jeudi 29 décembre 2016

Paterson de Paterson

Il s'appelle Paterson et vit à Paterson, New-Jersey. Il est chauffeur de bus (normal quand on s'appelle Adam Driver) et écrit de la poésie. Tu connais William Carlos Williams ? Moi non, enfin pas avant d'avoir découvert le film de Jim Jarmusch.

Mais avant de rentrer dans la salle obscure, il faut déjà avoir une certaine attirance pour le réalisateur aux cheveux argentés. Perso, j'adore la poésie qu'il instille par petites touches dans ces films (Ghost Dog), j'adore ses plans répétitifs (Coffee and Cigarettes) ; j'adore sa musique tranchante et envoûtante (Dead Man), j'adore son décalage (Broken Flowers), j'adore ses histoires d'amour et de temps (Only Lovers Left Alive). Bon, je ne vais pas te faire toute sa filmographie, entre Jim et moi, ce sont de belles histoires – d'amour et de spiritualité – qui nous lient.

Paterson est marié à la ravissante Golshifte Farahani. Toujours aussi belle que quand elle jouait de son tambour ethnique des steppes orientales dans le sublime western kurde « My Sweet Pepper Land ». Lundi matin, sa montre magique le réveille toujours entre 6h15 et 6h30. Elle a rêvé de jumelles (dis, ça te plairait d'avoir des jumeaux ; comme ça chacun le sien, pourquoi pas), et toute la semaine il verra des jumeaux, dans son bus, dans la rue. La vie n'est faite que de jumeaux qui croisent sa route ou celle de son bus. Elle est artiste peintre, douée pour les cupcakes, et les dessins en noir et blanc. Tu aimes les cercles de toutes les tailles ? Vaut mieux... 
 
Mardi matin, il se lève, prend son petit déjeuner, va conduire son bus, mange sa lunchbox préparée par sa ravissante femme, croise une paire de jumeaux, remet en place sa boite aux lettres légèrement bancale avant de s'asseoir dans le canapé et regarde les nouveaux rideaux que sa femme a peint, une collection de cercles noirs mais de tailles différentes.

samedi 24 décembre 2016

Yippee-ki-yay, Pauvre Con !

Ah la magie de Noël… Surtout à la télévision. Rediffusion de nanars, des « plaisirs coupables », soit disant. Mais là où il y a du plaisir, il n’y a plus de culpabilité. Juste du plaisir. Que du plaisir. Plaisir des yeux, plaisir des sens. Se retrouver dans le noir, et prendre plaisir à regarder le plus grand film de Noël. J’avais le choix entre Sissi l’impératrice ou un flic en marcel blanc. Mon choix s’est naturellement porté vers le second, pour le thème de décembre du ciné-club de Potzina, hébergé ce mois-ci par Rose de « La Chambre Rose et Noire ». 

Je me revois en 1988, Bruce Willis, gringalet dans « Clair de Lune » avec la belle Cybill Shepherd et l'humour ravageur contre l'humeur pince-sans-rire, enfile son marcel le plus blanc de sa garde-robe et, après quelques séances de musculation intensive, part sauver à lui tout seul une tour de cristal, prémices du 11 septembre, prête à exploser, avec au départ juste des répliques cinglantes et les pieds nus. Flic new-yorkais, il débarque avec son ours en peluche sur l’aéroport de Los Angeles, le regard ébahi par des blondes en pantalon très moulant qui dessine si bien son string – voir l’absence de string, que j’aime cette Californie. C’est Noël, la joie, la fête, champagne et lignes de coke dans cette tour, si grande, si majestueuse, si phallique même au moment de son explosion dans une jouissance de cristal. Face à lui, un méchant, feu Alan Rickman, et sa bande de terroristes teutons.

jeudi 22 décembre 2016

Juste un Pauvre Type qui Boit seul sa Bière

« Manchester by the Sea », petite station balnéaire de la côte Est. Un bateau de pêche, des souvenirs d’enfance, un village au bord de mer où tout le monde semble se connaître. Pour n’importe quel américain moyen – ou bison minable – cela pourrait paraître comme une villégiature rêvée pour couler des jours heureux, tranquilles, peinards. Mais pas pour Lee (Casey Affleck), séparée de sa femme Randi (Michelle Williams), qui n’y revient que par obligation.

Et la dernière obligation est la mort de son frère (Kyle Chandler). Pas de chat à s’occuper, juste un fils.

Lee vit actuellement dans une banlieue de Boston, il pellète la neige devant les immeubles, répare la tuyauterie des ménagères en peignoir et vit dans un minable sous-sol, homme à tout faire de plusieurs immeubles. Il fuit son passé.

Un homme, seul au comptoir d’un bar. Il boit seul sa bière. Un homme qui boit seul sa bière, forcément, ça m’émeut, ça me concerne, ça me touche. Il trouve le moindre prétexte pour jouer des poings, façon de se détruire à petits feux, en s’isolant du reste de la société. Quel passé a-t-il à fuir…

mardi 20 décembre 2016

Ecrit à l'encre des Heptapodes

Ce n’est pas mon « Premier Contact » avec le québécois Denis Villeneuve puisque je le suis depuis quelques années, « Incendies », « Prisoners », « Sicario ». Je prends un immense plaisir à découvrir ses films dans des registres aussi différents. Plaisir renouvelé une fois de plus dans cette science-fiction qui montre plus d’émotions que d’effets spéciaux.

Ce n’est pas non plus mon « Premier Contact » avec le langage extra-terrestre, j’ai toute la discographie – ou presque - de Magma et de Christian Vander. Alors je suis ouvert à l’écoute des gens d’une autre planète. Les sons ne me font pas peur. Les silences non plus.

Installé tranquillement à la terrasse d’un café, matant ma bière, une blonde charpentée, et les jambes de la voisine, une brune épicée, un portable sonne, puis un second. Cela vibre de toute part, sonneries, bips, sms. Même la voisine qui décroise ses jambes, ça me décoiffe. Il doit se passer un truc de ouf. Justement un truc a atterri dans le Montana, au milieu d’un ranch, les bisons en sont tout retournés. Et pas que…   

Au casting, le colonel Forest Withaker (petite présence, à la limite de l’anecdote) joue son rôle de commandant, tiraillé entre l’écoute de ses conseillers et de sa hiérarchie. Jeremy Renner, le scientifique et Amy Adams (que je découvre), la linguiste, sont justement ces deux conseillers chargés d’établir un « Premier Contact » avec ces Aliens.  

samedi 17 décembre 2016

L’Amour de la Chair et des Os

« Mais les activités ici-bas ressemblent à l’observation dans les ténèbres. Ce que nous réserve l’avenir est insondable. Il n’y a pas de plus impermanent et plus changeant que ce monde. Les nuages succèdent au soleil et la douleur à la joie, et qui peut le prévoir ? »


Selon la conception traditionnelle tibétaine, le père transmet les os, et la mère la chair. C’est donc une histoire de filiation que je suis avec cet artiste tibétain. Quand l’amour de l’art se conçoit avec l’amour de ses parents. Quand la tradition se conjugue avec la transmission. Quand le bouddhisme apporte son lot d’impermanence.

Mais avant de dire deux mots sur le roman, voilà deux mots sur l’auteur, Thöndrupgyäl, en avant-propos, une histoire qui m’a fortement touché et ému avec son suicide à l’âge de 32 ans sur la terre de ses origines, après un passage « obligé » par Pékin, parce qu’il n’était plus compris de ses congénères.

« Les richesses sont aussi impermanentes que la rosée sur un brin d’herbe. La vie est aussi éphémère que la lampe à beurre dans le vent. »

Le narrateur reçoit une lettre annonçant le décès de son ami artiste. Il se devait de retranscrire son histoire, pendant que moi, je me sers un thé fumant au beurre rance. C’est doux, c’est chaud, c’est salé, du sel de l’Himalaya. Et à travers l’histoire de cet artiste, boiteux au mauvais karma, je plonge dans les croyances tibétaines, tout comme leurs jeux d’enfance un poil cruel – poil de yack (souffler dans une paille plantée dans le cul d’une grenouille, et paf, un gros boum quand on l’explose ; de quoi te donner un mauvais karma pour au moins trois générations).


mercredi 14 décembre 2016

La Vieille qui Murmurait à l'oreille des Haricots Azukis

« Dans les bols, la fameuse soupe de haricots fondants luisait. Les haricots azuki brillaient, alignés en bon ordre. Un profond parfum sucré se répandit avec la vapeur d'eau, qui parut enveloppé jusqu'aux tables environnantes. Une voix s'éleva d'une autre table : « Oh là là, ça fait envie. »

Après l'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux, je rencontre la vieille qui murmurait à l'oreille des haricots azukis. Une petite vieille, toute fripée, toute timide, qui semble si bien s'entendre avec ses haricots que sa pâte respire mille senteurs, dont l'amour, la compassion, le désir et la vie. Tu as senti cette douce odeur sucrée venir chatouiller tes narines à chaque page tournée ? Un pur délice, un petit bijou. Une histoire simple, d'âme et de cuisine. La cuisine a une âme et ses saveurs sont l'amour et la (com)passion. Les bons ingrédients aussi. Un pur bonheur.

Cette histoire de cuisine s'agrémente donc d'une histoire d'âme, et d'une histoire de relation générationnelle. Quel enchantement de voir cette vieille apprendre le métier à son jeune patron. Elle est si belle, cette vieille devant ses fourneaux. Elle a tant à dire et à donner. Magnifiquement humaine, la plume de Durian Sukegawa se fait poignante et poétique. Le roman se déguste comme ces fameux dorayaki, petites pâtisseries japonaises à la pâte d'azukis, que la vieille prépare depuis plus de cinquante ans, sous le clair de lune, la tête sur ton épaule.

dimanche 11 décembre 2016

Joe le Taxi

« C’aurait été super d’arrêter le vrai coupable, mais ça n’était pas une nécessité. Quand une fillette de douze ans est enlevée à sa riche famille, vous ne pouvez pas ne pas exhiber quelqu’un. Ils m’ont exhibé moi. »

Joe le taxi y va pas partout, y marche pas au soda. D’ailleurs, il enfile son blouson pour descendre au pub du coin de la rue retrouver son collègue et se payer une Desperados et quelques bières. Après tout, il a fait une belle course de l’aéroport au quartier Sud. Le temps de prendre ses clés qu’on frappe à la porte. Pourvu que cela soit la voisine en peignoir négligemment ouvert venue lui emprunter de la farine et des pommes pour faire une tarte aux pommes. Pas de bol, deux flics, l’air patibulaire et pas hilare du tout face à son esprit, je crois que pour une fois, le chauffeur va se faire conduire. Au poste, menotté, giflé, frappé, et même pas une bière dans le gosier.

Samedi soir. Tout comme ce soir.
J’entends un cri dans le couloir…

Je voulais juste boire une bière, comme tous les samedis, comme tous les soirs. Je voulais juste sortir prendre l’air, je n’avais pas l’idée que cet air de Dallas, univers impitoyable, allait m’amener dans ce Couloir. Pas celui d’un hôtel 4 étoiles, ni même celui de ta chambre. Celui avec un C majuscule dont on écourte la fin en pensant à la sienne, sa fin, la fin de sa vie, le Couloir de la mort. Pourtant rien ne laissait paraître un tel présage (demandez à JFK ce qu’il en pense), par moment il ne faut pas grand-chose pour qu’une vie bascule de l’espoir à la mémoire, surtout à Dallas, Texas (pas d’accord JF ?). Pourtant, j’ai regardé tous les épisodes des Experts (mais ceux qui ne sont pas à Dallas, d’ailleurs je ne connais pas d’experts dans le Texas, à part Chuck Norris…), la recherche d’ADN et de preuves irréfutables n’ont plus aucun secret pour moi. Pourtant, je connais par cœur tous les membres des Esprits Criminels et à la fin, ils attrapent toujours le vrai criminel parce qu’ils rentrent dans son esprit.

jeudi 8 décembre 2016

L'île de vos rêves, à portée de main

« VOUS QUI ETES EN TRAIN DE MOURIR DANS UN MONDE DE BETON,
L’ILE DE VOS REVES EST LA, A PORTEE DE MAIN »

Derrière ce slogan publicitaire se cache la puissance du rêve, l’éclat d’un roman onirique. Il suffit parfois d’un regard pour tomber sous le charme. Une longue crinière noire sur un quai de train ou sur une moto en combinaison de cuir moulant ses si belles formes. Il déambule dans les rues de Tokyo, âme solitaire et errante, le regard rivé sur les gratte-ciel jusqu’à cette rencontre fortuite qui ouvrira son cœur. Amoureux de l’architecture de sa ville, il découvre une autre parcelle de vie dans cette île des rêves. En compagnie de cette brune, il va ouvrir son cœur émerveillé par cette troublante rencontre et par le nouveau monde qu’elle lui propose.

Mais cette île n’est pas peuplée de naïades totalement dénudées comme mon esprit s’égare souvent dans un univers orgiesque. L’île est juste un bout de terrain vague presque inaccessible, construite sur une décharge municipale de la mégapole…    

« La montagne de détritus recrachés par Tôkyô était ainsi en train de créer les terrains de la nouvelle ville ! Shôzö imaginait un gigantesque courant circulaire, invisible à l’œil. Il s’agissait certes d’un mouvement conçu, planifié et mis en œuvre par l’homme, mais il avait cependant l’impression qu’un autre courant, d’une force incomparablement supérieure, agissait sur ces opérations humaines. Une odeur de pourriture mêlée d’effluves marins pesait lourdement sur toute la zone. Des bulles de méthane éclataient à la surface du monticule. En cet instant même, la terre sous ses pieds s’enfonçait. La ville de Tôkyô était en train de combler le vide de sa baie, il en percevait l’agitation, la respiration, la température aussi… »

dimanche 4 décembre 2016

Le Colporteur


Sers-toi un verre, tu en auras besoin pour ce voyage dans le grand sud de l’Amérique profonde. Un frère, une sœur. De cette relation incestueuse, né un enfant abandonné dans un fourré par ce frère-père. Tiens, prends-la,  vaut mieux que tu gardes la bouteille. Il faut au moins ça pour grouiller dans cette misère profonde.

« J’serais riche à l’heure qu’il est si j’avais pas tout gaspillé avec les putes et le whisky. » 

La sœur, sortie de sa couche, s’enfuit et prend la route. A la recherche du colporteur qui a pris son enfant.
La frère, pose sa hache, et prend la route à son tour. A la recherche de sa sœur.
On the road again.
Sur la route, tiens ça me rappelle un roman plus récent d’un certain Cormac…

« Holme sentait la peur lui transir l’estomac. »

Accroche-toi à la bouteille ? Parce que cette route parsemée de poussière et de gens, des bons et des mauvais, même si les mauvais semblent plus nombreux que les bons, même si les bons ne sont pas aussi bons et que les mauvais vraiment mauvais, n’est pas de tout repos. Pas de répit, même lorsque les flammes du feu crépitent sous la bannière étoilée de la constellation du Sud.