A bord d'un mythe, billet en poche, balluchon chargé de vodka, je grimpe pour un long voyage, objectif Sibérie. Un air de Tchaïkovski se balade des hauts-parleurs de la gare, signe annonciateur du départ du Transsibérien. Installé dans le compartiment N° 6, je regarde à travers la crasse d'usure de la fenêtre, les derniers visages restés à quai. Je sais qu'après ce voyage, je serais transformé, on ne voyage pas dans un mythe sans conséquence. Vient s'asseoir dans ce compartiment, une jeune femme, pas un canon, ni une mocheté, simplement une femme avec son charme, une finlandaise même. Je me réjouis déjà de ce long tête-à-tête silencieux que me promet ce voyage. Le mythe du cornichon malossol.
Et au long de l'obscurité la nuit plaqua une aube rouge à la fenêtre. Une lune jaune balaya l'éclat de la dernière étoile, ouvrant la voie à un soleil de feu. Lentement toute la Sibérie blanchit. L'homme, en pantalon de survêtement bleu et chemise blanche, faisait des pompes entre les deux couchettes, la sueur au front, les yeux mal réveillés, la bouche sèche et malodorante, et dans le compartiment le poisseux relent de sommeil, la fenêtre sans souffle, les verres à thé muets sur la table, les miettes, par terre, réduites au silence. Une nouvelle journée s'ouvrait, avec ses forêts de bouleaux orangés sous le givre, ses pinèdes aux profondeurs peuplées d'animaux, ses tourbières moutonnant sous la neige fraîchement tombée, ses caleçons blancs aux jambes flottantes, ses pénis mous, ses founettes, ses counettes, ses chounettes, ses amples chemises de nuit à fleurs en flanelle, ses chaussettes de laine, ses châles, ses brosses à dents en bataille.