jeudi 26 août 2021

Le Mythe du Cornichon Malossol


A bord d'un mythe, billet en poche, balluchon chargé de vodka, je grimpe pour un long voyage, objectif Sibérie. Un air de Tchaïkovski se balade des hauts-parleurs de la gare, signe annonciateur du départ du Transsibérien. Installé dans le compartiment N° 6, je regarde à travers la crasse d'usure de la fenêtre, les derniers visages restés à quai. Je sais qu'après ce voyage, je serais transformé, on ne voyage pas dans un mythe sans conséquence. Vient s'asseoir dans ce compartiment, une jeune femme, pas un canon, ni une mocheté, simplement une femme avec son charme, une finlandaise même. Je me réjouis déjà de ce long tête-à-tête silencieux que me promet ce voyage. Le mythe du cornichon malossol.

Et au long de l'obscurité la nuit plaqua une aube rouge à la fenêtre. Une lune jaune balaya l'éclat de la dernière étoile, ouvrant la voie à un soleil de feu. Lentement toute la Sibérie blanchit. L'homme, en pantalon de survêtement bleu et chemise blanche, faisait des pompes entre les deux couchettes, la sueur au front, les yeux mal réveillés, la bouche sèche et malodorante, et dans le compartiment le poisseux relent de sommeil, la fenêtre sans souffle, les verres à thé muets sur la table, les miettes, par terre, réduites au silence. Une nouvelle journée s'ouvrait, avec ses forêts de bouleaux orangés sous le givre, ses pinèdes aux profondeurs peuplées d'animaux, ses tourbières moutonnant sous la neige fraîchement tombée, ses caleçons blancs aux jambes flottantes, ses pénis mous, ses founettes, ses counettes, ses chounettes, ses amples chemises de nuit à fleurs en flanelle, ses chaussettes de laine, ses châles, ses brosses à dents en bataille. 

mercredi 18 août 2021

Un Disque de Coleman Hawkins, le piano solo d'Art Tatum et un air des Beatles

 Drive my car
prix du scénario, 
Festival de Cannes 2021.

Lorsqu'il parlait avec la femme, son compagnon observait soigneusement son expression et son attitude, comme quelqu'un qui excelle à lire entre les lignes. Il y avait entre cet homme et cette femme une sorte de secret puissant qui les soudait l'un à l'autre, qu'eux seuls partageaient. Kino ne parvenait pas non à savoir s'ils venaient dans son bar avant ou après l'amour. Mais il était sûr que l'une ou l'autre hypothèse était juste. Ce qui était étonnant, cependant, c'est qu'aucun des deux ne fumait.
Un soir où il pleuvait légèrement, la femme reviendrait seule dans son bar. Quand son compagnon à barbiche serait "loin". Kino le savait. Cette lueur dans ses yeux le lui disait. La femme s’assiérait au comptoir, boirait en silence quelques brandys, attendrait que Kino ferme le bar. Puis ils monteraient à l'étage, elle ôterait sa robe, exposerait son corps à la lumière, lui montrerait de nouvelles brûlures de cigarette. Après quoi, ils s'accoupleraient violemment, comme des animaux. Tout au long de la nuit, sans avoir le temps d'y penser, jusqu'à l'aube. 
 
Un air des Beatles s'échappe de la voiture, une vieille cassette qui crachote encore quelques mélopée pop d'un autre temps. Drive my Car fredonne Paul McCartney. Elle conduit cette vieille voiture, fume cigarette sur cigarette, fenêtre ouverte. Lui, assis sur la banquette arrière, relit son texte, la pièce de théâtre qu'il est en train de jouer. Ça pourrait faire un grand film, avec en arrière-fond l'histoire de sa femme décédée il y a quelques années. Des années, des jours, peu importe, la perte n'a plus de temps, la vie s'est arrêtée.

vendredi 13 août 2021

Les Lumières de Medellín


D'un coté, il y a Antonio et Emilio, fous amoureux de Rosario, la femme fatale de Colombie. Rosario aime Emilio mais se confie à Antonio. Le triangle amoureux de
Medellín semble aussi dangereux et fatal que le triangle des Bermudes. De l'autre coté - ou de partout autour, il y a la belle Medellín, cette ville sublimement parée de lumière et de violence.
 
Rosario est de ces femmes qui sont à la fois le venin et l'antidote. Elle guérit celui qu'elle veut guérir, et elle tue celui qu'elle veut tuer.

Rosario se retrouve à l'hosto, une balle en plein cœur, Antonio le cœur déchiré à son chevet. Rosario, la fille aux ciseaux. Ne me demande pas d'où lui survient ce surnom, ça risque de faire mal à ta virilité masculine. Oh oui, j'ose imaginé, mais putain que ça doit faire mal... Aussi mal qu'un cœur brisé. Et si je suis avec plaisir la jeunesse de ce trio dans ce qui ressemble à une chevauchée fantastique dans la nuit et la violence, c'est surtout pour découvrir les lumières de la cité colombienne, ses obscures ruelles et ses étoiles qui veillent tard dans la nuit. Roman nocturne sous les néons blafards de l'hôpital. 

De la fenêtre de l'hôpital, Medellín ressemble à une crèche. De petites lumières incrustées dans les montagnes scintillent comme des étoiles. Il ne reste plus aucune partie sombre dans la cordillère trouée de lumières du pied jusqu'à la cime, la "petite tasse d'argent" brille comme jamais. Les immeubles éclairés lui donnent une allure de grand bazar cosmopolite, un air de grandeur qui nous fait penser que nous avons vaincu le sous-développement. Le métro la traverse en son milieu, et la première fois que nous le vîmes circuler, nous crûmes que nous avions enfin cesser d'être pauvres.
- Comme elle est belle vue d'ici, disions-nous, tous ceux qui contemplions la cité d'en haut.

samedi 7 août 2021

Âme Bandée


Réveillé, je suis dans un état second. Ecroulé, je me suis sur mon lit hier soir. La tête en vrac, le cœur mouillé, l’inverse est plausible, je ne sais plus. Le trou noir, j’erre dans des souvenirs sans fond, contrairement à la bouteille vide. Aucune idée ne vient, l’esprit vide lui aussi, j’ai perdu quelques heures de ma vie. 

Que s’est-il passé, trop bu, amnésie localisée, trop lu, les bras plâtrés, les jambes plâtrées ; et la tête, alouette. Une crêpe Suzette ? Je perds la tête. 

L’âme bandée, une vie à l’hosto et pour passer le temps un bouquin, j’aurais pu choisir la bible, après tout la fin est toute proche, non, j’ai pris un feel-good. Qu’est-ce qu’il m’a pris ? 

Un moment de faiblesse, l’ivresse instantanée, pris le premier roman près de la lampe de chevet, besoin de m’achever. Un livre feel-good, et avec ça, j’espère un « Bon Rétablissement » ? 

Pfff… Besoin d’un grand verre, plutôt… Whisky ou vodka, un truc sans eau en tout cas. J’ai déjà trop bu la tasse.  

« Depuis, l'eau a coulé sous les ponts. Et, si je n'ai pas coulé récemment avec elle, on peut dire que j'ai failli. On m'a repêché in extremis, il y a quelques jours, au milieu de la Seine.

Pour être plus précis, à deux mètres du bord, ce qui est bien suffisant pour sombrer dans la vase avant de remonter des semaines plus tard, tout mou et tout spongieux comme les bouts de pain qu'on balance aux canards.

On m'a vidé les bronches, plâtré ici et là. J'avais dû ricocher sur la pile du pont. Suicide raté, soirée trop arrosée, agression ? On se perdait en conjectures.

Moi, j'étais comateux, et donc sans opinion. »

lundi 2 août 2021

Souffle le Verre


« Dehors un vent d’ouest léger porte des bruits de canon. La guerre est ce soir dans le crépuscule comme la mer dans les coquillages. »

La Grande Guerre a quelque chose de poétique, comme l’âme de Séraphin. Ce garçon qui vit dans son monde, un monde de silence et de regard. La neige tombe, au même rythme que les bombes, mais avant cela, il y avait cet enfant, si particulier que les gens lui attribuèrent facilement le rôle de l’idiot du village. Et pourtant… Séraphin se découvre, se révèle… aux yeux du vieil Ernest.

« Le silence qui couvrait les jardins potagers était magnifique. Il était à la fois si calme et si radieux que le chant éraillé d’un merle y donnait presque envie de sourire. Le moindre craquement étendait une paix merveilleuse. C’était en général une branche qui venait de se délester d’une petite cargaison de neige dans un poudroiement d’or. »