux gens de passage, la plupart âgés et repérables de loin : des vieilles en pantalon vert fluo, jaune banane ou orange de Floride pétant, agrippées à un gobelet rempli de petite monnaie dans une main, le levier d'un des 50 000 bandits manchots de Vegas dans l'autre ; des vieux aux dents en plastique et costard bleu ciel en plastique en train de jouer au craps à 1 dollar, au black-jack à 50 cents et au Stud Limit poker à 3 dollars ; des épaves en fauteuil roulant ou derrière des déambulateurs, des bossus, des difformes, des squelettiques et des obèses claquant leurs aides de la sécurité sociale, leurs pensions d'invalidité et leurs retraites, attendant leur heure et le miracle d'un jackpot qui transfigurerait leurs dernières années marquées par le dénuement. Tous sont animés d'une ferveur digne du sabbat des sorcières de Walpurgis, un mélange d'optimisme du joueur mâtiné de nostalgie. À L'ANCIENNE, hurlent les enseignes de néon, en plus des CONSOMMATIONS AU BAR 50 CENTS, GAGNEZ UNE VOITURE 25 CENTS, ASPIRINE & TENDRESSE À VOLONTÉ. Pour ces Snopes des Temps modernes, telles les canailles du roman de Faulkner, Glitter Gulch constitue le dernier arrêt, absurde, sur le lent chemin qui mène au cimetière. »