Annabelle, treize ans et déjà pianiste prodige. Sa voie est presque toute tracée, depuis des années, un long chemin devenu sacerdoce. Jusqu'au jour où la musique ne vient plus à elle. Elle ne ressent plus rien, n'y arrive tout simplement plus. La musique l'a quitté. Parallèlement, ses parents divorcent, un père souvent absent, imprésario d'une très grande pianiste, une mère très aimante, mais probablement trop. Le début de l'enfer pour Annabelle, ou la fin du monde, le sien, celui de sa famille, la musique oubliée.
Au début, presque sur ses gardes, Annabelle n'est pas très émue. La musique n'est pas une si grande perte, se répète-t-elle. Laissons-la aux gens doués qui ont du plaisir à exercer leur don. Mais, au mouvement lent que Lydia exécute avec un admirable legato, tout lui revient : le bonheur d'être assise au piano, d'arracher les notes du fond d'elle-même, de jouer avec tout ce qui l'habite et qu'elle ignore, l'in-nommable enfin nommé, la violence, l'isolement, la tendresse, la passion, toutes ces émotions si encombrantes qu'elle pouvait faire exploser sous ses doigts, avec son propre corps et un piano.
Sur fond de "guerre" parentale, Annabelle se retrouve entre deux eaux. Elle se noie dans la baie du Saint-Laurent, plonge en apnée dans cette maudite vie. Ses notes perturbent, son silence aussi. Elle a envie de crier, mais contre qui, à part contre elle. Elle ne veut pas prendre partie, ne veut pas faire de mal ni à l'un, ni à l'autre, la sensibilité à fleur de peau, dans ces eaux troubles et glaciales où le blizzard du grand nord pique les yeux. Ferme les yeux, Anna. Belle au fond de toi, écoute tes larmes glisser le temps d'une mélodie de Schubert.